Blake Pouliot: le violon ici, maintenant

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Comment le violon a-t-il changé Blake Pouliot ? Comment le jeune virtuose s’applique-t-il à en faire évoluer le jeu ? En pleine ascension sur le circuit international, le soliste canadien nous expose généreusement ses vues dans le contexte d’un programme à quatre ou à cinq instrumentistes, enregistré à la Salle Bourgie.

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En collaboration avec le Club musical de Québec, la Salle Bourgie présente dès le jeudi 18 février un concert virtuel pour le moins relevé : l’exécution du Quatuor à cordes no 2 en ré majeur d’Alexandre Borodine et du  Quintette à cordes en do majeur, D. 956 de Franz Schubert.  Voilà un programme résolument romantique.  

La violoniste Yukari Cousineau, l’altiste Brian Bacon et le violoncelliste Christopher Best, musiciens de l’Orchestre Métropolitain reconvertis en chambristes dans ce contexte, se produisent aux côtés du violoniste canadien Blake Pouliot, soliste en résidence à l’OM, ainsi que de leur invité spécial, le violoncelliste Stéphane Tétreault.

Pour PAN M 360, l’occasion est belle de causer au soliste Blake Pouliot, 25 ans, originaire de Toronto  transplanté à Los Angeles pour une neuvième année consécutive, il y a étudié au Colburn School Conservatory of Music, il y a étudié avec Robert Lipsett. Il est en voie de s’installer à New York,  déménagement prévu pour le printemps dernier mais retardé par la pandémie. Blake Pouliot s’exprime sur un violon fabriqué en 1729 par Guarneri del Gesù, instrument rare prêté par la Banque d’instruments de musique du Conseil des arts du Canada.

Prêt parfaitement justifié : en 2016, il remportait  le Grand Prix du concours OSM Manuvie.  Depuis lors, sa carrière internationale a vraiment décollé, il s’est d’ores et déjà produit avec maints orchestres symphoniques et orchestres de chambre. En 2019, son premier album consacré à Debussy et Ravel fut  applaudi par la critique dont celle du prestigieux BBC Music Magazine. 

Le voilà de passage à Montréal en tant que chambriste aux côtés de musiciens de l’OM!

PAN M 360 : Vous passez donc quelques jours à Montréal avant le concert ?

BLAKE POULIOT : Oui ! Nous avons eu deux répétitions samedi et mardi pour ensuite enregistrer mercredi.

PAN M 360 : Nous avons déjà applaudi votre jeu excellent, à commencer par ce qui vous a fait connaître à Montréal en 2016, soit le concours de l’OSM Manuvie. 

BLAKE POULIOT : Eh bien merci ! J’espère être meilleur depuis la dernière fois que vous m’avez vu jouer!

PAN M 360 : Difficile d’en douter! Nous savons pertinemment que vous allez vous développer dans les années et décennies à venir.

BLAKE POULIOT : Absolument, je le souhaite ! Je pense que c’est la chose la plus importante en tant que soliste : constamment progresser. Il y a un certain niveau ou calibre que vous devez être capable d’atteindre  je pense aussi qu’un bon artiste doit constamment réévaluer son jeu, admettre et comprendre que le jeu de chacun change, tout autant que le style change au gré des expérimentations. La façon dont les violonistes jouaient il y a 50 ans et ce que font ceux d’aujourd’hui est complètement différente.

PAN M 360 : Plus précisément, que dire de ce que vous êtes aujourd’hui musicalement en comparaison à ce que vous étiez à vos débuts professionnels ?

BLAKE POULIOT :  Quand j’ai gagné le concours OSM Manuvie, j’étais encore étudiant et j’apprenais comment exécuter une œuvre. Il me fallait être capable de jouer toutes les notes correctement, maîtriser tous ces détails techniques,  que cela signifie de jouer du violon. Quand vous êtes étudiant et quand vous êtes un jeune interprète, il y a tellement d’ambivalence ou d’ambiguïté sur les façons dont vous vous intégrez dans cette carrière et ce milieu. Lorsque vous voulez poursuivre une carrière de soliste, votre objectif est essentiellement d’être mis sous contrat par une agence importante. 

Pour moi, l’objectif était alors d’exécuter les œuvres avec une grande précision technique, quelque peu stylée et individuelle. Il me fallait ainsi prouver que je méritais d’être pris en charge par une agence importante, de trouver le  tremplin idéal pour une carrière solo. Un an et demi après le concours OSM Manuvie, j’ai eu la chance de signer avec une agence à New York. 

