Le Quatuor Arcadia poursuit son excellente intégrale des 17 quatuors de Mieczysław Weinberg, compositeur du 20e siècle que l’on connaît, et reconnaît, de plus en plus. Un génie de l’ordre de Chostakovitch, avec lequel il partage un même univers sonore, sans jamais lui apparaître inférieur. Au contraire, il est de plus en plus admis que Weinberg a peut-être inspiré Chostakovitch dans l’écriture de certaines œuvres.
Le quatuor no 6 op. 35 a été écrit en 1946. Il porte encore les stigmates de la guerre, dont la noirceur dramatique teinte pleinement la partition. Tellement que rien à l’époque ne ressemblait à cela dans la musique soviétique, pas même chez Chostakovitch. D’ailleurs, ce quatuor allait se retrouver peu après sur la liste de musique non-recommandable du pouvoir communiste. Il n’a en effet jamais été joué du vivant du compositeur. C’est une oeuvre ample, de souffle beethovenien et de couleur instrumentale souvent audacieuse et piquante. Parfois lugubrement panoramique, ailleurs sauvagement énergique, c’est une tragédie en six actes, dont quelques-uns, tel le 5e, nous offrent une véritable leçon de jeux texturaux et coloristiques.
Le Quatuor no 13 op. 118 et le no 15 op. 124 ont été composés après la mort de Chostakovitch, et trahissent la volonté de Weinberg d’aller harmoniquement encore plus loin que son aîné. Weinberg flirte ouvertement avec l’atonalisme, et s’en approche à un degré jamais atteint par Chostakovitch. Malgré leur caractère insaisissable, tant harmoniquement que thématiquement, les deux opus demeurent stimulants en raison de la force narrative que Weinberg réussit toujours à leur insuffler. Exigeants et complexes, jamais froids et cérébraux.
Le Quatuor Arcadia poursuit dans la veine de ses sorties précédentes, c’est-à-dire en faisant preuve d’une excellente compréhension de cette musique, d’une qualité de jeu irréprochable et surtout d’une passion expansive mais parfaitement focalisée.
Au risque de me répéter, Weinberg est LE compositeur du 20e siècle à découvrir parmi tous ceux qui restent encore dans l’ombre des grands noms plus fréquemment joués en concert. Quel monde sonore emblématique du siècle dernier avec ses grincements, ses ténèbres, mais aussi sa lumière qui perce malgré tout le voile sombre du drame. Weinberg nous capture tout entier et nous retient dans ses filets expressifs. On est scotchés aux tableaux désolés, faussement placides, qu’il dessine. Et puis, tout à coup, il nous trimballe sans retenue, à grand galop effréné, maniaque, vers un objectif insoupçonné, avant de nous relâcher, seuls et désemparés. Le cinéma ne ferait pas mieux. Weinberg est un must absolu pour tous ceux et celles qui aiment Chostakovitch et en voudraient toujours plus.