L’opéra Yourcenar – une île de passions : notes intimes avec le compositeur Éric Champagne

Entrevue réalisée par Frédéric Cardin
Genres et styles : opéra contemporain

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Yourcenar, une île de passions est le prochain opéra québécois qui sera créé. Les 28 et 30 juillet prochains à Québec, puis les 4 et 6 août à Montréal, le public d’ici aura la chance de prendre connaissance d’une vision intime de la vie de la grande écrivaine Marguerite Yourcenar (1903-1987), autrice entre autre du chef-d’oeuvre Mémoires d’Hadrien, l’un des grands romans de 20e siècle. Sur un livret signé Hélène Dorion et la regrettée Marie-Claire Blais, le compositeur Éric Champagne s’est attelé à insuffler une vie musicale et une transcendance psycho-émotionnelle au regard respectueux, mais très intime, porté sur la vie unique de cette femme hors normes. Pan M 360 s’est entretenu avec Éric Champagne afin de mieux anticiper ce que le public pourra voir et entendre.

Éric Champagne

Pan M 360 : À quelques jours de la création de l’opéra, comment se sent-on en tant que compositeur?

Éric Champagne : J’étais plus calme en début de semaine, mais à mesure que les jours avancent, une petite anxiété se manifeste, je dois dire. Mais rien de menaçant. Je suis entouré d’une équipe extraordinaire. Je suis particulièrement enthousiasmé par le travail de la metteure en scène Angela Konrad. Elle me fascine! Elle qui était très discrète au début du processus est désormais la maîtresse d’œuvre absolue du projet et je sens qu’elle va le conduire à bon port. Et ce qui me fait le plus plaisir, c’est qu’elle sait lire la musique. Elle est capable de dire aux chanteurs ‘’ici, à la mesure no. tel, sur l’accord de ré majeur, vous devriez faire ceci…’’. Wow!! Combien de metteurs en scène peuvent faire ça à l’opéra? Ce que ça veut dire aussi, c’est qu’elle comprend mes intentions, et que les chanteurs sont en confiance car elle parle leur langage. Franchement, c’est super.

Pan M 360 : À quel point connaissiez-vous Marguerite Yourcenar avant d’entreprendre l’écriture?

Éric Champagne : Je connaissais assez bien Mémoires d’Hadrien que j’ai lu à plusieurs reprises. C’est l’un de mes livres préférés. Mais à propos de sa biographie personnelle, et exception faite des grandes lignes comme son entrée à l’Académie française en tant que première femme acceptée, je ne connaissais à peu près rien. Évidemment, le projet m’a forcé à plonger dans son univers intime et dans ses drames personnels.

Pan M 360 : Avez-vous été touché par des points précis?

Éric Champagne : Oui, j’ai trouvé une grande résonance avec certaines de mes propres préoccupations, c’est-à-dire la difficulté de concilier vie créatrice et vie amoureuse. Pour elle, ce fut un combat de tous les jours, rarement gagné. Soit elle plongeait dans sa création et négligeait sa vie amoureuse, ou au contraire elle tentait de nourrir sa vie sentimentale mais son œuvre en pâtissait. Je trouve également cette conciliation difficile.

Pan M 360 : Qu’est-ce qui clochait, selon vous? Pourquoi elle n’y arrivait pas?

Éric Champagne : Comme on dit parfois, elle voulait tout, le beurre et l’argent du beurre. Quand elle avait un élan créatif, elle y plongeait totalement, sans demi-mesure, au risque de dommages collatéraux importants. Elle vivait à fond, toujours dans les extrêmes, incapable de s’asseoir quelque part au milieu et d’équilibrer les choses.

Pan M 360 : Comment est découpé l’opéra? Sur quel point focal est-il concentré?

