Wake Island: Libanais de la pop électro « nés pour quitter » vers…

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : électronique / moyen-oriental / pop / techno

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Wake Island,  duo de producteurs électroniques montréalais, vient de sortir l’album Born To Leave. Constitué de Philippe Manasseh et Nadim Maghzal, deux Libanais ayant fait connaissance à Montréal dans les années 2000, le tandem s’inspire de ses racines moyen-orientales qu’il intègre à des rythmes technoïdes, aussi à de la pop anglo-américaine ou française.

Au-delà de cette triple identité culturelle parfaitement identifiable, l’album Born To Leave se veut résolument pop. Chaque chanson de l’album aborde une facette différente de cette trajectoire typique de la transhumance mondiale. Interprété en trois langues (français, anglais et arabe), Born To Leave est traversé par les ambiances de diaspora, par cette confusion des sentiments vécus quotidiennement par ceux qui sont « nés pour quitter ».

Soutenu par les communautés montréalaises et new-yorkaises, aussi par les scènes moyen-orientales et nord-africaines, sans compter la scène LGBTQ, Wake Island est aussi une force rassembleuse à qui l’on doit  LayLit, un concept à géométrie variable de soirée dansante dont l’objet est de  valoriser la diversité musicale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. 

PAN M 360 : Avant Wake Island, vous formiez un groupe indie rock, et puis les choses ont tourné vers l’électronique. Racontez!

NADIM MAGHZAL : On va commencer avec notre switch en 2015-2016.  On ne connaissait pas vraiment la musique électronique, on a vécu une sorte de révolution. Nous sommes allées à Mutek, nous sommes allés dans des clubs à Berlin, puis je me suis installé à New York. Nous avons alors observé qu’il y a avait un changement de cap dans l’underground. Cela coïncidait avec l’arrivée de Trump au pouvoir. Beaucoup moins de bands, beaucoup plus d’électronique. Ce qui se passait dans l’underground de New York, c’était un peu en réponse à Trump, au racisme contre les Noirs, Arabes ou Iraniens, au bannissement des musulmans et à la réprobation de la communauté LGBTQ. On a vu que les communautés opprimées voulaient danser : Noirs, femmes, immigrants, LGBTQ… avaient besoin d’espaces pour s’affirmer. Ça nous a donné envie d’explorer l’histoire de la techno Détroit et de la house à Chicago dans les années 80 et 90. C’était révolutionnaire dans ces villes, le mouvement s’était rapidement déplacé en Europe. C’était devenu européen, anglais, allemand, suédois. Ainsi, nous avons commencé notre soirée Lay Lit à New York, une plateforme au-delà des activités de Wake Island.

PHILIPPE MANASSEH :  Nous sentions qu’un espace culturel manquait dans tout ça, un espace exclusivement musique, pas exclusivement basé sur l’identité ethnique ou l’orientation sexuelle. On ne voulait pas jouer à ce jeu-là, même si plusieurs aspects de ce mouvement nous intéressaient. Nous étions encore plus motivés à créer un espace centriste où on pouvait ramener ces mêmes gens qui allaient dans les soirées identitaires et aussi Arthur Archambault, monsieur tout le monde. En arabe, Lay Lit, en arabe, veut dire une nuit. On voulait d’abord regrouper la communauté arabe internationale, et c’est à New York que ça a commencé. Du coup, nous voulions nous éduquer nous-mêmes et connaître mieux la musique du monde arabe et de sa diaspora, l’organisation de cette soirée nous a forcés à faire des recherches. À New York, la soirée a vraiment bien marché, une communauté s’est constituée, à tel point qu’on a dû changer de salle trois fois parce qu’il y avait trop de monde. On  pouvait se permettre de booker des DJs américains, des DJ du monde arabe et des artistes hip hop du Moyen-Orient. On était en discussion avec une grande salle à New York et tout s’est arrêté avec la pandémie. On espère pouvoir reprendre ça cet automne. On a déjà fait Lay Lit quelques fois  fois à Montréal, dans le cadre de vastes événements comme la Nuit Blanche et M pour Montréal.   

PAN M 360 : Que trouvez-vous d’avantageux de produire de la musique électro plutôt que du rock?

NADIM MAGHZAL : L’essence de la techno nous a vraiment inspirés à écrire nos chansons d’une autre façon. C’était aussi plus pratique : j’étais à New York et Philippe à Montréal, on faisait des séances à distance avec des outils comme Ableton, on adorait aussi l’aspect démocratique de la chose. Avant Wake Island, nos enregistrements  avaient nécessité la location d’un avec de l’équipement cher. On a trouvé alors que c’était  plus intéressant d’utiliser des ordinateurs et  des plugins et de produire un son de qualité malgré les contingences. Puis on a pu tourner partout dans le monde avec peu d’équipement, guitare et ordinateurs.

PHILIPPE MANASSEH : On a commencé à l’écrire en 2018, puis on l’a terminé, masterisé début 2019. Tout se faisait entre Montréal et New York.  Tout a été enregistré dans nos appartements, dans nos chambres.

NADIM MAGHZAL : J’ai vécu principalement à New York , trois ans à Brooklyn, un an et demi à Manhattan, Washington Square Park, près de NYU où ma femme faisait son post-doctorat. Maintenant, je suis de retour à Montréal, Zoé est prof à l’UQAM et fait de la recherche en biochimie. J’adore cette ville, notre projet a commencé ici et ça reste très proche de New York où on a tissé un réseau. 

