Les grands airs de Renaud Loranger : rencontre avec le directeur artistique du Festival de Lanaudière 2023

Entrevue réalisée par Frédéric Cardin
Genres et styles : classique

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Renaud Loranger réalise, mine de rien, sa cinquième programmation festivalière depuis sa nomination au poste de directeur artistique du Festival de Lanaudière. Pourtant, nous avons l’impression qu’il ne fait que commencer. Il faut dire qu’après une seule saison (2019), rien n’a été comme prévu par la suite. 2020 et 2021 ont été des années de pandémie, et 2022, une sorte de retour mais encore hanté par les ombres d’une fin de crise qui semblait parfois encore fragile. 2023, en un sens, est l’année d’une véritable relance. Une relance qui n’a rien de facile, cela dit, comme nous le raconte Renaud Loranger, que j’ai rencontré avec un immense plaisir afin d’en savoir plus sur la programmation de cette année, mais aussi sur les défis que représentent l’après-pandémie pour le milieu de la musique classique.

Renaud Loranger a été nommé à la direction artistique du Festival de Lanaudière en 2018, à la satisfaction générale du milieu classique. C’est que le Montréalais de naissance a une longue et riche expérience dans le milieu de la musique classique. Il vit en partie en Europe depuis plusieurs années, et a été ou est encore associé à de prestigieux labels tels Deutsche Grammophon, Archiv et Pentatone.

C’est dire qu’il a su développer un solide réseau incluant des organisations, des agents et des artistes de grand renom. Tout cela permettait aux amis du Festival, et aux mélomanes en général, de rêver à de grands moments musicaux estivaux dans la région de Joliette. Une première saison  »sur les chapeaux de roue » comme le dit lui-même Renaud Loranger nous avait confirmé la stature que pouvait prendre une programmation concoctée par le directeur artistique. De grands noms de stature planétaire, et nos incontournables nationaux. Bref, c’était un grand cru. 

2023 nous promet, en plus du retour à la  »normalité », des moments magiques avec nos OSM, OM, Yannick Nézet-Séguin, Rafael Payare, Andrew Wan, Charles Richard-Hamelin,les Grands Ballets, etc., mais aussi William Christie et ses Arts Florissants, Leonardo Garcia Alarcon avec son Choeur de Namur et sa Capella Mediterranea (dans l’Orfeo de Monteverdi! OMG!!), Marco Beasley qui sera uni à l’ensemble Constantinople, la trompettiste Lucienne Renaudin Vary avec les Violons du Roy, l’accordéoniste Richard Galliano, et j’en passe d’aussi bons. 

Donc, retour à la normale? Comme si rien ne s’était passé? C’est ce dont nous avons discuté.

PAN M 360 : Bonjour Renaud. Quel plaisir de vous revoir et de parler d’une saison totalement post-pandémique du Festival! Quand vous êtes arrivé, vous deviez certainement avoir une ligne, une vision à long terme de la programmation. La pandémie a tout bousculé. Est-ce un retour à la normale cette année, comme si rien ne s’était passé? Ou bien avez-vous été obligé de revoir de fond en comble vos idées initiales?

Renaud Loranger : Non. Je suis un peu intransigeant là-dessus.  Je pense que les bonnes idées sont tout le temps bonnes. Si elles n’ont pas été réalisées, il faut les réaliser. Les orientations générales ne changent pas. C’est certain que ce n’est plus comme avant. C’est en effet plus difficile de faire des plans à long terme. Ou même à moyen-long terme. C’est beaucoup plus difficile de convaincre un certain nombre d’artistes de venir. Plusieurs repensent leur manière de travailler et ils ne sont pas nécessairement disponibles pour venir en Amérique pendant l’été. Ils disent oui, on va faire une tournée en Amérique du Nord… à l’été 2058 (ce qui veut dire qu’ils ne savent pas quand). On doit faire avec.

Je pense qu’on n’a pas encore retrouvé le rythme. On essaie de se projeter mais c’est ardu, et partout dans le monde aussi c’est comme ça, bien qu’en Amérique, d’autres défis nous font face par rapport à l’Europe. 

Un autre problème, c’est l’inflation. Et un autre encore, la pénurie de main-d’œuvre. Nous avons été très choyés par nos gouvernements pendant la crise, mais en ce moment, les aides d’urgence disparaissent. C’est normal, en un sens, mais ça arrive en même temps que les problèmes que je viens juste de mentionner. Vous pouvez imaginer le casse-tête.

Cela dit, je constate en ce moment que le côté billetterie nous envoie des signaux très encourageants. On pense que les gens vont revenir en bon nombre, ce qui n’était pas le cas l’année passée. 

PAN M 360 : Y a-t-il une ligne directrice qui a guidé votre programmation 2023? Je vois beaucoup de  »valeurs sûres » en termes d’œuvres. Est-ce que la prudence a fait partie de votre équation, afin d’être certain de ramener le public?

