Ziad Rahbani selon Lara Rain

Entrevue réalisée par Alain Brunet

À l’instar de ses mythiques parents, la grande Fairuz et le compositeur Assi Rahbani, Ziad Rahbani est un artiste crucial du Liban contemporain. Lara Rain compte bien le démontrer au FMA !

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Fils de la mythique Fairuz et du tout aussi légendaire compositeur Assi Rahbani, Ziad Rahbani est un artiste libanais hors du commun : metteur en scène, comédien, pianiste, compositeur très doué… et très atypique. Ses métissages inédits de musiques classiques arabes, jazz moderne, funk et musique contemporaine de tradition occidentale sont encore peu connues hors du Levant. Mieux vaut tard que jamais ? Tôt ou tard, l’œuvre de Ziad traversera toutes les frontières. Voici une occasion de la découvrir au Festival du monde arabe : pendant un moment, la chanteuse Lara Rain fut son interprète de prédilection. Installée à Montréal depuis l’hiver dernier, elle est la courroie de transmission idéale pour que l’œuvre de Ziad Rahbani fasse son chemin en terre montréalaise.

PAN M 360 : Comment voyez-vous les révolutions musicales de Ziad ? Quelles sont-elles plus précisément selon vous ?

LARA RAIN : Je n’ai pas vraiment connu Ziad en grandissant. Née à Montréal, j’ai été entourée par une autre culture. Même rentrés au Liban, nous parlions le français à la maison. Ma mère produisait ses propres pièces de théâtre pour enfants en chantant en français. Mon père avait son propre groupe de rock et chantait en anglais. Je n’écoutais pas du tout la musique arabe, que d’ailleurs je n’aimais pas du tout. Ziad Rahbani, je ne le connaissais que de nom. En grandissant, et surtout lors de mes années à l’université, j’ai découvert l’impact et l’influence qu’il exerçait sur les Libanais de tous âges. Ses pièces de théâtre font partie du patrimoine culturel et sa musique est dans toutes les maisons. Mais moi, je l’ai connu en tant que personne d’abord, avant de connaître sa musique et son théâtre. Puis, petit à petit, il m’a montré ce qu’il faisait… Je me souviens des séances en studio où il me faisait écouter ses disques. Je lui disais « c’est tellement beau! » et ça le faisait rire de me voir découvrir des choses que tout le monde connaissait déjà. Et puis, c’est à travers ses fans, les gens qui venaient nous écouter, les messages que je reçois, que j’ai réalisé combien son impact est immense. Ziad, ce n’est pas seulement un musicien hyper doué, Ziad, c’est un message, une façon d’être, une révolution en lui-même.

PAN M 360 : Que pensez-vous de cette personnalité présumément atypique de Ziad ?

LARA RAIN : Il trouvait ça bizarre quand je lui disais que je n’étais pas intéressée par la politique. « Tu as regardé mon interview hier soir? » disait-il. Et je répondais : « un peu, au début… tu sais, je n’aime pas la politique, Ziad. » Alors, il s’écriait : « Mais, tu chantes avec moi! » Mon ignorance politique (voulue) le faisait rire. Moi je répondais que j’aimais sa musique et puis c’est tout. La vérité, c’est qu’on ne peut pas vraiment séparer la musique de Ziad d’avec l’idéologie de Ziad. C’est un seul et même monde. Comme je l’ai déjà dit, Ziad est une révolution en soi. J’adore sa façon de penser ! Jouer dans des bars underground et sur la scène de grands festivals, c’est sa façon de dire que la musique, c’est pour tout le monde. S’il le pouvait, il aurait joué un peu partout, gratuitement. Un jour, il m’a donné une grosse caisse pleine de CD. Il m’a dit : « Distribue-les, donne-les aux gens. Il faut que tout le monde ait la chance d’écouter de belles chansons. » Pour moi, Ziad, c’est la musique, les arrangements qui me donnent la chair de poule, les paroles si simples et si vraies. Ziad, c’est l’artiste un peu fou, hyper intelligent, imprévisible, (parfois) têtu, très sensible, avec ses yeux espiègles et un sens de l’humour unique. Un homme au cœur d’enfant.

PAN M 360 : Comment avez-vous fait connaissance avec Ziad ? Étiez-vous à Montréal (ou au Canada) avant de vous retrouver à Beyrouth ? Comment en êtes-vous venue à travailler avec lui ?

LARA RAIN : J’ai amorcé ma carrière à Montréal. Je trimballais mon piano numérique dans des bars et restaurants et je chantais mes propres compositions. J’étais rentrée en 2007 à Beyrouth pour passer Noël en famille et jouer un concert. C’est comme ça que Ziad Rahbani a entendu ma voix pour la première fois… il m’a demandé de venir dans son studio. J’ai joué sur son piano, on a discuté de tout et de rien et puis il m’a demandé de chanter avec lui dans son concert suivant. Et celui d’après, et celui d’après… Je ne suis plus retournée à Montréal. Cette rencontre-là, je pense que c’était surtout une rencontre d’âmes. Nous venons de deux mondes différents et nous sommes éloignés culturellement. Mais, il m’a comprise et je l’ai compris. Il a été épris de ma voix et moi de sa musique.

PAN M 360 : Comment Ziad vous a-t-il impliquée dans son travail de création ?