PHILIPPE MANASSEH : Nous aimons présenter la  musique arabe sous toutes ses formes, on parle de dance, de rock, de hip hop ou d’électro. Qu’on arrête de parler de world music ! Nous voulons changer cette image et pensons même à présenter un festival arabe différent. Y a rien contre le côté traditionnel du monde arabe mais il faut aussi présenter les artistes d’aujourd’hui. Leur bouillonnement actuel rappelle beaucoup l’ambiance des grands moments du rock américain. Donc on va chercher  la musique dans des pays comme la Palestine, l’Irak, le Liban… y a quelque chose de percutant qui s’y passe. 

PAN M 360 : Votre nouvel album vous aurait  fait beaucoup réfléchir à votre identité. De quelle façon?

NADIM MAGHZAL :  L’intérêt de Born to Leave se fonde sur une réflexion sur notre vécu en tant qu’immigrants. Ce que la soirée LayLit nous a permis de réaliser, c’est que nous n’étions pas les seuls. Pendant longtemps, à Montréal, nous avions un sentiment d’être des moutons noirs, même si nous nous inspirions des musiques qui nous entouraient. Nous faisions du rock et nous ne comprenions pas pourquoi ça ne marchait pas trop. Et ce que nous avons ressenti avec LayLit c’est qu’il y avait beaucoup d’autres créateurs qui  partageaient notre histoire, et ça nous faisait du bien de nous retrouver tous dans la même salle. Nous voulons apporter quelque chose de frais avec Lay Lit et Wake Island. Nous ne voulons pas regarder en arrière mais plutôt vers l’avenir. Bien sûr, il est important de conserver les traditions, mais il est possible d’être un groupe arabe et aussi de chanter en anglais ou en français. Ça tombe dans la pop mais nous insérons plein d’ornements arabes.  

PAN M 360 : Votre approche est très pop, en fait. Cherchez-vous à atteindre le grand public?

PHILIPPE MANASSEH :  Pour joindre un vaste public, il faut l’amadouer un peu.  Si on veut vraiment atteindre Arthur Archambault, il faut l’initier petit à petit, et nous aimons aussi la musique pop occidentale. S’il aime notre approche pop, Arthur Archambault finira par découvrir les petits détails arabes qui s’y trouvent. Avec la soirée Lay Lit, on a commencé par des tubes po, après quoi il devenait plus facile de mettre des morceaux plus audacieux, même expérimentaux. Notre public était plus enclin à la découverte parce qu’il nous faisait confiance.  Nous sommes conscients que le cerveau résiste à la nouveauté, il faut donc créer des chaînons entre les tubes de Spotify et la musique recherchée, plus pointue. Si on arrive à faire le lien en mettant un solo de oud  dans une track techno comme c’est le cas dans notre nouvel album. La pop est pour moi une envie  de parler à un maximum de gens, mais pas nécessairement d’être connu ou glamourisé. On veut donc réunir les conservateurs et les progressistes, on veut être les Joe Biden de la musique !  (rires).  

PAN M 360 : Votre approche de la production n’en demeure pas moins électronique. Expliquez-nous :

PHILIPPE MANASSEH :  Pour le nouvel album, tous les sons proviennent de logiciels et de synthétiseurs. Il n’y a aucun enregistrement audio à part les voix. Même la guitare ne passe pas par un ampli mais plutôt dans une carte son que Nadim a créée. On n’essaie pas de recréer le son d’un ampli mais bien de trouver ce qu’on peut faire avec un signal de guitare dans une carte son. 

NADIM MAGHZAL : C’est vraiment numérique. Il y a de la guitare et des voix, tout le reste est échantillonné et traité numériquement. On ne voulait même pas entrer dans le monde des synthés modulaires. 

PHILIPPE MANASSEH :  Moi j’ai une allergie aux câbles, de toute façon. Nadim s’occupe surtout des beats et des basses, moi je suis plus dans les mélodies, les voix, les synthés. De plus en plus, je m’intéresse à la mélodie, la vue d’ensemble. Mais plus ça va, on reconnaît les chansons de l’un et de l’autre, mais cela peut se confondre. Je fais les textes en majeure partie, les textes en arabe sont de Nadim. Nos textes étaient en anglais au départ, maintenant en trois langues.

NADIM MAGHZAL : Ce sont des beats programmés dans Ableton, je joue des percussions live. L’album ayant été fait à distance, certains titres ont été plus conçus par moi, d’autres par Phil, tout notre output artistique. On travaille ensemble, les textes sont de moi. Il y a beaucoup d’échanges, consultations, les idées viennent de part et d’autre.

PHILIPPE MANASSEH : Les références à la pop française des années 80 et 90, c’est moi.  J’ai beaucoup écouté Indochine, Mylène Farmer, dans mon enfance, Air dans les années 90, etc. On s’apprête d’ailleurs à faire une reprise de Catherine Lara, soit Nuit magique. On a envie de la faire exister de nouveau.

NADIM MAGHZAL : Ce que la techno nous a permis de faire plus que le rock, c’est son canevas ouvert. On peut y mélanger des trucs dedans, plus facilement, et ramener des sonorités diverses sur des pistes pré-conçues. C’est  plus ouvert et ça permet de puiser dans plus d’influences, toutes nos influences. En tant qu’artistes, nous sommes francos, anglos et arabophones, nous avons les trois identités et nous n’avions jamais réussi à les illustrer dans notre musique avant que nous choisissions la  musique électronique. Nous sommes à l’aise avec ces trois cultures, on peut puiser dans les trois.

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