Ayiti… Kiskeya… 509. Que se passe-t-il donc dans le 509, soit l’indicatif téléphonique d’Haïti, Ayiti, Kiskeya ? On en diffuse toutes les tragédies, on en souligne tout le bordel, on sait encore trop peu la magie, la culture, l’intelligence. En cette fin de mercredi soir, en tout cas, le 509 était en symbiose avec le 514. Le Gesù était rempli aux deux tiers, mais l’auditoire présent était plus que ravi! Plus de 90 minutes passées avec d’excellents musiciens majoritairement haïtiens, résidants ou de passage.
Jowee Omicil était le houngan, le prêtre, le sorcier de cette cérémonie vitaminée. Il a bellement présidé ce concert de musique improvisée non sans rappeler le sacré dans la culture créole haïtienne. Pour l’avoir vu, écouté, et avoir conversé avec lui à quelques reprises, je puis dire qu’il est d’abord un leader, un entremetteur, un catalyseur de la vibe. Il sait construire une ambiance de feu et convier le public à une réelle communion.
Jowee Omicil a grandi à Montréal mais évolue essentiellement en Europe et aussi dans la créolophonie.
Son dernier passage important sur scène ici avait eu lieu avant la pandémie, c’est dire. Perso, je l’ai vu jouer aussi en France il y a quelques années, dans un New Morning archi plein, avec un effet idem sur les gens présents.
Alors je ne me suis pas étonné lorsque The Guardian a encensé son dernier album à la fin 2003, Spritual Healing : Bwa Kayiman Freedom Suite, un album d’improvisation libre à saveur vaudoue, longue séance de free jazz propice aux meilleurs résultats artistiques. L’évocation est claire pour tout Haïtien qui connaît son histoire: dans la nuit du 14 août 1791, une réunion d’esclaves marrons avait précédé la révolte du Bois-Caïman (Bwa Kayiman en créole), soit le début de la révolution et de la guerre d’indépendance gagnée par les Haïtiens contre la France à l’ère coloniale.
Pas étonnant que se trouvaient dans la salle du Gesù d’éminents musiciens, dont le saxophoniste Kenny Garrett ou encore le claviériste montréalais Ric’key Pageot qui tourne avec Madonna depuis de nombreuses années, et qui montera jouer sur scène en fin de programme. On retiendra aussi les claviers de Randy Kerber et Jonathan Jurion, les percussions d’Arnaud Dolmen et Yoann Danier, la basse de Jendah Manga. Excellente section rythmique autour de laquel leur leader s’exprime, et puis n’oublions pas le guitariste Harold Faustin qui fut un mentor pour Jowee Omicil, toujours respecté de ses pairs, et invité à piquer quelques solos de son cru ou à strummer passionnément pendant les grooves collectifs.
C’est ça, l’expérience Jowee Omicil, fils de pasteur et aussi capable de grande prêches. Notre hôte tapisse ses concerts de tout ce qui lui passe par la tête et… sachez que le mec a l’imagination fertile! Une antenne pour les lwas de la musique, pour ces esprits de qui chevauchent invariablement les meilleurs artistes. Les citations mélodiques se multiplient au fil de ce concert, le folklore, les airs troubadours, les évocations de rara au sax imitant les vaccines (trompette rudimentaire en Haïti), les grooves uniques de ce jazz sur des rythmes traditionnels ou kompa, les harmonies de jazz afro-américain au tournant des années 60, une ligne de Mozart, de la kora, de la poésie créole et plus encore.
En cette fin de mercredi, cette scène du Gesù était devenue le parvis d’un temple où cette cohorte de l’élite culturelle haïtienne se rencontrait et répondait aux consignes du maître du jeu. Jowee Omicil est un animateur et un entremetteur de choix, doublé d’un doué multi-saxophoniste, multi-clarinettiste, multi-flûtiste, claviériste et plus encore. Souvent la pédale est au fond, ce musicien ne réprouve aucun survoltage, aucun débordement, ça fait partie de son esthétique et c’est un trait fort de sa personnalité.
On ne peut dire cependant qu’il soit un supravirtuose ou un compositeur d’exception, les formes de ses œuvres sont simples et ouvertes, fondées sur des grooves ou des ambiances. La créativité se déploie davantage dans l’improvisation et l’expressivité que dans la structure et la complexité formelle. C’est là qu’excelle Jowee Omicil.