Le duo Or Bleu dévoile Beaucoup, une première carte de visite diversifiée

Entrevue réalisée par Jacob Langlois-Pelletier
Genres et styles : hip-hop / rap

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Après plus de dix ans d’expérience en musique, les DJs et producteurs québécois Charles Cozy (Charles Cadieux) et Fruits (Gabriel Cyr) ont décidé en début de pandémie d’unir leur force sous le nom d’Or Bleu. Sous étiquette Disques 7ième Ciel, les deux hommes ont récemment dévoiler Beaucoup, une première offrande d’onze titres collaboratifs avec des artistes d’ici et d’ailleurs tels que Fouki et Mike Clay. Pour l’occasion, PAN M 360 s’est entretenu avec le duo pour en apprendre davantage sur la création de leur nouveau projet et leurs ambitions futures. 

Au fil des années, Charles Cozy et Fruits ont su se tailler une place sur la scène montréalaise. Les deux hommes ont participé en tant que DJ à de nombreux festivals au Québec et à l’international, tout en collaborant en solo avec de nombreux artistes. Bien que l’idée de s’unir les intéressait depuis quelque temps, c’est seulement lorsque leurs horaires se sont libérés en raison de la pandémie qu’ils ont eu le temps de créer davantage ensemble. Au cours des trois dernières années, les deux protagonistes ont travaillé d’arrache-pied pour bâtir un impressionnant catalogue de plus de 200 productions afin de pouvoir approcher différents talents et éventuellement donner vie à leur premier projet. 

Avec Beaucoup, ils font étal de leur talent de producteurs avec des instrumentales soignées et en symbiose avec les différents collaborateurs. En passant entre autres par la trap, la boom-bap et le R&B, Or Bleu met tout à la disposition de ses artistes pour briller et offrir le meilleur d’eux-mêmes, l’une des grandes forces du duo. Certes, cette grande diversité sonore nuit un brin à la cohérence de l’album, mais peut-on réellement leur en vouloir d’avoir choisi de démontrer leur grande versatilité pour leur première carte de visite? Je ne crois pas!

PAN M 360 : Parlons de la naissance de votre duo. À partir de quel moment êtes-vous devenu Or Bleu et pourquoi? 

CHARLES COZY : Gabriel et moi sommes des amis d’enfance et nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Nous avons toujours maintenu un lien d’amitié très fort et nous avions déjà travaillé ici-et-là. Au début de la pandémie, nous avons eu plus de temps pour œuvrer en duo et c’est à ce moment que nous avons commencé à produire beaucoup. La pandémie nous a beaucoup aidés, car nous avons pu créer ensemble sur une base plus régulière. Lorsque nous avions accumulé énormément de beats, nous nous sommes dit qu’il était temps pour nous d’en envoyer à différents artistes dans le but de commencer un album. C’est comme ça qu’Or Bleu est né. 

Ça a toujours été un souhait de pouvoir faire un truc comme ça. De pouvoir créer un tel projet avec ton meilleur ami, c’est vraiment quelque chose d’incroyable. C’est vraiment motivant de se lancer avec quelqu’un qu’on connaît depuis longtemps parce qu’on sait que ça va bien se dérouler et que nous avons des manières similaires d’œuvrer.

FRUITS : C’est exactement ça. Nous savions que la chimie opérait entre nous deux et que nous avions les mêmes visions. Disons que nous nous complétons vraiment bien. 

PAN M 360 : En mai dernier, vous avez annoncé votre signature au sein de Disques 7ième Ciel. Comment cela est-il arrivé?

FRUITS : Ça a toujours été un objectif pour Charles et moi de signer avec Disques 7ième Ciel, c’était notre maison de disque de rêve. 7ième Ciel reflète vraiment nos valeurs et nous aimons l’aspect de communauté dans la maison de disque. La plupart des artistes sous le label, ce sont nos amis et ils font partie de notre cercle. Quand nous avons approché 7ième Ciel, notre album était complété à environ 80% et il y avait déjà plusieurs de leurs artistes qui y participaient. C’est certain que c’était un bon argument pour que Steve Jolin et son équipe décident de nous signer.

