Morton Subotnick, pionnier de l’électro : la coolitude à 88 ans!

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : électroacoustique

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Les deux principaux festivals montréalais de musiques numériques et le Centre interdisciplinaire de recherche en musique, médias et technologie (CIRMMT) de l’école de musique Schulich de l’université McGill, se sont associés pour inviter ce mercredi un grand pionnier américain de la musique électronique : Morton Subotnick.

À Montréal pour la toute première fois! 

À guichets fermés, le compositeur et improvisateur californien se produit en duo avec le vidéaste berlinois Lillevan, afin d’interpréter sa plus récente œuvre : As I Live and Breathe. En ouverture, Ana Dall’Ara Majek spatialise sa pièce Xylocopa Ransbecka et Louis Dufort maximise les vertus de l’orchestre de haut-parleurs du CIRMMT, avec un extrait de son récent album Into the Forest. 

Morton Subotnick a parcouru le chemin inverse de la coolitude : il y parvient au crépuscule de son existence! Puisqu’il se produit à guichets fermés dans le contexte d’une présentation commune des festivals Akousma et Mutek, nous avons joint le musicien à son hôtel.

PAN M 360 : Nous sommes très heureux de vous avoir en interview. Nous, mélomanes, devons être conscients que vous êtes un innovateur de votre temps. C’est votre première fois à Montréal, n’est-ce pas?

MORTON SUBOTNICK :
Je suis venu jouer au Canada un certain nombre de fois, mais je ne pense pas être déjà passé par Montréal.

PAN M 360 : C’est donc génial de vous avoir après toutes ces années, car vous avez une approche très spécifique. Par exemple, vous avez été l’un des premiers à inclure dans la musique électroacoustique des rythmes soutenus. Où en sommes-nous ce soir?

MORTON SUBOTNICK : Eh bien, nous nous approchons de la fin de ma production! Encore quelques semaines? Quelques mois? Quelques années? Je ne sais pas mais je continue à essayer. J’ai commencé à le faire lorsque j’ai laissé la clarinette avec l’Orchestre symphonique de San Francisco pour passer à l’électronique et à composer de la musique électronique. C’était e 1958. J’avais pris cette décision parce que quelque chose de neuf se produisait. 

PAN M 360 : Comment peut-on saisir les bases de votre travail?

MORTON SUBOTNICK : Ce que j’ai essayé de faire, c’est de trouver une façon de traiter la technologie, soit une sorte de nouvelle façon de faire de la musique. Je l’ai appelée l’« art de chambre » à l’époque, le « studio art ». Aujourd’hui, la technologie est devenue si performante que je peux faire en temps réel ce qui me prenait un temps fou à mettre au point en studio. Ainsi, je peux reprendre devant public les procédés de mes premiers enregistrements. Je peux exécuter tous ces trucs au moyen d’échantillons, je peux utiliser des plugins d’oscillateurs au lieu de les apporter avec moi. Si je le désire, je peux avoir 15 oscillateurs sur mon ordinateur et tous mes sons.

Donc jouer en temps réel est devenu une vraie tâche, ces dernières années. Pendant la pandémie, je n’ai rien fait d’autre que de travailler sur ce projet afin d’être capable de l’amener sur la scène actuelle et de le jouer en direct. Et je suis assez satisfait du produit. C’est peut-être la dernière étape de mon travail, mais je l’aurai accomplie avant de mourir… ce qui serait difficile après la mort (ha ha!). Donc, c’est bien que j’y sois arrivé. 

PAN M 360 : Trop cool! Pouvez-vous être un peu plus précis sur la méthodologie, l’artisanat et les outils qui sont utilisés pour ce courant de création?

