Conclusion de la saison de I Musici de Montréal: Boccherini, Puccini…

Entrevue réalisée par Jean-Frédéric Hénault-Rondeau
Genres et styles : classique

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Fondé en 1983 par le violoncelliste, professeur de musique et chef d’orchestre d’origine soviétique Yuli Turovsky, l’orchestre I Musici de Montréal conclura cette semaine sa 39e saison sous le signe de l’héritage et de la continuité. Ce dernier concert, qui aura lieu jeudi le 11 mai à la salle Pierre-Mercure, mettra en vedette le violoncelliste Stéphane Tétreault, artiste en résidence de l’orchestre et ancien élève de Turovsky. Pour cette occasion, il nous interprétera l’arrangement de Krützmacher du Concerto pour violoncelle n° 9 en si bémol majeur de Boccherini, œuvre avec laquelle il entretient une relation bien particulière – il s’avère qu’il l’a déjà interprétée à titre de soliste avec ce même orchestre alors qu’il n’était âgé que de… 13 ans. S’ajouteront à cela la pièce I Crisantemi de Puccini ainsi qu’un arrangement du Quatuor en mi bémol majeur, op. 127 de Beethoven, réalisé par nul autre que Jean-François Rivest, conseiller artistique et chef d’orchestre de cet ensemble à la réputation stellaire. Celui-ci a d’ailleurs vu son contrat avec eux être prolongé jusqu’en 2027. Excellente nouvelle !

Inspirant, authentique, passionné : l’amour de la transmission est palpable chez Jean-François Rivest. Poésie, pédagogie, pilotage d’avion : peu importe le sujet qu’il aborde, sa qualité de communicateur est contagieuse. Attrapé au détour d’une répétition avec l’Orchestre de l’Université de Montréal (OUM), autre ensemble qu’il dirige avec la fougue qu’on lui connaît, il nous a fait l’honneur de nous recevoir dans une loge de la salle Claude-Champagne lors d’une trop courte pause pour discuter avec nous de cet évènement.

Entrevue sans filtre, en toute simplicité.  

Nombre de mots : 288

PAN M 360 : Parlons d’abord du concerto de Boccherini. Dès que j’ai vu que vous aviez choisi l’arrangement de Grützmacher, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander quelles étaient les raisons derrière ce choix. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

JEAN-FRANÇOIS RIVEST: Vous me coincez ! Voulez-vous que je vous dise la vérité vraie ? Ce n’est pas la version que je désirais faire. Simple problème de communication entre le chef, l’artiste et son agent. Nous nous sommes mal compris. J’ai même acheté une version Urtext de la partition de violoncelle pour l’offrir en cadeau à Stéphane, qui était tout content. Quand il est arrivé chez lui, il a vu que c’était l’arrangement de Grüzmacher. Il s’est donc dit : « C’est celle-là qu’il veut faire ». Le problème, c’était plutôt la compagnie qui m’a envoyé la partition. J’aurais dû vérifier que c’était la bonne version, mais je ne l’ai pas fait. J’ai simplement donné le paquet à Stéphane. Ce résultat est donc le fruit du hasard. On peut cependant affirmer que beaucoup de violoncellistes jouent la version de Grützmacher. Yuli jouait toujours celle-là, d’ailleurs. C’est aussi celle qu’avait jouée Stéphane avec I Musici lorsqu’il avait 13 ans. Ça fait longtemps qu’il la connaît. C’est un peu trop romantique à mon goût, mais je vais m’en accommoder. Parfois, dans la vie, on fait des choses par conviction et parfois, on se dit qu’on va faire du mieux qu’on peut avec ce qui nous est présenté. De toute façon, ce concerto, Stéphane le joue très bien. Mais si vous me demandez mon avis, ce n’est pas ma version préférée.

PAN M 360: Voilà qui est étonnant. Comment fait-on comme interprète pour concilier tous ces facteurs ?