Éric Champagne : L’opéra est divisé en deux parties qui traitent d’autant de relations intimes fondamentales qu’elle a eues dans sa vie, soit celle avec Grace Frick, la principale, celle qui a occupé la majeure partie de sa vie, et celle, en fin de vie, avec Jerry Wilson. Il y a donc deux actes, le premier débutant au moment de la mort de Grace et au cours duquel de nombreux flashbacks sont utilisés pour illustrer l’évolution de cette relation, des échos à la jeunesse de Marguerite, son errance européenne, etc.. Puis le deuxième acte, en temporalité linéaire celui-là, traite des dernières années de Yourcenar, passées aux côtés de son jeune assistant, également compagnon. Une relation tumultueuse celle-là. 

Pan M 360 : Quel élément vous a guidé pour trouver la voix/voie musicale de l’œuvre? Sur quel pivot thématique, idéologique ou autre vous êtes-vous basé pour écrire la partition?

Éric Champagne : Ce qui m’a permis de me lancer, c’est une anecdote tirée de sa biographie. Le véritable nom de Yourcenar est Crayencour. De son patronyme de naissance, elle a créé un anagramme presque parfait avec Yourcenar (il manque un C). Ça m’a amusé de penser qu’elle avait joué avec son nom pour se créer une personnalité de toutes pièces, une identité ‘’autre’’. À partir de là, j’ai eu l’idée de jouer avec les notes comme avec l’anagramme. Un peu à l’image des compositeurs de la Seconde école de Vienne qui inséraient des dédicaces cachées grâce à un système de notes associées à des lettres, je me suis fabriqué une gamme-alphabet qui m’a permis de développer des motifs associés à Yourcenar, ou à Crayencour, puis d’autres liés aux autres personnages de l’opéra. J’ai du coup ressenti un lien avec Marguerite car elle aimait jouer avec les lettres et les mots, un peu comme je l’ai fait avec les notes.

Pan M 360 : La trame finale est plutôt tonale ou atonale?

Éric Champagne : C’est particulier parce que c’est au final un opéra consonant mais avec peu d’épisodes tonaux. Il y a de la consonance et de la dissonance, mais pas dans une structure tonale fixe. Je trouve que ça fonctionne bien parce que l’univers de l’œuvre est, à mon avis, très proustien. On plonge dans une psychologie très fine, ce qui permet beaucoup d’introspection et de subtilités musicales. C’est finalement assez feutré et mélancolique.

Pan M 360 : C’est l’ensemble Les Violons du Roy qui sera dans la fosse d’orchestre. Quel défi d’orchestration cela vous a-t-il imposé?

Éric Champagne : L’avantage principal est que je pouvais utiliser l’orchestre au complet, dans des tuttis, sans avoir peur de noyer les chanteurs! Avec un orchestre de chambre comme les Violons, j’ai pu utiliser toute la palette offerte sans crainte. Le désavantage, c’est que j’ai une pensée symphonique en général. À certains moments je me disais ‘’ ici, j’aimerais bien avoir 4 cors!! ‘’. J’ai donc dû me limiter, mais sans trop de difficulté. Je me suis senti un peu comme dans la peau d’un Benjamin Britten et de ses fabuleux opéras de chambre. Le gabarit est à peu près le même, et la durée aussi (environ 2 heures). Et puis, le sujet était en parfaite adéquation avec ce format réduit, comme je l’ai dit plus tôt. Peut-être qu’avec un autre sujet, ça aurait été problématique, mais pas ici.

Pan M 360 : Y a-t-il eu des difficultés particulières à surmonter pour créer la connexion avec le livret?

