Alexandre Tessier décrit son travail comme la composition sonore de paysages dystopiques. Il est vrai qu’à l’écoute de son dernier album, on ressent le legs de pionniers tels Vangelis sur la trame de Blade Runner. Mais au-delà des comparaisons, Temps est une œuvre subtile, envoûtante et adaptée à l’imaginaire science-fictif d’aujourd’hui.
Temps mêle un travail analogique et numérique, superposant l’ancien au moderne sans discontinuité. Cela rappelle l’inévitable retour à un mode de vie de Lo-Tek (low technology) présagé par de nombreuses dystopies, un minimalisme imposé qui suivrait notre époque de croissance infinie. Tessier invente ainsi un univers où la désintégration de la nature par l’entreprise humaine n’a d’égal que le renouveau organique faisant taire la technologie. Dans les quatre pièces, les sons de synthèses coexistent avec des références très nettes à la nature, accentuant cette boucle de rétroaction.
‘Amont’ démarre sur les interactions diffuses et naïves d’enfants, rapidement englouties par le bourdon grave des sons de synthèse. La musique se développe ici dans la lenteur et par des changements graduels, une méthode privilégiée du compositeur tout au long de l’album. Puis, on entend peu à peu le bruit blanc du monde technologique prendre le dessus sur la pluie et les chants d’oiseaux de ‘Laurentides’. Dans ‘Fugit’, le moteur vrombissant d’une voiture se perd dans les évolutions contemplatives des synthétiseurs, alors qu’un bruit saturé et grésillant tente de combattre et supplanter la quiétude du tableau, ce qui finit par se produire de manière très progressive. L’album se termine avec ‘Aval’, pièce la plus bruitiste du lot, mais qui dégringole tout de même vers le statisme d’un accord mineur, puis vers le néant.
Ainsi, l’album se termine sans qu’on ait pu trouver vainqueur, ni dans le monde naturel ni dans le monde artificiel. L’espace sonore liminal créé par Alexandre Tessier nous rappelle plutôt de la fragilité de ces concepts, tout comme des infrastructures technologiques créées de main humaine. Chaotique et apaisant, Temps permet fait rêver d’un épilogue aux troubles cataclysmiques que notre mal du siècle fait pressentir.