On ne sait pas grand-chose sur elle. En vérité, presque rien (on ne connaît même pas son prénom!). Mademoiselle Duval était fille de danseuse de ballet et d’archevêque (eh oui, les mœurs ecclésiastiques se révèlent souvent surprenantes…). On sait surtout qu’une quarante année après Élizabeth Jacquet de la Guerre, elle fut la deuxième femme à voir un opéra de sa plume être créé à l’Académie royale de musique (en 1732). Il arriva à celui-ci à peu près la même chose qu’à celui de sa prédécesseure (Céphale et Procris, dont vous pouvez lire mon compte-rendu ici) : il fut joué quelques fois, puis oublié jusqu’à nos jours.
Cet enregistrement sous étiquette Château de Versailles, un label qui se spécialise dans ce genre de résurrections, est donc une très belle occasion de prendre contact avec une rare oeuvre lyrique baroque signée de la main d’une femme.
Si la création a eu lieu en 1732, au tout début de la révolution musicale ramiste (initiée par Jean-Philippe Rameau), l’influence stylistique de cette dernière n’y a pas laissé de traces. Nous sommes plutôt dans un univers lulliste (Jean-Baptiste Lully), déjà vieux d’un demi-siècle, ou peut-être post-lulliste (on pense à André Campra et son style conservateur en ce premier tiers de 18e siècle). Cela dit, on ne boudera certainement pas le plaisir honnête que procure cette jolie découverte, pleine de mélodies attachantes, d’airs bien dessinés, de portions instrumentales énergiques et de chœurs amples et généreux. Mlle Duval savait y faire.
Les Génies est une comédie-ballet comme il s’en faisait souvent à l’époque, dont Les Indes galantes de Rameau. Sur le même principe que cette dernière, Les Génies est organisée en cinq parties, un Prologue et quatre Actes (appelés ici Entrées). Chaque partie développe une intrigue différente, mais complémentaire, des autres, avec un thème central (l’amour) qui sert de fil conducteur général. Dans Les Génies, on visite donc les univers magiques des quatre éléments naturels que sont la terre, l’eau, l’air et le feu. Dans ceux-ci, des esprits associés à ces mondes surnaturels vivent des aventures sentimentales liées à des traits de caractère associés à ces éléments. Vous voyez un peu le topo.
Si le style musical est résolument conservateur pour l’époque, il est néanmoins très habilement maîtrisé par la compositrice. Des mélodies vives, d’allure italienne, côtoient des airs délicats et une utilisation vigoureuse des cordes basses, offrant une intéressante musculature à certains passages.
La Québécoise Florie Valiquette tient l’un des rôles principaux, soit celui de l’Amour, et tire superbement son épingle du jeu. Son soprano est adéquatement puissant, mais demeure lumineux et positif. Elle est entourée d’autres solistes très en forme, dont Marie Perbost, dans plusieurs rôles déterminants et magnifiés par sa détermination dramatique couplée à un timbre agile, ou encore Étienne de Bénazé, très beau ténor racé, solaire, sans le nasillage trop souvent concomitant du ténor français d’époque.
L’ensemble Il Caravaggio est dirigé avec précision et animation par Camille Delaforge.
Une autre belle découverte.
Distribution:
Marie Perbost · Lucile, Zaïre, Isménide, Florise
Florie Valiquette · Amour, Zamide, une Sylphide
Anna Reinhold · La Principale Nymphe, Pircaride
Etienne de Bénazé · Léandre
Paco Garcia · Un Indien, un Sylphe
Guilhem Worms · Zoroastre, Numapire
Matthieu Walendzik · Zerbin, Adolphe
Cécile Achille · l’Africaine, une Nymphe