Safia Nolin : le seum de toutes ses parties

Entrevue réalisée par Maude Bélair
Genres et styles : grunge / indie folk / indie rock / punk

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Le terme Seum ne vous est pas familier ? Pas très grave. Employé en France, il descend directement de ‘’sèmm’’ qui,  en langue arabe,  signifie ‘’venin’’. Avoir le seum, c’est donc avoir la rage en soi, une haine qu’on ne peut contenir. 

Pour Safia Nolin, le venin était resté trop longtemps sans antidote, il lui fallait guérir.

C’est exactement ce que fait l’artiste autrice-compositrice-interprète depuis son apparition dans le paysage artistique québécois en 2015. Depuis Limoilou, son premier album.

Nolin semble préférer communiquer ses états d’âme à travers des chansons intimes et émotives,  berçantes par leur tristesse ou leur colère.  

SEUM es le dernier micro-projet rendu disponible le 29 octobre dernier par la Montréalaise.  Après le succès retentissant de Limoilou en 2015, Nolin décidait qu’elle n’avait « plus envie de faire des albums ». 

Selon elle, la charge de quatorze chansons est trop lourde à porter et préfère d’ailleurs créer un petit projet à la fois. Rappelons-nous ses deux excellents EP Reprises Vol.1 et Reprises Vol.2, respectivement sortis en 2016 et en 2019, où l’artiste a repris en mode acoustique de véritables classiques québécois allant des BB à Gerry Boulet.

SEUM reprend donc ce format court, l’artiste y dépeint la dualité qui l’habite et surtout, qui la remplit de fierté. « Je ne veux pas choisir, je veux seulement exister », confie-t-elle d’ailleurs. Les quatre premiers titres sont une sunset version, où les chansons sont exécutées par une formation complète.

La batterie et les guitares donnent un ton assez mordant pour accueillir les paroles de Safia Nolin.  Sur des airs plus rock, presque punk, elle  chante entre autres : « Il y a d’autres histoires/ Plus belles que la mienne/ Au moins mille/ Qui ne pleurent pas quand le vent se lève ».

Les versions sunrise, quant à elles, sont les mêmes chansons que sur les versions sunset, mais chantées en mode acoustique, guitare et micro seulement, reprenant ainsi le ton de son deuxième album intitulé Dans le noir, paru en 2018. Un projet à deux poids, deux mesures, équilibré et balancé. Portée par sa force, Nolin ne semble plus craindre qui que ce soit et ce, à notre plus grande satisfaction musicale. 

PAN M 360 a eu le plaisir et le privilège de rencontrer l’artiste à l’aube du tout début de la tournée de SEUM à Rouyn-Noranda –  le 10 novembre,  mercredi dernier. Nolin sera de passage à Montréal les 16 et 17 décembre prochains, pour deux déclinaisons . La Chapelle Notre-dame-de-Bon-Secours sera parfaite pour les apaisantes sessions sunrise, les Foufounes Électriques réservent  d’électrisantes versions sunset.

PAN M 360 : SEUM, c’est le titre de ton tout nouveau micro-projet. Pour ceux et celles qui ne sont pas trop familiers avec le jargon français, avoir le seum, ça englobe beaucoup d’états d’esprit : avoir le cafard, être en colère, en avoir ras-le-bol. Si tu es l’aise de le partager avec nous, quel est le seum que tu as vécu au cours de la dernière année ? 

SAFIA NOLIN :  Personnellement, je trouve vraiment compliqué de trouver des noms d’album. Celui-là, je le trouvais super naturel. Avant même d’avoir enregistré les chansons de SEUM, j’étais dans cet état d’esprit. Justement, je trouvais que ça représentait bien les dernières années qui avaient été plus difficiles. Mais c’est assez compliqué en fait : j’étais tannée que le monde soit comme : « Oh! Regarde comme elle subit! C’est une victime! », alors que je suis une grande personne. Oui, c’est vraiment que c’est compliqué tout ça, mais je suis capable d’en prendre. Bon, peut-être trop, bref. Mais je trouvais que SEUM faisait un clin d’œil au temps que j’ai passé en France, à mes origines algériennes pis à ce sentiment de colère. Et c’est une émotion qui n’est pas super accueillie quand t’es pas un homme, blanc, cisgenre, hétérosexuel. Je sais que c’est plate et que tout le monde est tanné d’entendre ça, mais en même temps, c’est la seule façon d’en parler. Mais c’est ça, si tu n’es pas ce genre de personne-là, y’a un million de stéréotypes; les gens racisés, la femme hystérique, la femme noire en colère… ce sont tous des stéréotypes pour culpabiliser ces gens de vivre leur colère. Moi, j’ai plutôt envie de m’approprier cet état. 

PAN M 360 : Quand l’on porte attention à la pochette, on peut voir une épitaphe dessinée en bas à droite. On y voit ton portrait flanqué d’un : « BABYE, 1992-2020 ». Que cela signifie-t-il ? 

