Jacques Schwarz-Bart conclut l’Off Jazz par une plongée dans Harlem

par Michel Labrecque

Le concert de fermeture du Festival OFF Jazz de Montréal, le 14 octobre au Studio TD, ne nous a pas laissé sur notre faim. Jacques Schwarz-Bart, l’immense musicien guadeloupéen, devenu américain, nous a livré une performance inspirée de son dernier album , The Harlem Suite. Avec l’aide précieuse de la chanteuse guadeloupéenne montréalaise Malika Tirolien.

Jacques Schwarz-Bart porte plusieurs chapeaux: il a contribué à la jazzification du gwoka, la musique traditionnelle guadeloupéenne; il a aussi travaillé avec de nombreux artistes « néo-soul »comme D’Angelo, Erykah Badu et le trompettiste Roy Hargrove; il est aujourd’hui  professeur au prestigieux Berklee College of Music à Boston.

The Harlem Suite est un hommage vibrant à Harlem, le quartier new-yorkais ou Schwarz-Bart a habité pendant près de deux décennies. Le quartier emblématique de la communauté noire et sa culture pendant plus d’un siècle. Cet album est dans une posture plus jazzistique que d’autres créations du guadeloupéen. 

Le concert a commencé par un déluge de notes, sur un rythme ultra rapide. En plus de Schwarz-Bart, le quatuor est composé de trois de ses étudiants à Berklee, Ian Banno à la basse, Hector Falu Guzman à la batterie et Domas Zerosmskas au piano . Des jeunes pousses prometteuses et impétueuses, qui démontrent l’excellence de ce collège musical.

 

Nous avons entendu des reprises de Butterfly de Herbie Hancock et de Look No Further de Betty Carter, de Equinox de John Coltrane, formidablement réinventées par Jacques Schwarz-Bart et ses musiciens. Toutes ces reprises figurent sur The Harlem Suite

En passant, il faut le crier et le dire haut et fort: Malika Tirolien est une chanteuse exceptionnelle et innovante! Celle qui chante avec les groupes américain Bokanté et Snarky Puppy peut nous emmener dans des stratosphères musicales. Elle est brillante.

Mais c’est vraiment avec des compositions de Jacques Schwarz-Bart que le concert a atteint son zénith. From Gorée to Harlem, qui évoque la présence africaine à Harlem ainsi que l’hommage jazzistique à Roy Harper nous ont donné des moments où l’émotion rejoignait la complexité musicale. 

Cerise sur le gâteau: notre homme parle évidemment français et nous parle longuement de l’esprit de ses compositions tout en nous mettant à jour sur l’état du racisme aux États-Unis. Le monsieur a étudié en sciences politiques à Paris et sait très bien analyser la vie dans son pays d’accueil.

Ce concert a conclu en beauté l’Off Jazz. Le Festival a d’ailleurs couronné la formation locale BellBird, comme nouveau groupe prometteur. 

Ce festival nous a démontré la force du jazz local sous toutes ses formes. 

Le Vivier | Quatuor Bozzini + Dedalus + Peyee Chen : méditation et contemplation

par Elena Mandolini

Le Quatuor Bozzini s’est produit hier soir dans la salle du Conservatoire de Montréal, en collaboration avec plusieurs collectifs. Ce concert était présenté dans le cadre de Québec musiques parallèles, une initiative du Quatuor Bozzini (Alissa Cheung et Clemens Merkel au violon, l’altiste Stéphanie Bozzini et la violoncelliste Isabelle Bozzini) visant à amener la musique nouvelle hors des grands centres urbains. Le programme présenté à Montréal avait déjà été interprété à Trois-Rivières et sera à Jonquière dimanche.

L’œuvre présentée est Grounds of Memory, du compositeur Jürg Frey, pour soprano et orchestre de chambre. Pour ce faire, le Quatuor Bozzini s’est entouré de l’ensemble Dedalus, composé de Didier Ashour (guitare), Joris Rühl (clarinette), Stéphane Garin (percussion), Silvia Tarozzi (violon) Cyprien Busolini (alto) et Audréanne Filion (violoncelle), ainsi que la soprano Peyee Chen. Tous ces interprètes ont offert une soirée d’introspection et de méditation au public rassemblé pour l’occasion.