Renaud Loranger : Je ne dirais pas prudence, mais plutôt conscience. Conscience de l’importance des canons du répertoire et de leur qualité rassembleuse. La Fantastique de Berlioz, la Pathétique de Tchaïkovsky, la Neuvième de Beethoven (qui vient d’être jouée avec l’OSM et Rafael Payare), elles demeurent des grandes pièces qu’on ne joue pas aussi souvent qu’on le pense. La Neuvième, on ne l’avait pas programmée depuis plus de 15 ans! Pour revenir à votre question, je vous parlerai d’une figure mythique bien connue de l’Antiquité (une période que j’aime beaucoup) : Orphée. Orphée, une métaphore qui s’applique à toutes sortes de choses. C’est la figure de l’artiste, c’est la figure de l’être humain amoureux dont les sentiments vont trop loin. La tragédie devient inévitable. Je trouve que de Monteverdi  jusqu’à Rachmaninov, avec les concertos pour piano et autres, on traverse l’âme humaine jusqu’au fond. On a Orphée pour vrai, avec Monteverdi et Alarcon (ce sera un moment exceptionnel!), mais on a aussi tout ce qui peut s’en réclamer à travers le symbole : Tchaïkovsky, Chopin, etc. C’est un peu ténu, mais en même temps, je vois bien cette lignée.

PAN M 360 : Je remarque que plusieurs concerts sont déjà complets, dont certains de la série  »hors les murs ». Ça fonctionne bien, non?

Renaud Loranger : Oui, c’est une belle série. Jouer de la musique classique dans une brasserie ou dans un champ de courges, c’est une approche différente et enthousiasmante. Cela dit, ce sont des concerts qui sont assez intimes, avec peut-être une cinquantaine de places. Ça se remplit assez vite. Mais il est vrai que la billetterie va bien. Nos concerts dans les églises sont presque complets en ce moment, et plusieurs autres le seront, si on se fie au rythme des ventes. Je suis superstitieux, mais je dois reconnaître que c’est encourageant. Nous pouvons être prudemment optimistes.

PAN M 360 : La relance post-pandémique est un défi partout dans le monde et dans toutes les disciplines artistiques. Quelles particularités cette relance représente-t-elle pour la musique classique spécifiquement?

Renaud Loranger : C’est une question très vaste… Pour nous, d’après nos chiffres et nos données, on doit constater qu’une partie du public traditionnel a disparu. Il n’a plus envie de sortir et de se déplacer comme avant. Il a peut-être encore des craintes. Il va peut-être revenir, mais de temps en temps seulement. Au final, ça risque d’être dix fois moins qu’avant. 

Un autre défi, et il est paradoxal, c’est de perdre l’accessibilité. ce que je veux dire, c’est que nous sommes en train de courir après l’argent, pour les raisons dont j’ai parlé plus tôt, entre autres. J’ai peur que pour continuer il nous faille augmenter les prix des places, ce qui rend la musique moins accessible, inévitablement. Encore une fois, les gouvernements (Canada, Québec et villes) ont été présents, ultra présents. Mais, le retour au financement pré-pandémie ne pourra pas être viable car tout à terriblement augmenté entre temps… L’idéal serait de conserver ce financement et de le pérenniser. Ça nous permettrait de ne pas retomber plus bas que là où nous étions.

PAN M 360 : Malgré ce soutien solide, nous demeurons tout de même à la traîne par rapport à l’Europe dans ce domaine. Bien que certains signes semblent nous avertir de changements là-bas?

Renaud Loranger : Premièrement, l’assiette fiscale en Europe est autrement plus vaste que la nôtre. C’est un simple fait. Puis, il est vrai que le soutien aux arts est dans leur culture depuis longtemps. Mais il est vrai que l’on voit arriver de nouveaux mouvements politiques, de nouvelles administrations dans certaines juridictions qui prennent des décisions… étonnantes. Au Royaume-Uni, la BBC est la cible de ce genre de gestes. En France, certaines mairies (Lyon, Strasbourg, Bordeaux) sont devenues très politisées et véhiculent une vision… idéologique de la culture (entre autres). La musique classique, les arts classiques en général, sont perçus comme élitistes et même décriés publiquement comme tels. Il s’agit d’un véritable changement. Ce n’est pas positif à mon avis. Ce risque de politisation idéologique de la culture est dangereux. Et pourtant, c’est justement parce qu’il y a un financement public des arts classiques que ça en fait des activités ouvertes à tout le monde, le contraire de l’élitisme! Ce sont des arts qui coûtent cher en général, et c’est la raison pour laquelle un financement collectif est nécessaire pour éviter que ça redevienne exclusivement des trucs de salons privés de gens qui peuvent se le permettre.

PAN M 360 : Le Festival s’implante durablement en milieu urbain, au centre de Joliette même. Parlez-moi de ce que cela représente.

Renaud Loranger : C’est drôle que vous me parliez de cela, car j’étais sur les lieux de notre nouveau bâtiment il y a quelques minutes, la Maison de la musique René-Charette, en plein cœur du centre-ville de Joliette. Nous y aurons nos bureaux et un espace de diffusion qui nous permettra de pouvoir offrir une programmation à l’année. Nous pourrons y accueillir une centaine de personnes. Ce sera intime mais surtout ouvert à tous et pas seulement en été. Nous pourrons y offrir des activités de médiation, des concerts, etc. Nous avons très hâte d’emménager. Nous sommes en ce moment dans des bureaux qui sont près de l’Amphithéâtre, mais qui n’ont pas été conçus pour ce genre de tâches. Rappelons-nous qu’il s’agit de bâtiments qui ont été construits pour les Jeux Olympiques de 1976 (Joliette a accueilli des compétitions)! Ils ont largement dépassé leur durée de vie utile, disons. Il s’agira d’un renouveau doublé d’une nouvelle énergie.

PAN M 360 : Merci pour votre générosité et bon succès avec le Festival 2023!

Renaud Loranger : Merci!

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