Sparks : Créer des étincelles

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon

Avec la récente parution de A Steady Drip Drip Drip, le duo américain nous démontre qu’il est toujours aussi pertinent et original qu’à ses débuts il y a 50 ans.

Genres et styles : pop / rock

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Crédit photo : Anna Webber

Les Sparks sont une belle anomalie dans la petite histoire de la grande famille pop. Depuis leurs débuts sur disque en 1972 et plus particulièrement leur percée avec le désormais classique Kimono My House et la pièce maîtresse This Town Ain’t Big Enough for Both of Us en 1974, les frères Ron et Russell Mael n’ont cessé de surprendre et de se réinventer d’un album à l’autre. Légèrement étranges et anticonformistes, toujours hyper stylés, les deux musiciens ont touché à toutes sortes de styles au fil des ans, du glam-rock à l’électro-pop en passant par la bubblegum-pop, la pop baroque, la musique classique, le music-hall et la musique de film. Si le duo n’a jamais connu le succès qu’a eu Queen, avec qui on pourrait vaguement comparer les Sparks, leur influence sur la musique populaire est toutefois énorme. De Björk à New Order, de Faith No More aux Smiths et de Depeche Mode aux Franz Ferdinand – avec qui les frères Mael ont formé le groupe FFS en 2015 –, le duo de Los Angeles est ce qu’on pourrait sans gêne appeler un groupe culte.   

Aujourd’hui septuagénaires sans en avoir l’air, les frères Mael récidivent avec A Steady Drip Drip Drip, un album rafraîchissant qui fait en quelque sorte suite au précédent Hippopotamus paru en 2017, disque qui catapulta les Sparks en 7e position du palmarès britannique, 40 ans après leur dernier Top 10. 

Quel artiste au long parcours peut encore se vanter d’être toujours aussi pertinent après plus de 50 ans de musique? On les compte sur les 5 doigts de la main. On se demande alors, mais qu’est-ce qui motive encore à ce point les Sparks? Ron Mael, le claviériste à l’éternelle petite moustache, n’a pas répondu à cette question, mais il nous a parlé de ses influences, de Jacques Tati, de Leos Carax, d’esthétisme, d’humour, du nouveau Sparks et de bien d’autres choses. 

PAN M 360 : Est-ce que A Steady Drip Drip Drip suit un peu ce que vous avez fait avec Hippopotamus, c’est-à-dire un retour à des chansons plus courtes et à un format plus pop ?

Ron Mael : D’une certaine manière, oui. D’un point de vue stylistique et esthétique, ce n’est pas un changement radical. Il y a eu des albums que nous avons faits où nous avons essayé de couper complètement le lien d’avec l’album précédent et de repartir à zéro, mais nous avons senti que nous avions trouvé quelque chose de fort avec Hippopotamus, quelque chose qui nous permettrait peut-être de continuer à partir de l’ambiance ou de l’impression d’ensemble qui se dégageait du disque. Les nouvelles chansons n’ont quand même pas l’air de provenir de cet album. L’idée était d’avoir une collection de chansons de différents styles dans lesquels nous aimons travailler. On sent qu’il y a eu progression depuis cet album. Il est très difficile pour nous de le juger objectivement, mais nous pensons qu’A Steady Drip a plus de profondeur et de substance qu’Hippopotamus

PAN M 360 : Avec qui avez-vous travaillé pour le nouvel album ?

RM : Russell s’occupe de toute la production depuis nos six ou sept derniers albums. Il a un studio chez lui à environ 7 minutes de chez moi, donc c’est assez facile pour nous d’enregistrer. Nous avons travaillé avec beaucoup de grands réalisateurs par le passé, mais je pense que nous en avons appris assez pour être capables de prendre de bonnes décisions et être vraiment sans pitié quand vient le temps de choisir les chansons et ce genre de détails. Pour l’album Hippopotamus, nous avions réuni un groupe de jeunes musiciens épatants et passionnés, et qui sonnaient comme Sparks. Nous les avons donc fait venir en studio pour jouer sur les chansons les plus rock ou pop de ce nouvel album.