Et je suis alors passé d’étudiant interprète à jeune professionnel. Devenir jeune professionnel impliquait aussi de renoncer à l’opinion des autres. Quand vous êtes jeune, vous vous souciez vraiment de ce que pensent les gens,  vous voulez vous assurer que tout le monde vous apprécie pour votre bon travail. Lorsque, plus tard, vous vous sentez plus à l’aise et que vous interprétez un concerto de Mendelssohn, Tchaïkovski ou Brahms, des morceaux que vous avez joués 30 ou 40 fois et encore et encore, vous arrivez à un point où vous vous souciez beaucoup plus de rendre la musique différente,  la faire sonner comme jamais auparavant, en élargir la dynamique, la rendre plus amusante et beaucoup plus singulière. Puisque vous vous sentez plus à l’aise à jouer les notes d’une œuvre, vous pouvez vous pencher davantage sur l’exploration artistique de nouvelles idées. Et vous amuser !

PAN M 360 : Si nous essayons d’être un peu plus précis, en quoi Blake Pouliot est-il différent des autres violonistes solistes ? 

BLAKE POULIOT : Wow, toute une question! Je pense que j’essaie honnêtement de trouver ces différences sur moi-même, d’identifier les aspects particuliers et personnels de mon son. Le plus important en ce qui me concerne, consiste à évoquer ou émuler la voix humaine.  Je chante chaque phrase musicale avant de la jouer. J’essaie de trouver ma sonorité afin de ne pas ressembler aux autres violonistes. Chaque phrase ressemble davantage à la respiration d’un chanteur que l’attaque d’un violoniste, je joue une mélodie comme je la chanterais, les effets de mon jeu s’inscrivent dans cette approche – vibratos, glissandos, doigtés simples, d’autres beaucoup plus difficiles.

PAN M 360 : Avez-vous des solistes préférés au violon ?

BLAKE POULIOT :  Je nommerais mes 4 violonistes préférés du moment : la Géorgienne Lisa Batiashvili, exceptionnelle et si phénoménale, et  la Hollandaise Janine Jansen bien sûr, deux musiciennes dans la quarantaine. Les deux autres sont beaucoup plus jeunes. Le premier est Coréen Américain Stephan Jackiw, pour son intonation extraordinaire, pour son sens impeccable du phrasé et pour la pureté de sa sonorité, puis la Norvégienne Vilde Frang. Grâce (notamment) à ces jeunes musiciens, le violon prend vraiment une voie différente d’il y a 20 ans. Comme aux autres violonistes, on m’avait d’abord appris à ressembler à Isaac Stern, Yehudi Menuhin, Jascha Heifetz, David Oistrakh… et puis les choses ont changé. Aujourd’hui, vous n’avez plus à jouer systématiquement comme si vous deviez projeter dans une grande salle, il importe plus de faire corps avec l’instrumentation par exemple. Je trouve que ces quatre artistes sont très enclins à cette nouvelle approche.

PAN M 360 : Quelles seraient les autres différences principales entre les musiciens classiques des générations antérieures et ceux de la vôtre?

BLAKE POULIOT : Je pense qu’elles sont tributaires  des avancées technologiques. Nous, de la nouvelle génération de musiciens classiques, sommes constamment filmés et enregistrés,  nous pouvons sans cesse observer notre propre jeu. Donc il y a toujours une réévaluation sur la façon dont vous jouez maintenant, et ça n’existait pas auparavant – ou si peu.  Si vous étiez violoniste solo entre 1900 et 1950, la musique classique était une voix complètement distincte de la culture pop, ce qui n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Autrefois, le son des violonistes était plein parce qu’ ils s’adressaient à une immense salle, ils leur fallait toujours vibrer très fort, exprimer leur virtuosité. Aujourd’hui, la musique classique n’a plus le même statut qu’avant et les musiciens classiques doivent s’adapter à la période actuelle. Dans ce contexte, on ne joue plus constamment pour un grand amphithéâtre, avec ce son old school. Les jeunes solistes peuvent adapter leur jeu à chacun des contextes où ils se produisent. En somme, ils tentent de faire les choses un peu différemment, comme si nous écoutions un morceau sous un autre angle. C’est comme ça que j’essaie maintenant de me produire et de changer un peu les choses.

PAN M 360 : Les conditions sonores sont différentes aujourd’hui, notamment grâce à l’amplification et les filtres associés aux prises de son. Y a-t-il donc un effet pervers? Le danger d’un déclin de la technique de jeu ?