CHARLES COZY : Aussi, nous connaissons Sam Rick, le gérant de Clay And Friends et Jay Scøtt, et c’est la première personne à qui nous avons présenté le projet. À ce moment-là, c’était un peu le bras droit de Steve. C’est un peu comme ça que Steve a entendu parler de nous. 

PAN M 360 : Comment créez-vous en tant que duo? Avez-vous une certaine manière d’opérer? 

FRUITS : Notre manière de travailler change de temps à autre. Souvent, un de nous deux prend le contrôle au point de vue technique et va être assis devant l’ordinateur tandis que l’autre va lancer des idées. Nous aimons alterner nos rôles. Justement, l’une des grandes forces de Charles est de trouver des idées. Il connaît vraiment bien les tendances et a une excellente culture musicale. Nous n’avons pas nécessairement de formule miracle, mais c’est de cette manière que nous travaillons en général.   

CHARLES COZY : Nous nous connaissons tellement bien que nous ne craignons pas de défendre nos idées et d’être en désaccord. Il n’y a pas d’égo dans la pièce lorsqu’on crée, tout ce que nous faisons est dans le but d’obtenir la meilleure musique possible. Parfois nous partons d’un sample, de drums ou d’une composition. Nous ne commençons pas toujours par la même place et c’est très motivant. Nous approchons chaque morceau différemment et nous ne sommes jamais tannés de créer. 

FRUITS : J’ajouterais même que souvent, nos meilleures productions prennent vie lorsque nos opinions sont opposées. Les deux, nous sommes prêts à défendre nos idées, et c’est ce qui donne les meilleurs résultats. 

PAN M 360 : Vous avez mentionné que les productions que l’on retrouve sur votre premier album sont versatiles. Quelles sont vos influences musicales respectives? 

CHARLES COZY : Nous sommes de grands amateurs de hip-hop. Nous avons grandi en écoutant du boom-bap et du hip-hop underground. Ce sont certainement nos influences premières. À travers cela, nous avons découvert l’art du sampling, le jazz et le funk. Nous avons grandi dans des familles musicales. Aussi, je suis DJ depuis 10-15 ans. Ma carrière de DJ est davantage dans la musique électronique, la house, la techno et la musique brésilienne. Disons que mes influences musicales sont très éparpillées. J’écoute autant de musique indie que des morceaux rap dans ma voiture. J’essaie de m’abreuver de nouvelles musiques le plus souvent possibles. Pour nous, de la bonne musique est de la bonne musique, et ce peu importe le style. Ainsi, nous ne mettons aucune barrière lorsqu’on crée. Les sons de notre album sont très disparates. Nous voulions montrer que nous sommes influencés par une multitude de choses et que nous sommes des producteurs versatiles. 

FRUITS : Comme Charles a dit, j’ai grandi dans une famille musicale. Quand j’étais jeune, j’ai joué différents instruments. Mes premières influences sont certainement les Chet Baker, Mile Davis, John Coltrane, Herbie Hancock et les grands jazzmens des années 50-60-70-80. J’ai baigné là-dedans et c’est certain que ça se ressent dans ma manière de produire. Sinon, il y a le hip-hop qui a été très important pour moi. J’ai été grandement inspiré par des gars comme J Dilla et Madlib. 

PAN M 360 : Parlons maintenant de votre album Beaucoup. Comment s’est déroulée la création de ce projet?

FRUITS : Quand nous avons commencé à créer ensemble en févier 2020, nous faisions des sessions en studio deux fois par semaine. À chaque fois, nous y passions 10 à 12 heures, donc nous faisions près d’une vingtaine d’heures de musique par semaine, et ce beau temps, mauvais temps. Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé sans cesse. À un certain moment, nous avions entre 200 et 300 productions de fait. Lorsque nous étions intéressés à travailler avec un artiste, nous lui préparions une collection personnalisée de certaines de nos productions afin de lui envoyer.

CHARLES COZY : Notre manière d’opérer était presque militaire. Nous ne manquions pas une séance de création, il n’y avait rien qui pouvait changer nos plans. J’arrivais au studio le matin avec des cafés, puis je repartais le soir lorsqu’il faisait noir. Nous faisions deux à trois beats par séance. Plus nous en faisions, plus nous étions motivés parce que nous réalisions la qualité de nos productions. Comme Gabriel l’expliquait, nous avions des dossiers de productions préparés pour différents artistes. Lorsque nous étions assez confiants, nous avons commencé à les envoyer à des personnes comme Lary Kidd. Ensuite, nous avons reçu plusieurs maquettes et réponses positives. Plus nous envoyions de beats, plus nous avions de réponses de différents artistes. 

