À travers l’histoire, les grandes migrations urbaines ont donné naissance à de nouvelles formes musicales. Exemple le plus patent : il y a un siècle, en migrant vers les grands centres, les Noirs du sud des États-Unis ont fait connaître le blues et préparé le terrain pour le rock et la soul. Le Pérou a connu sa propre migration spectaculaire, à la fin des années 1960. Les villageois andins, à la recherche de travail, se sont installés massivement dans les basses terres, notamment dans les villes pétrolières de l’Amazonie. Il en résulta un métissage culturel formidablement enrichissant. Les prolétaires des montagnes mélangèrent leur musique traditionnelle huayno avec la cumbia colombienne (le pendant latino du reggae, si l’on veut), ainsi qu’avec les sons surf et psych-rock qui émergeaient dans le monde entier, avec profusion de guitares distordues et d’orgues Farfisa groovy. Ce nouveau style péruvien fut baptisé chicha, du nom du fameux alcool de maïs de couleur violette consommé dans la région depuis l’époque des Incas.
Comme son nom le laisse deviner, la chicha est avant tout une musique festive. Puis, la première moitié des deux douzaines de titres de cette excellente compilation penche bien sûr vers le romantisme. Cette musique demeure néanmoins celle de la classe ouvrière, provenant d’un lieu et d’une époque de grande instabilité. Fondée en 1977 par Juan Campos Muñoz, entrepreneur et mélomane de Lima, l’étiquette Discos Horoscopo saisissait le pouls musical et politique du Pérou. Comme le suggèrent des titres comme Clase Social et Pobre Cada Dia Mas Pobre (Plus pauvre chaque jour), les chicheros étiquetés « Horoscopo » n’hésitaient pas à partager leurs griefs économiques en roulant férocement leurs « r ». Certains des musiciens qui figurent ici furent presque des superstars, au Pérou. D’autres, comme Los Shapis, sont toujours actifs. De fait, les auditeurs qui commanderont l’un des 150 premiers exemplaires « vinyle » de cette compilation recevront, en prime, un album sept pouces de Los Shapis avec la chanteuse Nohemi, la reine de la chicha, parfois surnommée la « Kate Bush des Andes ».
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