PAN M 360 : Sur certains morceaux, vous semblez être revenus à un son que vous aviez dans les années 70, avec plus de guitares, plus pop-rock et moins électro…

RM : Pas forcément. Il y a toute une série de styles différents sur l’album. Par exemple, Please Don’t Fuck Up My World (premier single au titre prémonitoire paru en décembre 2019), One For The Ages ou Left Out In The Cold, ce ne sont pas des chansons de « band ». Il y en a qui sont plus mordantes comme I’m Toast et quelques autres, mais l’intention n’était pas de revenir à notre son des années 70, parce que c’est tout simplement le genre de chose que nous ne faisons pas. 

PAN M 360 : Russell et vous avez toujours eu un look assez original, dans quelle mesure attachez-vous de l’importance à l’esthétique ou à l’image ?

RM : Nous ne séparons jamais la musique de l’image et de l’aspect visuel, depuis le début. Nous avons commencé à Los Angeles; les groupes de L.A. en général n’étaient que dans la musique et si vous présentiez une dimension visuelle, celle-ci était perçue comme extérieure à la musique. Nous nous sentions plus proches des groupes britanniques pour qui le côté visuel était très important. Je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui, il est tout à fait naturel pour nous de mettre l’accent sur cette dimension, tout comme sur nos personnages. 

PAN M 360 :  Est-ce pour cela qu’il y a souvent une certaine dérision dans vos paroles ? Pour contrebalancer l’aspect esthétique ? Pour montrer que vous ne vous prenez pas trop au sérieux ?

RM : Il y a de l’humour mais nous essayons toujours de donner un autre angle à nos paroles, un côté plus sérieux parce que nous voulons être pris au sérieux. Nos paroles doivent donc avoir de la profondeur, mais oui, il y a beaucoup d’humour en surface et si vous creusez plus profondément, en-dessous il y a une autre couche qui est soit douce-amère ou qui a un autre sens.

PAN M 360A Steady Drip Drip Drip est votre 24e album, et au fil des ans, vous avez fait beaucoup d’albums aux sonorités différentes, quelles sont, selon vous, vos principales influences depuis les premières années jusqu’à aujourd’hui ? 

RM : Quand nous avons commencé, nos influences étaient les Who et les Kinks des débuts. Des groupes britanniques qui étaient vraiment tape-à-l’oeil et qui écrivaient sur des sujets très précis, comme les tatouages et ce genre de choses. Mais avec le temps, nous n’avons plus vraiment l’impression de tirer autant de choses des autres groupes pour les incorporer à notre musique. Il y a eu des réalisateurs influents en cours de route, comme Giorgio Moroder avec qui nous avons travaillé à la fin des années 70 (No. 1 In Heaven et Terminal Jive) avec l’intention de donner un son plus électronique à ce que nous faisions, mais il a été bien plus qu’une influence, il a vraiment eu une grande part de responsabilité. 

PAN M 360 :  Après plus de 50 ans dans la musique, en rétrospective, de quoi êtes-vous le plus fiers ?

RM : Le simple fait de maintenir un niveau de qualité aussi longtemps est très difficile parce qu’à un certain moment, on peut se dire qu’on a fait tout ce qu’on pouvait faire et avoir juste envie de s’asseoir sur ses lauriers et sans se casser la tête de faire un album qui ressemblerait à ce qu’on a fait avant. Nous n’avons jamais fait cela, nous avons toujours été de l’avant. Le fait d’avoir fait beaucoup d’albums que nous estimons de haute qualité et de toujours avoir cherché à avancer d’une manière ou d’une autre est une chose dont nous sommes particulièrement fiers. Nous sommes également fiers que des gens suivent Sparks depuis le début et que de nouvelles personnes se joignent à notre public.