FRUITS : Ça a amené un certain effet d’entraînement où à un certain point certains artistes nous écrivaient directement pour faire partie de notre projet. Ils nous disaient, « Hey, on a entendu dire que vous êtes en train de préparer un album, est-ce que je pourrais participer ? ». Il y avait un engouement autour du projet étant donné qu’on avait plein d’artistes talentueux qui y faisaient déjà partie. La scène musicale québécoise, c’est quand même un petit microcosme. Tout le monde se connaît. Ce n’est pas comme le rap américain où il y a de la violence et du drama. Les gens s’entraident et aiment collaborer. Ça a certainement joué en notre faveur. 

CHARLES COZY : Je pense que nous avons su cultiver nos connexions au travers des années. Même si nous n’avions pas sorti d’album, nous étions quand même connus par plusieurs artistes, car nous leur avions déjà parlé ou même collaboré avec eux. Ça nous a définitivement aidés. 

PAN M 360 : Quel est le plus grand défi lorsqu’on crée un album avec autant de collaborations?

CHARLES COZY : Le plus grand défi, c’est que nous avions des dates et un échéancier à respecter de notre côté. À partir du moment qu’un artiste accepte de collaborer avec nous, nous sommes en attente de son ou ses couplets. Pour la moitié des artistes qu’on retrouve sur Beaucoup, nous avons été en mesure d’être avec eux au studio, donc pour eux c’était facile. Pour le reste, soit nous ne pouvions pas nous regrouper en raison de la pandémie ou parce qu’ils n’étaient tout simplement pas au Québec. Par exemple, Gabe ‘Nandez et Illa J sont américains. C’était parfois difficile d’obtenir les couplets. Ils te disent qu’ils vont t’envoyer leur partie dans une semaine, mais finalement ça prend plusieurs mois avant de recevoir le tout. C’est vraiment ça le défi avec un tel projet. Il y a environ 18 artistes sur notre projet, c’est beaucoup. Parfois, nous devions passer par les gérants et non par les artistes directement, ça rend le tout encore plus complexe. Sinon, c’est aussi un défi de faire des morceaux qui plaisent autant aux artistes qu’à nous. Je suis très fier de ce que nous avons accompli, il y a énormément de travail derrière tout ça.

FRUITS : Il y a eu énormément de gestion à faire, autant pour coordonner nos horaires avec ceux des artistes que pour la production et la promotion de notre album. Heureusement, nous avons pu compter sur la meilleure maison de disque qui a su nous épauler tout au long du processus. 

PAN M 360 : Parmi les onze morceaux que l’on retrouve sur Beaucoup, lequel êtes-vous les plus fiers?  

CHARLES COZY : Pour ma part, c’est Kiss you right avec falcxne. Mes artistes préférés sont Erykah Badu & D’Angelo, et c’est une chanson qui est un peu dans ce style. C’est très soulful. falcxne, c’est un gars avec qui je suis allé au secondaire à Toronto. Il est plus jeune que moi et j’ai eu la chance de le recroiser à Montréal quelques années après. 

Un jour, nous sommes allés au studio avec Pops & Poolboy, deux musiciens de Clay and Friends, et nous avons créé la musique de Kiss you right. C’est probablement l’un de nos morceaux les plus proches de mon cœur et de mes goûts musicaux. Nous avons décidé de l’acheminer à falcxne et j’étais tellement heureux quand il a renvoyé sa piste vocale. 

Il y a aussi le morceau avec Eman et KNLO dont je suis très fier. Ce sont des rappeurs que j’apprécie beaucoup et j’ai toujours rêvé d’avoir un morceau avec eux. C’est quelque chose dont je suis très fier. Les deux ont été vraiment gentils, ils sont venus de Québec pour nous rejoindre à notre studio. C’était génial. 

