Depuis une dizaine d’années, plusieurs groupes hardcore ont emprunté des sentiers relativement peu fréquentés par leurs prédécesseurs, s’appropriant librement des influences black metal, post-punk et noise, et s’inspirant de quelques ancêtres plus étranges, bruyants et hors normes (Flipper, Electric Eels, Rudimentary Peni, au choix). Adoptant souvent une imagerie occulte à la signification incertaine ainsi qu’une production lo-fi, la plupart de ces groupes sont restés confinés dans la marge de la marge. C’est dans ce contexte qu’est apparu Raspberry Bulbs même si ses membres font du bruit depuis bien plus longtemps et que leurs albums sont parus sur des étiquettes réputées comme Blackest Ever Black et Relapse, ce qui leur a assuré une certaine visibilité.
Dès ses débuts il y a plus de dix ans, la formation de New York a misé sur une formule dont elle s’est bien peu écartée par la suite : un punk incisif, parfois vacillant, passé à la moulinette du garage et du noise rock, comme si Black Flag s’alliait aux Brainbombs le temps d’une bataille de ruelle. Mais cette description, aussi valable soit-elle, oublie l’essentiel, c’est-à-dire cette empreinte black metal qui est évoquée à chaque fois qu’il est question de Raspberry Bulbs. Sur Before the Age of Mirrors, cette marque du diable est révélée par une métaphysique inexplicable et un réseau de significations imprécis livrés à l’interprétation des initiés. Elle se manifeste dans les détails et les détours, dans cette voix à la fois tourmentée et menaçante, dans cette façon de traiter sérieusement de sentiments dérangeants, dans l’iconographie occulte (sur fond rose, par contre), dans les intermèdes mystérieux, dans cette chorale lugubre qui teinte l’introduction et dans les inquiétants feedbacks. Tout ça induit une atmosphère qui évoque effectivement le côté malsain du métal noir. Les paroles contribuent elles aussi à définir cette ambiance : suffocation, crainte d’un péril imminent, nécessité de fuir, impuissance, confusion, effondrement et ruines sont les thèmes qui alimentent cette machine s’enfonçant vicieusement dans la noirceur du monde.
Avant d’être un groupe, Raspberry Bulbs semble être une idée encadrée par des contraintes, des principes et des consignes très claires. Une telle démarche comporte des limites et certains auditeurs qui n’ont pas toutes les clés pour décoder les références risquent de se tourner vers des groupes qui n’exigent pas les mêmes prérequis pour être appréciés en entier dès le départ. D’autres n’y verront que redondance et recette puisque ce nouveau chapitre offre bien peu de nouveauté en dehors de quelques références, volontaires ou non, au punk anglais du début des années 80. Reste que le groupe balance assez de bons riffs sur Before the Age of Mirrors pour qu’on s’y attarde sérieusement.