Seckou Keita, Sénégal, Omar Sosa, Cuba, Gustavo Ovalles, Venezuela: Afrique ancestrale, Afrique mondiale

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Le grand pianiste, compositeur et improvisateur cubain Omar Sosa et le maître de la kora et chanteur sénégalais Seckou Keita se réunissent pour la première fois à Montréal avec leur Trio Suba, incluant le percussionniste vénézuélien Gustavo Ovalles, les 6 et 7 mai au National.

Ils ont à leur actif un répertoire solide, constitué de 2 albums : Transparent Water (2017) et Suba (2021). A travers cette musique, Omar Soda et Seckou Keita partagent leurs cultures spécifiques : musique mandingue d’Afrique de l’Ouest, musique afro cubaine et musique afro vénézuélienne.

Joints en Europe avant leur tournée internationale, ils évoquent avec générosité leur relation artistique basée sur une fusion hautement créative des héritages culturels entre virtuoses africains et afro-descendants.


PAN M 360 : Bonjour Omar, c’est un plaisir d’avoir une autre conversation avec vous. Êtes-vous toujours basé à Barcelone ?

OMAR SOSA : Bonne question! Je vis dans différents endroits mais j’ai un studio ici à Barcelone. Lorsque je suis en Europe, je reste essentiellement ici car mes deux enfants vivent à Barcelone. Je dois donc avoir un lieu pour les accueillir.

PAN M 360 : Cette fois, avec ce projet Suba, vous travaillez avec la grande tradition de l’Afrique de l’Ouest, la grande tradition mandingue. Comment se fait-il que vous soyez arrivé là après toutes les expériences que vous avez faites auparavant ?

OMAR SOSA : Il est important pour une personne créative de suivre le courant de la rivière. Dieu vous place dans des endroits auxquels vous ne vous attendez pas, mais ces endroits sont toujours extraordinaires, lorsque l’amour est réciproque, et je pense que c’est ce qui s’est passé avec Seckou. Nous travaillons ensemble depuis 12 ans, nous avons enregistré deux albums, Transparent Water et Suba. Au fond, ce travail est un hymne aux gens qui cherchent l’amour, la paix, l’unité, c’est l’idée de vivre ensemble dans un seul monde et aller d’une manière ou d’une autre dans une direction commune.

PAN M 360 : Et quelle est cette direction ?

OMAR SOSA : Nous sommes très heureux de célébrer ensemble nos racines et nos traditions d’une manière contemporaine, soit en respectant ce que les anciens nous ont déjà légué et ce qu’ils ont fait pour nous artistiquement. Nous sommes ici parce que d’autres  nous ont précédés. Et c’est essentiellement d’une certaine manière, alors que nous aimons être présents dans ces deux points. La tradition afro-cubaine, la tradition mandingue, la tradition sud-américaine, parce que nous avons aussi dans ce projet un joueur de percussion du Venezuela, Gustavo Vyas, qui joue de la percussion afro-vénézuélienne. Et beaucoup de gens ne connaissent pas certaines de ces informations. Le quitiplás, par exemple, est une tige de bambou utilisée pour jouer de la musique. On peut frapper la pierre et, avec un doigt à l’intérieur, on peut changer la note du son qui en émane. Pour beaucoup de gens, c’est une nouveauté et pour d’autres, c’est la continuité.  Ainsi nous avons réuni des instruments autour de la kora. Sekou joue la kora dans le style traditionnel de l’instrument à 22 cordes, mais il joue aussi avec une kora à deux manches, donc à 44 cordes.
 

PAN M 360 : Et qu’est-ce qui vous rapproche, plus précisément ?

OMAR SOSA : La première raison est le respect. Nous nous respectons mutuellement et nous nous écoutons attentivement. La deuxième raison est la liberté: nous essayons d’être libres d’exprimer ce qui nous traverse l’esprit. Et c’est quelque chose que j’aime beaucoup. Nous avons une structure avec nos sons, mais il y des moments où nous prenons notre envol. Je me considère comme un musicien de jazz à cause de la philosophie du jeu: la liberté ! J’essaie donc de rester fidèle à cette philosophie dans chaque musique que je joue. Je dois me sentir libre de changer la structure si je sens que c’est le moyen pour moi de parvenir à cette liberté créative.

PAN M 360 : Seckou Keita nous rejoint en ce moment, alors interrogeons-le sur l’importance de la liberté dans l’improvisation.