FRUITS : La chanson avec falcxne est celle dont je suis le plus fier aussi. Si j’avais à en nommer une autre, ce serait définitivement celle avec Mike Clay et Kallitechnis, tout simplement parce qu’il y a beaucoup de monde d’impliqué au niveau de la production. Je trouve que c’est celle où nous avons fait le meilleur travail. Le morceau est bien ficelé, la ligne de basse est solide, la batterie est crisp et les harmonies sont bonnes. Je trouve que les paroles sont accrocheuses et tout est vraiment bons. Nous avons reçu Mike et Kalli en studio en même temps. C’était vraiment bien de les voir travailler ensemble et de pouvoir observer la création du titre. 

CHARLES COZY : Tu l’entends dans You can have it all que les deux chantent le refrain en même temps en studio. C’est super d’avoir pu faire ça et ça rend le tout encore meilleur. Justement, c’est de ça dont nous sommes le plus fière, d’avoir produit un projet et ne pas seulement avoir agi en tant que beatmaker. Je pense qu’il y a une distinction à faire entre les deux. Quand tu es beatmaker, tu créé une instrumentale de ton côté, tandis que quand tu produis, tu t’occupes de toutes les étapes de la création. Tu essaies de mettre les meilleurs éléments ensemble pour créer les meilleurs morceaux. Tu dois pouvoir trouver les artistes qui vont mener ton art à un autre niveau.

PAN M 360 : En tant que producteur, quel est le meilleur sentiment que l’on ressent lorsqu’on crée?

FRUITS : Personnellement, le meilleur feeling c’est lorsque nous sommes en studio et que l’artiste réussit à la perfection son couplet dès le premier essai. Quand tout est parfaitement en phase avec la production, le sentiment est indescriptible. 

CHARLES COZY : Oh ouais, définitivement. Sinon, c’est probablement lorsque le rappeur te regarde en studio et que tu comprends que cet enregistrement-là, c’est le bon. Il y a aussi le moment lorsque tu termines un titre et que tu l’écoutes sept ou huit fois d’affilée dans ta voiture. C’est là que ton morceau prend vie et que tu te rends compte de ce que tu as créé. Tu te sens tellement bien.

C’est aussi un sentiment incroyable que notre projet soit enfin disponible. Nous l’avons écouté et réécouté un nombre incalculable de fois au cours des dernières années pour le parfaire, c’est comme si on mettait au monde un enfant qu’on attend depuis très longtemps. C’est super d’enfin pouvoir peser sur play sur les plateformes d’écoutes en ligne et de pouvoir le partager au public. 

PAN M 360 : Quelle est la prochaine étape pour Or Bleu?

CHARLES COZY : Avec ce premier projet, nous voulions nous « mettre sur la map » en tant que duo de producteurs. Ce que nous souhaitons pour la suite des choses, c’est que des artistes nous contactent afin de produire pour eux. Nous voulons travailler avec le plus de gens possible et explorer différents styles. C’est certain que nous allons faire un deuxième album, nous allons le commencer incessamment. Nous étions très concentrés sur la sortie de notre album et ça fait longtemps que nous n’avons pas été au studio ensemble pour créer. Nous avons certainement hâte d’y retourner. Aussi, nous allons faire quelques spectacles, nous allons pouvoir tourner un peu avec notre projet!

FRUITS : Nous avons déjà parlé du deuxième projet et nous aimerions collaborer avec des artistes européens. C’est l’un de nos buts d’avoir des rappeurs et artistes français, belges ou autres sur notre prochain projet. 

PAN M 360 : Vous mentionnez vouloir élargir vos horizons et œuvrer avec des artistes européens. Avez-vous déjà des noms en tête?

CHARLES COZY : En ce moment, j’aimerais beaucoup faire une collaboration avec le rappeur suisse Makala. Nous sommes des adeptes de rap francophone et les Suisses sont en train de gagner en popularité. Nous écoutons beaucoup d’artistes suisses. 

FRUITS : Ça serait dans la même tangente que Charles. J’aimerais beaucoup travailler Gracy Hopkins, un artiste qui collabore justement avec Makala. Au fil des années, il est devenu l’un de mes rappeurs préférés. Si nous pouvons avoir Makala et Gracy Hopkins sur le deuxième projet d’Or Bleu, ce ne serait pas gênant du tout!

Crédit photo : Louis Robitaille

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