On cesse de s’énerver et on vit avec. C’est une chose qui arrive avec l’âge. Faire des compromis, c’est trouver l’essentiel et dénicher le beau là où il est. On peut explorer les passages d’une pièce de façon très classique, même si elle est d’expression romantique. Reste qu’on trouve dans cette version des sections entières qui ont été modifiées. Certaines harmonies ne sont pas les mêmes, sans compter le deuxième mouvement qui a carrément été emprunté à un autre concerto ! Aucun doute : c’est une bibitte bien particulière.

PAN M 360: Dans ce concert, vous présenterez également un arrangement que vous avez réalisé du Quatuor en mi bémol majeur, op.  127 de Beethoven. Comment avez-vous abordé cette œuvre ? Qu’est-ce qui a guidé votre écriture ?

JEAN-FRANÇOIS RIVEST : Mon impulsion est celle d’un communicateur. Quand on s’attelle à ce genre de travail, tout commence par une vision. On entend quelque chose dans sa tête, on le visualise et on sait immédiatement si ça fonctionne ou non. Dans les années 80, j’étais tombé sur un disque de l’orchestre de Vienne avec Bernstein. Il avait alors arrangé le Quatuor n° 14 en do dièse mineur, op. 131. C’était incroyable, vraiment révolutionnaire en son genre. Moi, je n’ai évidemment jamais fait l’opus 131. Ça lui appartient. Cependant, je joue l’opus 127 depuis plus de 20 ans. Je l’ai d’abord fait quand j’étais au Saguenay, puis avec le Thirteen Strings à Ottawa et les Violons du Roy à Québec. C’est un quatuor qui a selon moi un côté symphonique. Très difficile à réaliser sur le plan technique, mais ça fonctionne. On va travailler fort durant les prochains jours pour parvenir à un résultat satisfaisant.

Sinon, si l’on parle des arrangements en tant que tels: je cherche d’abord à savoir à quel moment je vais mettre de la contrebasse. C’est la chose la plus évidente. Après tout, il n’y a pas de contrebasse dans un quatuor à cordes. Comme leur utilisation augmente les basses d’une octave, elles agissent à titre de registration – à l’instar d’un orgue – ce qui n’est toujours pas à propos. C’est encore plus vrai dans les quatuors de Beethov, là où le violoncelle monte souvent par-dessus toute la mêlée. Dans ces circonstances-là, inutile de mettre de la contrebasse.

Il arrive aussi parfois que j’insère des alternances de solo et de tutti, comme je l’ai récemment fait avec mon arrangement du Sextuor n° 1 de Brahms. En revanche, ce ne sera pas le cas avec le quatuor. Du moins, ce n’est pas ce qui est prévu. Cela dit, à I Musici on fait beaucoup de travail ensemble, chose que je ne peux pas faire ça avec un grand orchestre, là où ma tâche est plutôt de donner des directives claires. Les musiciens avec lesquels je travaille sont tellement bons que si l’un d’entre eux me fait une proposition, on en discute. Leurs idées sont toujours les bienvenues. J’ai d’ailleurs passé une heure au téléphone avec mon contrebassiste Yannick Chênevert pour analyser avec lui l’arrangement d’un bout à l’autre. Sa réaction a été de dire : « Wow, ça, c’est du bricolage ! » (rires) C’est vraiment l’un des aspects les plus importants de mon arrangement, j’en conviens avec lui.

PAN M 360: Ce désir de communiquer était palpable tout à l’heure lors de votre répétition avec l’OUM.