MORTON SUBOTNICK : D’accord. Pour commencer, je note mes idées en improvisant et j’en circonscris l’idée originale. J’implique ensuite tout l’équipement conçu pour mon travail. Ensuite, je prends la décision de travailler avec la hauteur des sons d’une manière particulière. Longtemps, il n’y a pas eu de mélodies, mais il y a plus de choses mélodiques maintenant… parce que je ne l’avais jamais fait auparavant. Au début de ma carrière, j’évitais tout ce qui était traditionnel. Et puis je donnais des performances au cours desquelles je faisais des improvisations. De nouvelles idées me venaient et, pendant des semaines, je pouvais me concentrer sur une série d’idées qui allaient éventuellement constituer une performance et un enregistrement. Aussi, j’ai beaucoup travaillé avec des magnétophones, une piste jouée sur l’autre et ainsi de suite. Ce processus ne pouvait pas être fait en direct, j’assemblais le tout pour mes enregistrements. Or, maintenant je peux construire tout ça en direct, en utilisant des patchs numériques qui contiennent une partie du travail. Donc, je peux aller d’un chemin à l’autre et avoir une idée de ce que je vais faire comme morceau. Tout en gardant l’aspect improvisation. 

PAN M 360 : L’improvisation est donc fondamentale dans votre travail.

MORTON SUBOTNICK : Je ne suis pas une partition, la durée d’un même canevas peut être assez différente d’une performance à l’autre. Mais la forme globale reste relativement similaire. Donc, si vous venez à une de mes performances puis à une autre, vous la reconnaîtrez, mais l’une pourrait durer 15 minutes et une autre 45 minutes. Tout reste ouvert. 

PAN M 360 : Vous avez été parmi les premiers musiciens pour qui la haute technologie est devenue un orchestre.

MORTON SUBOTNICK : En studio, le compositeur est le chef d’orchestre. Un orchestre instrumental est composé de musiciens; le compositeur électronique est chaque musicien, il est l’ensemble; il peut être aussi le fabricant d’instruments, puis il joue de tous les instruments. C’est la même chose en public : vous êtes le chef d’orchestre et tous les instruments, vous les choisissez. Je pense que c’est assez clair, n’est-ce pas?

PAN M 360 : C’est très clair. Et si on comprend bien, la base de votre langage a été établie il y a quelques décennies, mais seuls les outils ont changé. La même approche est toujours là.

MORTON SUBOTNICK : C’est vrai. J’ai mis une annonce classée dans le journal en 1961, je cherchais des ingénieurs pour m’aider à créer mes instruments. Je ne pouvais pas les construire mais je savais ce que je voulais, enfin je pensais savoir ce que je voulais. Alors plusieurs ingénieurs sont venus me voir et nous avons lancé le San Francisco Tape Music Center. Et finalement cet homme, Donald Buchla, me semblait vraiment bien. Nous avons travaillé ensemble pendant deux ans et demi sur un premier vrai synthétiseur analogique.

PAN M 360 : Depuis lors, vous vous exprimez essentiellement avec cette lutherie?

MORTON SUBOTNICK : Eh bien, elle a changé radicalement depuis. Il y a environ 15 ans, j’ai conservé une version que j’estime finale, qui était partiellement numérique et surtout analogique. C’est donc avec ça que je travaille depuis longtemps. Sur scène, j’actionne les curseurs de mon Eurorack. 

PAN M 360 : Vous vous produisiez souvent en concert avant la pandémie?

MORTON SUBOTNICK : Oui, oui, je ne me suis pas produit pendant un certain nombre d’années parce la technologie ne me permettait pas de présenter ce que je voulais faire. Essayer d’apporter au public des magnétophones à bandes schématiques et des machines à boucles et d’autres choses, c’était impossible ou trop laborieux. Mais il y a environ 15 ans , les choses ont changé. J’ai joué un opéra électronique à Vienne et les gens en ont redemandé. 

PAN M 360 : Excellent! C’est très intéressant de voir que votre approche a atteint une sorte de fraîcheur, après une vie de processus créatifs, Vous devez être heureux de cela, n’est-ce pas?

MORTON SUBOTNICK : Je le suis! Je voulais que les nouvelles générations, qui ont grandi avec la technologie, voient qu’on pouvait faire certaines choses qu’elles n’auraient pas pu voir. Parce qu’en général, ce n’est peut-être plus aussi vrai aujourd’hui. Mais je pense que c’est toujours vrai. Donc, voilà ce que ma vie a été. Cela me rend très heureux, vous savez. Je me réveille chaque matin et je suis vraiment heureux d’être en vie. Si je ne me réveille pas, je ne le saurai pas. Quand je vais me coucher, je suis satisfait d’avoir vraiment fait ce que je voulais faire.

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