SAFIA NOLIN : 2020 a tellement été une année étrange pour moi, mais aussi pour tout le monde : y’a eu la pandémie, la vague de dénonciations… Je pense que j’ai reçu l’invitation pour me faire raser la tête avant mais à cause de la COVID, cela a été reporté. Et je me souviens très clairement m’être dit : « Ça va me faire tellement du bien de me raser la tête ». J’étais rendue là ; c’était un gros statement et surtout je ne pouvais pas vraiment reculer. Je ne pouvais dire « non, je laisse tomber, j’ai trop peur ». J’ai maintenant trente ans, je suis tannée de l’image erronée que les gens ont de moi, je suis tannée que les gens me voient comme une victime. Quand je dénonce des choses maintenant, je le fais pour ressentir de l’empowerment, pas de la faiblesse. La manière dont les gens m’ont vue arriver à l’ADISQ en 2016 avec mes cheveux longs et mon chandail de Gerry Boulet, j’étais naïve. Maintenant, je ne le suis plus. Tous les combats que je mène, qu’ils soient associés à mon identité ou pas, je veux les mener frontalement et consciemment. Je veux que les gens comprennent qu’il s’est passé quelque chose en 2020 pour Safia. Je m’inspire beaucoup de Taylor Swift qui dit dans une de ses chansons : « I’m sorry, old Taylor can’t come to the phone right now. Why ? Oh… Because she’s dead ! ». La vieille Safia est morte, elle n’existe plus. 

PAN M 360 : Comment as-tu trouvé la pandémie, créativement parlant ? 

SAFIA NOLIN : Je n’ai rien créé. Pour plusieurs, la pandémie a été un temps prolifique mais moi, ça m’a zéro inspirée. Mais j’en ai profité pour travailler d’autres hobbies, comme le tricot et je suis en train de compléter certains cours en sciences de la religion. 

PAN M 360 : Les chansons de SEUM sont divisées en deux catégories, deux versions : les sunrise versions et les sunset versions. Veux-tu nous en parler un peu plus ? 

SAFIA NOLIN : Je n’avais pas envie de choisir. D’ailleurs, je me suis beaucoup inspirée de Sufjan Stevens, un artiste que j’adore. Il aime beaucoup reprendre une seule et même chanson, mais de différentes façons : rock, folk, électronique, acoustique… Proposer de nouvelles choses, c’est renouveler la musique. Je trouve ça inspirant, car faire et refaire constamment la même chose, ça me fait chier. Je n’aime pas faire des albums, ça me tente de faire… ça !

PAN M 360 : Après la parution du projet, tu as pris le temps de souligner le travail des muscien.ne.s avec qui tu as travaillé dans le cadre de SEUM. Quel était leur apport dans la création du projet ? 

SAFIA NOLIN : C’est sûr que c’est moi qui compose et écrit toutes les chansons mais ça reste que SEUM est une collaboration. J’ai engagé ces gens-là parce que j’aime ce qu’ils apportent et ce sont des ami.e.s : je les aime, je suis proche d’eux, ils savent comment je me sens et ils savent un peu de quoi parlent mes chansons même si je ne leur dis pas. Ils comprennent ce qu’il s’est passé au cours des dernières années. Je suis arrivée au studio avec mes versions sunrise et les versions sunset sont le résultat du travail qu’on a fait avec ces versions pendant cinq jours. Je ne sais pas ce qu’ils ont mis sur ces chansons-là car il faudrait leur demander mais j’ai senti leur implication.  Ils ont tellement mis leur cœur là-dedans!  Et c’est certain qu’ils y ont aussi mis du seum.

PAN M 360 : Deux semaines avant la parution de SEUM, tu as reçu une médaille de l’assemblée nationale pour ta « militance et ta résilience face à la haine que tu reçois en ligne ». T’attendais-tu à recevoir un tel prix ? 

SAFIA NOLIN : Manon et Vincent m’ont contacté avant de me le remettre pour savoir si j’étais à l’aise de le recevoir. Et je comprends car quand je suis visible médiatiquement, c’est toujours pas le meilleur de ma vie. Et c’était très drôle parce que le jour où je l’ai les vus pour la réception de mon prix, j’avais totalement oublié que c’était pour ça! J’étais super surprise et super émue. J’en suis très fière.  

PAN M 360 : Crois-tu que désormais tu es autant militante que tu es musicienne ? 
SAFIA NOLIN : Oui, au sens où ç’a été un long processus pour moi. Mais maintenant, mon travail de militantisme me demande le même effort que mon travail d’artiste. Et même si parfois je n’ai pas vraiment l’impression d’en avoir fait le choix, je me dis : « Mais je n’ai pas le choix si je veux exister ». C’est pour ça aussi que je me suis rasé les cheveux, que je ne porte plus mes lunettes, l’épitaphe : je ne milite plus juste pour mon existence mais aussi pour tous les gens qui ne sentent pas qu’ils ont l’espace pour le faire.

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