Quand je dirige, c’est comme si je jouais du violon. J’ai l’impression de faire de la peinture en direct. Un peu plus de ci, un peu moins de ça – j’étire la pâte dans la direction qui me plaît. C’est ça, l’idée. Diriger, c’est un peu comme piloter un avion : c’est le nerd control freak en moi qui prend le dessus. Il y a des boutons sur lesquels appuyer, des procédures à respecter, des checklists, des dangers, etc. Je crois qu’on aime ça, nous, les chefs d’orchestre. Mais au-delà de ça, ce qui m’anime, c’est la phrase musicale. Mon urgence, c’est de jouer. Mon but en faisant des concerts, c’est de dire (il agrippe un membre du public imaginaire de ses mains et le secoue) : « Écoute comme c’est beau. Écoute ! Je ne peux pas m’empêcher de te montrer à quel point c’est beau ! » C’est pour cette raison que je glisse souvent un mot avant de commencer. Je ne parle pas entre chaque pièce, comme le font certains chefs. Je préfère le faire à un endroit stratégique. Cette fois-ci, ce sera probablement avant le Beethoven. 

PAN M 360: Communicateur et médiateur, donc. 

JEAN FRANÇOIS RIVEST: Oui. Je veux absolument faire apprécier le quatuor à mon public. Ma vision n’est ni une vérité musicologique ni une vérité musicale, bien au contraire. Jamais je n’aurais cette prétention. Toutefois, les derniers quatuors de Beethove sont tough, alors je tente simplement de leur donner une communicabilité intéressante. Cette approche semble d’ailleurs appréciée. Tout au long de ma carrière, des spectateurs m’ont dit à quel point cela les aidait à comprendre et suivre la musique. Certes, celui ou celle qui connaît l’opus 127 par cœur n’a pas besoin de mon intervention, de toute évidence. Mais qui peut vraiment prétendre le connaître à ce point ? Ce n’est même pas le cas des musiciens que je connais ! Même certains membres d’I Musici, qui sont pourtant tous des cordistes aguerris, sont dans la même situation. Ce travail de médiation est essentiel.

PAN M 360: Un dernier petit mot sur le concert-bénéfice qui aura lieu le 8 juin, dont les profits soutiennent les activités de médiation culturelle de l’orchestre ?

JEAN-FRANÇOIS RIVEST: Le concert-bénéfice, c’est mon ami Louis (Lortie) qui va jouer deux concertos pour piano de Mozart (le 12e et le 14e). Lui et moi nous connaissons depuis l’enfance. C’est un très bon ami. Nous avons même déjà habité ensemble ! Inutile de vous dire que c’était « chaud » dans cette maison-là. 

PAN M 360: Ce sont les mêmes concertos qu’il avait enregistrés sur son premier disque publié sous étiquette Chandos, c’est exact ? 

Oui. D’ailleurs, l’histoire derrière cet enregistrement est plutôt cute. Louis devait avoir 20 ans, tout au plus. Il était à l’époque LE jeune pianiste prodigieux de Montréal. Or, il y avait à ce moment-là un des descendants de Chostakovitch qui devait venir enregistrer son premier concerto pour piano avec I Musici. Pour une raison quelconque, celui-ci était coincé à New York. Yuli a donc demandé à Louis s’il voulait agir à titre de remplaçant pour la répétition. Louis, qui connaissait à peine l’œuvre, a accepté et appris l’œuvre en deux jours. Quand les ingénieurs de Chandos l’ont entendu, ils se sont empressés d’aller le voir pour lui demander : « T’es qui, toi ? As-tu un contrat de disque ? » (rires) Et c’est comme ça que ça a commencé. Non seulement ça a commencé comme ça, mais il a depuis enregistré plus de 50 disques chez Chandos. C’est quand même incroyable. 

PAN M 360: Je l’ai justement connu avec son intégrale des études de Chopin, enregistrées avec Chandos.

JEAN-FRANÇOIS RIVEST: C’est précisément ce qu’il pratiquait quand on habitait ensemble !

À ce moment, l’accord des instruments se fait entendre sur scène. Attendu par ses musiciens, Rivest quitte la loge, non sans me donner une poignée de main et m’inviter à rester pour écouter la seconde moitié de la répétition. Quel privilège, tout de même.

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