BLAKE POULIOT : Je pense qu’il est important d’éduquer les musiciens pour qu’ils soient capables de tout.  Nous comprenons bien que ces instruments ont été conçus pour être joués dans de grandes salles. Les instruments à cordes, en particulier, sonnent tout simplement mieux sur scène. Ils n’ont pas été conçus pour l’enregistrement. Or, l’avantage que procure l’enregistrement est le repérage de vos erreurs, l’exploration de petits détails dans le jeu, un éventail plus large de l’expérimentation. Dans une salle de 2500 personnes, on ne peut pas faire les mêmes choses que lorsque nous jouons devant un microphone.  Ainsi, nous sommes désormais capables de jouer de tant de façons différentes. Les violonistes du siècle précédent, eux, n’avaient pas changé leur façon de jouer devant un micro, leur son était toujours très fort et très plein. Maintenant, nous avons appris à changer notre façon de jouer et peut-être à faire quelque chose de différent. Cela dit,  je pense que les deux approches sont importantes pour les musiciens classiques d’aujourd’hui.  

PAN M 360 : Avez-vous des territoires de prédilection dans l’histoire de la musique ?

BLAKE POULIOT : J’aime la musique moderne. J’aime l’impressionnisme français, Debussy, Ravel etc. J’aime aussi Leoš Janáček , je suis un grand fan de Dmitri Chostakovitch. La première chose que j’ai dite à mon agence à New York, c’était de souhaiter jouer le premier concerto pour violon de Chostakovitch, l’un des meilleurs du répertoire. Il n’est pas joué très souvent, je ne comprends pas pourquoi.  À l’opposé du spectre historique, je suis depuis peu fasciné par la musique vocale baroque, le point de départ étant Monteverdi.  J’aime aussi la musique de luth de cette période. 

PAN M 360 : A propos de la musique contemporaine ?

BLAKE POULIOT : Quand il s’agit de jouer de la musique contemporaine, je suis très pointilleux sur les compositeurs avec lesquels j’aime travailler. Pour être franc, je crois qu’il est très difficile de composer de la musique contemporaine sans qu’elle soit artificielle ou pompeuse. La musique a progressé jusqu’à l’époque de la musique contemporaine, moins axée sur l’émotion et plus sur l’intellect. Le processus de création est devenu très important, on en apprécie l’intelligence et… Je trouve ça cool, mais parfois je trouve ça trop cérébral. Alors que  j’ai parfois l’impression que le monde de la pop est trop émotionnel et pas assez intellectuel. Les meilleures pièces contemporaines, selon moi,  sont capables d’unir ces deux aspects. De très bons compositeurs de musique de film peuvent y parvenir, mon préféré est Michael Giacchino. Il a étudié à Juilliard, il est doué pour la musique contemporaine mais il est aussi très doué pour écrire des mélodies poignantes. Vous savez, j’ai moi-même joué dans des groupes lorsque j’étais adolescent, j’ai beaucoup aimé écrire des chansons. Si un jour j’ai un problème physique à jouer le violon, j’écrirai des chansons pop!

PAN M 360 : Concluons avec les 2 pièces jouées à la Salle Bourgie. Le Quatuor à cordes n°2 en ré majeur de Borodine?

BLAKE POULIOT : Son 3e  mouvement est le plus célèbre à cause de sa mélodie, mais je trouvais personnellement ce quatuor assez étrange au départ. Il y a des moments que je n’avais pas compris avant de le jouer, surtout dans ce 4ème mouvement un peu bizarre. En répétant la pièce, cependant, j’ai commencé à l’apprécier. Le premier mouvement porte une merveilleuse mélodie, sans prétention apparente et qui, en fait, est vraiment difficile à jouer!  C’est une pièce très unique, très accessible en somme. En tout cas, nous avons eu beaucoup de plaisir à la répéter.

PAN M 360 : Le Quintette à cordes de Schubert?

BLAKE POULIOT : Monter cette pièce en deux jours est incroyablement difficile! C’est très complexe, très allemand, toutes les émotions se trouvent derrière la vitre. C’est un paradis perdu ! C’est très expansif, ça vous emmène sur tant de montagnes russes, je pense que c’est un morceau de musique assez remarquable.

PAN M 360 : Et vos collègues ?

BLAKE POULIOT : Stéphane Tétreault et moi nous sommes rencontrés à quelques reprises, je pense qu’il est un violoncelliste exceptionnel. Brian, Chris  et Yukari, de l’Orchestre Métropolitain, si charmants, si gentils, accueillants, respectueux, chaleureux. Je les aime beaucoup, c’est très gratifiant de jouer avec eux.

INFORMATIONS SUR LE CONCERT Schubert et Borodine en tête à tête

Du 18 février, 19 h 30 au 4 mars, 23 h

Tarif : 20 $

POUR ACHETER VOTRE ACCÈS AU CONCERT VIRTUEL C’EST ICI

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