LARA RAIN : J’ai toujours été quelqu’un de très timide, pas très sûre de moi-même. Ziad a joué un rôle très important pour construire ma confiance en moi-même. Au début, je chantais des standards jazz avec lui, en anglais. Parfois, je ne les chantais pas exactement comme les originales, le jazz étant dans le temps un style nouveau pour moi. Mais ses remarques étaient toujours encourageantes.  « J’aime beaucoup comment tu t’es appropriée la chanson. » Son attitude envers moi m’a permis d’explorer ma voix sans avoir peur. Deux ans après nos débuts, il a voulu produire mes propres chansons. Nous avons commencé à enregistrer sa préférée dans son studio. Cette année-là, il m’a aussi produite en concert. Je n’avais jamais chanté mes chansons devant tellement de monde ! Nous n’avons malheureusement jamais terminé ce projet, mais nous en avons démarré un autre ! L’enregistrement de ses chansons avec ma voix ! Un autre projet qui n’a jamais vu le jour. Et puis, Ziad a voulu que je commence à chanter en arabe… les classiques de sa mère.

Chanter Fairuz… c’était une grosse responsabilité pour moi ! Or, je ne chante pas les quarts de ton et je ne prononce pas l’arabe comme les autres. « Je ne veux pas que tu chantes les quarts de ton, je veux que tu chantes avec ta voix, ton style à toi. Ce qu’il a fait au final, c’est renforcer mon style au lieu de le changer. C’est me le faire découvrir à moi-même et m’apprendre à l’aimer et à le voir comme un point fort, au lieu d’une limite. Comment m’a-t-il impliqué dans son travail de création ? Sans essayer de me changer, tout simplement. En développant mes atouts pour les ajouter aux siens. Et aussi en me demandant, très humblement, si j’aimais ce qu’il jouait sur son piano. Mais on connaît tous la réponse à cette question!

PAN M 360 : Quels styles musicaux avez-vous explorés à ses côtés ?

LARA RAIN : Tous, vraiment tous. Ziad, c’est ma plus grande école musicale. C’est à cause de lui qu’aujourd’hui j’écoute de la musique arabe. Mais bon, pas n’importe laquelle : seulement du Fairuz et du Ziad Rahbani . Il a une façon unique de mélanger la musique libanaise avec le jazz. Un échange de cultures qui parle à mon cœur.

PAN M 360 : Depuis quand êtes-vous rentrée à Montréal ?

LARA RAIN : Je suis arrivée à Montréal en février 2020 pour accompagner mon fiancé dans sa tournée. Il est musicien, lui aussi. Nous avions planifié de nous marier ici avec ma famille, puis de rentrer au Liban pour célébrer avec sa famille. Mais les circonstances ne l’ont pas permis et nous avons fini par nous installer à Montréal… La ville nous a très bien accueillis, Montréal a toujours été ma belle escapade au fil des années, j’ai toujours voulu revenir ici. Mon mari jouera d’ailleurs à mes côtés ce 28 novembre. D’ailleurs, c’est lui qui a pris en charge l’aspect musical du concert. Il travaille très fort pour ce spectacle, à mes côtés.

PAN M 360 : Quel est votre état d’esprit quant à la situation actuelle au Liban, la révolte de la jeunesse,  le mouvement anti-corruption, l’explosion de l’été dernier, etc. ?

LARA RAIN : Avant de rentrer au Canada, j’étais presque tous les jours dans les rues du Liban, mon drapeau à la main. Je n’ai jamais été patriote, mais la révolution a éveillé en moi ce sentiment d’appartenance. Nous avons absolument besoin de changement ! Les jeunes ne veulent plus rien savoir de tous ces partis politiques qui ne font que nous séparer en montrant nos différences. Il est temps de construire un pays sur des croyances communes. Nous avons tellement de ressemblances, nous voulons les mêmes choses : vivre avec dignité et avoir un gouvernement honnête et fiable. Les Libanais ont été volés pendant des années. La corruption du pays me dégoûte. L’explosion… me laisse sans mots. Tout ce que je peux dire, c’est que je garde espoir, qu’un jour nous pourrons tous retourner dans ce beau pays… qu’un jour je produirai une autre pièce de théâtre là-bas, que je reverrai tous ceux qui (comme moi) ont dû partir, et que le Liban redeviendra ce qu’il a jadis été.

PAN M 360 : Quel sera le répertoire de Ziad au programme du FMA ?

LARA RAIN : Je vais surtout chanter les chansons que j’ai déjà interprétées aux côtés de Ziad. Il y en a d’autres qu’il m’avait demandé de préparer mais qu’on n’a jamais chantées ensemble. En les travaillant, je l’imagine toujours assis devant moi et comment il aurait aimé les écouter. Il me manque beaucoup depuis qu’on a commencé les préparatifs ! Chanter Ziad sans Ziad… ça me rend mélancolique et nostalgique.

PAN M 360 : Des classiques de Fairuz au programme ?

LARA RAIN : Oui, bien sûr ! En plus des belles chansons que Ziad Rahbani a écrites pour sa mère, je chanterai aussi des classiques composés par son père (Assi) et son oncle (Mansour).

PAN M 360 : Comptez-vous interpréter vos propres chansons ?

LARA RAIN : J’ai écrit beaucoup de chansons durant mon parcours. La plupart ont été retransformées et font maintenant partie de mes comédies musicales. Mais je n’en chanterai que deux durant le concert : la première chanson que j’ai écrite en arabe et la chanson préférée de Ziad, la première qu’il m’a demandé d’enregistrer dans son studio. J’aimerais d’ailleurs remercier le Festival du Monde Arabe pour cette belle opportunité ! J’ai toujours rêvé de revenir à Montréal, ma ville natale, avec Ziad. J’ai aussi toujours voulu faire un spectacle à la Place des Arts. À cause des circonstances actuelles, la situation n’est pas exactement ce que je m’imaginais… une salle vide et Ziad au Liban. Mais le festival a trouvé une belle solution à tout ça… et ma famille au Liban ainsi que Ziad pourront visionner le spectacle en ligne. 

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