Sur papier, tout indique que la recette des cuistots fous de Deerhoof tournera au désastre : guitares rock bruitistes, rythmiques beefheartiennes déconstruites, mélodies pop sucrées, saturations shoegaze, dérapages free jazz, grooves funky, clins d’œil à la musique classique… Ouf! Pourtant, l’expérience tient la route et ce, depuis maintenant vingt-cinq ans. Comme tous les artistes marquants, Deerhoof a une signature spontanément identifiable.
Même si elle repousse les limites du rock depuis sa fondation, la formation californienne n’est pas à l’abri de certains dangers. Aussi folle soit-elle, l’approche de Greg Saunier et de sa bande court le risque de tourner à la formule. Pourtant, avec maintenant seize albums au compteur, Deerhoof ne donne aucun signe d’essoufflement. Les musiques mutantes du groupe et ses textes souvent abstraits qui évoquent un monde en perte de repères savent faire écho à l’époque confuse à laquelle nous vivons. Comme l’indique le titre du disque, si tout s’écroule, les jeunes survivants dessineront sur les parois des cavernes à l’instar de leurs ancêtres préhistoriques.
Loin d’être en mode pilotage automatique, les quatre loustics débordent de ressources et d’imagination. S’amusant follement avec les contrastes, ils trouvent de nouvelles façons de superposer la voix enjôleuse de Satomi Matsuzaki aux reliefs accidentés que déroulent les guitares et la batterie. Au passage, ils multiplient les ruptures de ton déconcertantes, flirtent avec l’électronique sur de curieuses danses frénétiques (O Ye Saddle Babies et New OrphanAsylum for Spirited Deerchildren) et vont jusqu’à évoquer la Symphonie « Les Adieux » de Joseph Haydn sur « Farewell » Symphony. En guise de conclusion, Saunier se fait pianiste et nous offre une exécution du Je t’appelle, Seigneur Jésus-Christ de Johann Sebastian Bach. Une fois de plus, nous avons la preuve qu’au royaume de Deerhoof, rien n’est impossible!