Éric Champagne : Non, pas vraiment. Il y a eu un peu d’évolution bien entendu, quelques ajustements, mais sinon tout s’est très bien passé. J’ai découvert par le fait même que Marie-Claire avait une grande culture d’opéra! Je ne m’y attendais pas, je l’avoue. Avec son look de cuir, je m’imaginais qu’elle écoutait plutôt Marjo ou Gerry Boulet (peut-être en écoutait-elle aussi, rien n’empêche), mais j’ai découvert une femme qui pouvait me parler de telle production de La Traviata en 1979 à Paris, avec tel metteur en scène! On a bien connecté. Pour Hélène, ce n’était pas une surprise puisque je la connais déjà et je sais qu’elle aime l’opéra. Je dirais qu’à un moment, quand j’ai proposé de faire un trio, j’ai vu le réflexe des femmes de théâtre se manifester. Elles ont commencé par dire ‘’ trois personnages qui parlent en même temps? Mais comment on fera pour comprendre? ‘’, ce à quoi le compositeur à évidemment répondu ‘’ à l’opéra, ce n’est pas un problème. Rendu là, c’est la musique qui fait la job!’’. Mais, en général, ce fut facile et agréable.

Pan M 360 : Quelles impressions du casting? 

Éric Champagne : Oh, les chanteurs sont fantastiques! Tout le monde est hyper impliqué. Stéphanie Pothier, qui incarne Marguerite, est imprégnée du personnage. Elle a lu et relu des biographies, s’est plongée dans tout ce qu’elle pouvait pour comprendre parfaitement sa psychologie. Elle connaît le rôle par cœur, et bosse sans relâche car c’est un rôle plutôt athlétique. Elle est sollicitée pendant presque les deux heures entières du programme. Kimy McLaren dans le rôle de Grace est tout aussi admirable. Elle a déniché une biographie de cette dame (je ne savais même pas que ça existait!) et s’en est aussi abreuvée. Ça fait chaud au cœur de voir ce genre d’implication et de travailler avec des artistes de cette trempe.

Pan M 360 : On vous sent enthousiaste. Écrire d’autres opéras, ça vous trotte dans la tête maintenant? Quels sujets vous intéresseraient?

Éric Champagne : C’est drôle parce que, justement, je me suis récemment fait une liste de sujets d’opéras que j’aimerais faire un jour. Évidemment, la première chose que j’ai comprise, c’est que je n’aurai pas assez d’une vie pour tout écrire! Mais la chose qui est ressortie également, c’est que j’aimerais amener sur la scène lyrique des sujets rarement traités dans ce médium. Par exemple le fantastique, ou le policier. Je me demande parfois pourquoi n’y a-t-il pas d’opéra faisant de la science-fiction ou de l’horreur? Pourquoi n’y a-t-il aucun opéra basé sur une nouvelle d’Agatha Christie? On dit que le cinéma a remplacé l’opéra au début du 20e siècle. Mais celui-ci a traité de tous ces sujets, et pas l’opéra. Le temps est peut-être venu de franchir ce pas, d’oser aborder ce genre de sujets. Je suis un fan d’Hitchcock et je pense à deux ou trois titres qui feraient d’excellents opéras. J’aimerais aussi que l’on explore plus profondément nos œuvres littéraires et théâtrales québécoises afin d’en faire, aussi, des œuvres lyriques. Il y a une tonne de bon matériel.

Pan M 360 : Que les dieux de l’opéra vous entendent et vous soient favorables!

Distribution et équipe de production :

MARGUERITE : Stéphanie Pothier

GRACE : Kimy Mc Laren

JERRY : Hugo Laporte

DANIEL : Jean-Michel Richer

UN CAPITAINE : Pierre Rancourt

UNE CHANTEUSE : Suzanne Taffot

CHEF : Dina Gilbert

METTEUR EN SCÈNE : Angela Konrad

COMPOSITEUR : Éric Champagne

LIBRETTISTES : Hélène Dorion & Marie-Claire Blais

DÉCORS : Anick La Bissonnière

COSTUMES : Pierre-Guy Lapointe

ÉCLAIRAGES : Sonoyo Nischikawa

VIDÉO : Alexandre Desjardins

COPRODUCTION : Opéra de Montréal / Festival d’opéra de Québec / Les Violons du Roy

En français avec surtitres français et anglais

Durée:

1ère partie:1 h

entracte: 20 minutes

2e partie : 55 minutes

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