Le concept des teru teru bōzu, ces petites poupées artisanales suspendues aux fenêtres pour conjurer la pluie au Japon, est porteur d’une riche symbolique oscillant entre soin, espoir et contrôle. Teru Teru, présentée en première mondiale au Festival Sight + Sound 2025 présenté au Eastern Block, s’empare de cette tradition pour proposer une exploration chorégraphique et sonore de la gestion du soin dans un monde en perpétuelle incertitude. Hanako Hoshimi-Caines et Hanako Brierley puisent dans ces symboles pour créer une performance où l’intime rencontre le rituel, où le passé dialogue avec l’imaginaire.
Dès les premiers instants, la scène est habitée par une ambiance à la fois douce et spectrale. Le dispositif scénique, où deux poupées teru teru bōzu de tailles géantes sont placées au sol au milieu de la salle, compose un paysage visuel évocateur. Ce décor, oscillant entre le jeu enfantin et une certaine présence fantomatique, devient le théâtre d’une exploration sensorielle captivante. Pourtant, sous cette douceur apparente se cache une tension latente : l’acte d’accrocher un teru teru bōzu est une prière empreinte d’espoir, mais aussi une promesse tacite de sanction. Si la poupée échoue à faire apparaître le soleil, elle est condamnée à être décapitée.
Un jeu vocal entre douceur et tension
Le travail sonore de Brierley accentue cette tension. Par un usage subtil du looping vocal, elle déconstruit la comptine traditionnelle teru teru bōzu, répétée et superposée pour en révéler des nuances insoupçonnées. Cette boucle sonore, où la voix devient un instrument hypnotique, insuffle une légèreté ludique tout en laissant planer une menace diffuse. Ce traitement sonore, d’abord enfantin et rassurant, se transforme progressivement en une litanie abstraite, presque mécanique, vidée de son affect.
Le dialogue vocal entre Hoshimi-Caines et Brierley s’inscrit dans une dynamique organique où les voix se croisent, s’entrelacent et se répondent. Par moments, leurs voix se fondent dans une harmonie douce, évoquant un chant incantatoire où le soin prend une dimension collective. Mais cette douceur est souvent interrompue par des silences abrupts ou des décalages vocaux qui créent des espaces de tension. Ces interruptions, loin d’être de simples pauses, deviennent des respirations chargées d’incertitude.
Le silence comme espace de rupture
C’est surtout dans ces silences que la performance trouve sa profondeur. Lorsque les voix s’effacent, un espace vide s’ouvre, invitant à une écoute plus attentive du corps et de l’environnement. Ces silences, loin d’être des absences, deviennent des moments de suspension où le spectateur est confronté à l’attente, à la vulnérabilité et au risque d’échec inhérents au rituel. Ce dialogue entre le plein et le vide donne une résonance particulière aux gestes chorégraphiques, où chaque suspension semble amplifier la fragilité des mouvements.
Un rituel vidé d’émotions, porteur de tensions
Teru Teru explore la tension inhérente au rituel, là où la répétition des gestes et des sons ne fige pas la performance dans une mécanique rigide, mais lui insuffle une vitalité organique. La simplicité du rituel — accrocher une poupée en espérant conjurer la pluie — se vide progressivement de son affect pour devenir un automatisme, une répétition où l’émotion s’efface pour laisser place à une tension sourde. Ce dépouillement émotionnel, loin d’apaiser, rend la charge dramatique plus intense, confrontant le spectateur à l’incertitude d’un espoir suspendu à un fil.
Avec Teru Teru, Hoshimi-Caines et Brierley offrent une œuvre d’une rare délicatesse, où le soin devient un rituel vivant, oscillant entre espoir, contrôle et abandon. Dans cette danse infinie de répétitions, de silences et de renouveaux, la gestion du soin se transforme en un espace d’attente où la tension, née de l’absence d’émotions manifestes, devient la véritable force motrice de la performance.