SECKOU KEITA : En effet, notre musique est ouverte dans presque tous les cas. Il y a bien sûr des arrangements dans notre musique, il y a des structures mais il y a aussi la liberté d’exprimer notre conversation musicale. Depuis ma première rencontre avec Omar, nous n’avons pas parlé de ce que nous devions faire mais notre musique a parlé. Nous poursuivons donc le même voyage à travers cette conversation musicale. C’est pourquoi nous restons ouverts, car il est important pour nous de nous réunir et de dialoguer ensemble avec un esprit libre. Ce que nous faisons ensemble dépasse donc nos traditions spécifiques.
 

PAN M 360 : Depuis votre premier enregistrement, le langage musical entre vous a probablement évolué au fil de vos performances. Il s’agit donc d’un processus de renouvellement permanent, n’est-ce pas ?

OMAR SOSA : En effet, ça change, ça évolue sans cesse. Nous nous entendons déjà avant de jouer et nous arrivons parfois au même endroit sans répéter. C’est aussi parce que nous sommes dans une équipe sans pression, où les artistes pensent que la vie est trop courte pour se plaindre et dire « Oh, tu as fait ceci. J’ai fait ça. Ok, mon Dieu, ce do mineur n’est pas le bon do mineur. Il est donc préférable que nous jouions ce que les esprits nous inspirent.

PAN M 360 : Seckou, de quelle région d’Afrique de l’Ouest êtes-vous originaire ?

SECKOU KEITA : Je viens du Sénégal, plus précisément de la région de Casamance. Ma culture est mandingue.

PAN M 360 : Vous vous êtes donc installé au Royaume-Uni, on vous doit d’ailleurs de superbes pièces enregistrées avec la harpiste anglaise Catrin Finch.  Voilà qui n’est pas habituel pour les musiciens originaires du Sénégal, de Guinée, du Mali ou de Côte d’Ivoire, qui émigrent généralement en Europe francophone, aux États-Unis, en Espagne ou même au Québec.

SECKOU KEITA : C’est vrai. Donc je dis toujours que c’est l’Angleterre qui m’a choisi ! Et j’ai  d’ailleurs rencontré Omar Sosa en Angleterre par l’intermédiaire d’un ami commun, Mark Gilmour, un artiste américain basé au Royaume-Uni.  Il arrive donc que des mélanges différents se produisent chez les musiciens africains. Je connais des artistes gambiens qui vivent en France, par exemple. Quoi qu’il en soit, ces différences coloniales ne représentent pas ce qu’était l’Afrique avant l’époque coloniale. Ma propre culture se retrouve dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et nous pouvons donc nous rencontrer ailleurs que dans les seuls pays français d’Europe. L’histoire n’est pas toujours ce que l’on croit. J’aime bien quand Omar dit que Cuba est une province de l’Afrique !

OMAR SOSA : Mais maintenant, ce qui compte vraiment, c’est de réunir nos cultures tout en nous sentant libres d’exprimer ce que nous aimons dire musicalement. Suba, notre projet le plus récent, s’inscrit dans cette optique.

SECKOU KEITA :
En langue mandingue, Suba signifie lever du soleil, tôt le matin quand le soleil se lève.  Notre dernier album parle donc d’un nouveau matin, d’un nouveau monde, d’un nouveau voyage, d’un nouveau départ. Nous y avons pensé pendant la pandémie et nous avons donc imaginé ce nouveau départ impliquant différentes cultures.

PAN M 360 : Ce trio évolue. Souhaitez-vous conserver le même format ou le modifier dans un avenir proche ? Ou envisager d’autres projets ? Par exemple, la musique de chambre pourrait très bien s’intégrer à ce trio.

SECKOU KEITA :
Vous avez raison, c’est vrai. Je veux dire que la musique de ce trio peut s’adapter à un orchestre de chambre ou même à un orchestre symphonique. J’ai moi-même enregistré ma musique avec l’Orchestre symphonique de la BBC, donc avec 62 personnes. L’album s’appelle Africa Rhapsody et il sortira le 26 mai. Alors, oui ! Parce que nous avons cette expérience avec ce nouveau super trio avec Gustavo, ce serait un autre élément vraiment intéressant pour la diversité de notre musique. Nous pourrions emmener cette musique encore plus loin !

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