Crédit photo : Anna Webber

PAN M 360 : Avez-vous des regrets ?

RM : Pas pour ce que nous avons fait, mais plutôt pour des choses qui ne se sont pas réalisées. Au milieu des années 70, nous avons travaillé pendant une courte période avec le réalisateur français Jacques Tati. Nous l’avons rencontré plusieurs fois à Paris, mais ce film n’a malheureusement jamais vu le jour pour des raisons de santé et de financement. Donc en ce sens, oui, nous regrettons vraiment que cela n’ait pu se faire. Le film s’intitulait Confusion. Il racontait les péripéties d’une petite chaîne de télévision française qui nous faisait venir d’Amérique comme experts pour les aider à résoudre leurs problèmes, le tout à la Tati. Nous étions de grands fans de Tati. Au moins, nous avons eu la possibilité de travailler avec lui pendant un moment et de voir à quel point il était incroyable dans la vraie vie, un peu comme son personnage de Monsieur Hulot. 

PAN M 360 : Vous avez un fort penchant pour le théâtre et le cinéma. Vous avez réalisé la comédie musicale radiophonique The Seduction of Ingmar Bergman en 2009 et l’avez aussi présentée sur scène en 2011, et vous avez récemment travaillé sur un autre projet de film. 

RM : Oui, un film musical réalisé par Leos Carax et dont le tournage s’est achevé vers la fin de l’année dernière. Nous avons tourné principalement à Bruxelles et un peu en Allemagne et à Los Angeles. Leos a terminé le montage du film à temps pour la première au festival de Cannes, mais malheureusement celui-ci n’a pas eu lieu. Peut-être qu’on pourra le présenter au festival de Venise à la fin d’août ou à celui de Toronto au début de septembre. Personne ne sait vraiment ce qui va se passer. C’est un projet que nous avons conçu il y a environ huit ans qui ne devait pas être un film mais plutôt un spectacle, et peut-être un album de Sparks. Nous sommes allés au festival du film de Cannes à peu près à cette époque pour essayer de vendre un autre projet sur lequel nous travaillions et on nous a présentés à Leos Carax qui avait utilisé l’une de nos chansons dans son film Holy Motors. Nous avons discuté avec lui pendant un moment et une fois de retour à Los Angeles, nous avons pensé que nous devions lui parler de cet autre projet de spectacle pour voir ce qu’il en pensait… et il nous a dit qu’il voulait en faire un film! Mais il a fallu huit ans pour que tout se mette en place et pour le financement et la recherche des acteurs, qui sont Adam Driver et Marion Cotillard. 

Nous espérons pouvoir jouer à Montréal à un moment donné,
car cela fait bien trop longtemps.

PAN M 360 : Vous faites toute la musique de ce film ?

RM : Oui, c’est une histoire que nous avons inventée et la majeure partie de la musique ressemble à ce qu’elle était il y a huit ans, c’est juste que Leos Carax voulait ajouter sa griffe au film, donc nous avons écrit de nouvelles pièces et certaines autres ont été légèrement modifiées, mais dans l’ensemble, c’est assez proche de notre idée de départ. Le film est composé à 95 % de chansons et les deux acteurs font un travail incroyable! C’est un véritable plaisir pour nous de pouvoir entendre des choses que nous avons écrites et d’avoir des acteurs de cette qualité jouer sur cette musique. Le film s’appelle Annette. Il raconte l’histoire d’un humoriste, joué par Adam Driver, à l’humour vraiment décapant et un peu rude avec le public, mais aussi très populaire. Il a une liaison avec une chanteuse d’opéra jouée par Marion Cotillard. C’est donc une sorte d’association improbable entre les deux. Puis ils ont un enfant et cet enfant a des talents particuliers, ce qui est en fait le sujet du film. Sa carrière à lui déraille alors que la sienne à elle monte en flèche et les conflits entre les deux déclenchent pas mal de feux d’artifice. Je ne peux pas en dire beaucoup plus!

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