La pièce de Jürg Frey pourrait presque être qualifiée de minimaliste. En effet, l’on se concentre plus sur les sonorités que peuvent produire les différents instruments. L’atmosphère sonore est épurée, puisque chaque instrument joue une note à la fois, chacun leur tour. L’ambiance est planante, propice au recueillement et au calme. Durant l’heure que dure Grounds of Memory, le niveau sonore demeure sensiblement le même, à l’exception d’un crescendo aux percussions vers le milieu de la pièce. Les musiciennes et musiciens font preuve d’une écoute exceptionnelle, se partageant la mélodie de manière à ce que les instruments et leurs timbres se confondent. Si l’on avait écouté cette œuvre les yeux fermés, on aurait pu croire qu’il n’y avait qu’un seul violon au lieu de trois, tant le souci d’uniformité est grand.

Le texte accompagnant l’œuvre, que chante la soprano Peyee Chen, est un collage de poèmes écrits par Jürg Frey lui-même, ainsi que par Arakida Moritake et Emily Dickinson. De nouveau, le chant répond à une esthétique épurée, où chaque syllabe est énoncée clairement et lentement, et presque entièrement monodique. Le texte, même s’il a été imprimé et inséré dans le programme de la soirée, demeure clair sans avoir besoin de le lire simultanément. La voix de Chen est claire et pure, sans vibrato malgré les notes tenues. C’est par ailleurs une constante durant la pièce : les notes tenues sont immuables, ce qui rend cette œuvre et cette interprétation d’autant plus remarquable par la justesse, la qualité et la solidité du son. 

La pièce se termine un peu comme elle avait débuté, par une note solitaire au violon qui se perd dans l’espace. Un long moment de contemplation sépare la fin de la pièce du début des applaudissements. Applaudissements bien mérités, puisque les musiciennes et musiciens ont offert une performance de très haut niveau.

Pour connaître les prochains concerts présentés par Le Vivier, c’est ICI.

Crédits photos : Elaine Louw Graham

OSM | Roderick Cox et Blake Pouliot offrent une soirée énergique et brillante

par Elena Mandolini

L’OSM recevait hier soir des invités de marque. Roderick Cox, chef d’orchestre, et Blake Pouliot, violoniste ont livré de solides performances à la hauteur des attentes et de leurs réputations respectives, lors d’une soirée sous le signe de la puissance, de la vitalité et de la virtuosité.

Le concert s’ouvre avec La tempête, une fantaisie symphonique composée par Tchaikovsky. Cette œuvre s’inspire de la pièce du même titre de Shakespeare. Il s’agit ici d’une œuvre très évocatrice, construite en plusieurs tableaux décrivant en musique les péripéties de la pièce. L’on pouvait effectivement y entendre les vagues, illustrées par la section de cordes, et tout le drame de la pièce, évoqué par des cuivres puissants. L’exécution de cette œuvre est remarquable : l’orchestre joue parfaitement ensemble, même dans les passages les plus rapides et les plus chargés. Par ses gestes précis, amples et évocateurs, Cox guide l’orchestre à travers l’œuvre avec brio. L’interprétation est riche en contrastes et en nuances, le tout interprété avec grand succès.

En deuxième partie, l’œuvre la plus attendue de la soirée : le Concerto pour violon de Samuel Barber. Le soliste, Blake Pouliot, sait briller sur scène. On entend très bien le violon solo, même lorsque l’orchestre joue avec plus de puissance. L’interprétation de Pouliot est solide et convaincante, et les thèmes sont interprétés de manière très chantante. Les passages plus aigus sont clairs et assumés. Pouliot semble à son aise sur scène, détendu lorsqu’il joue, souriant durant les passages pour orchestre seulement. Le troisième mouvement, le plus virtuose de ce concerto, surprend par sa courte durée. Mais Pouliot et l’OSM y ont consacré tant d’énergie que cette finale en devient inoubliable. On a droit ici à une performance de très haut niveau, qui justifie amplement tous les éloges qu’on reçus autant Cox que Pouliot.

Crédit photo : Antoine Saito

Au retour de l’entracte, Roderick Cox dirige la Negro Folk Symphony, composée par le compositeur afro-américain William Levi Dawson. L’œuvre présente un langage musical assez standard en ce qui concerne la composition pour orchestre symphonique, mais la partition recèle tout de même de belles surprises que l’on se plaît à entendre. Cette symphonie s’inspire fortement des spirituals, et cette influence s’entend tout à fait. Dans chacun des trois mouvements, une mélodie chantante, aux rythmes parfois syncopés, est d’abord exposée par un instrument solo, puis l’orchestre reprend ce thème. De nouveau, Cox et l’OSM offrent une interprétation riche en contrastes de nuances et d’ambiances. Le ton est tantôt lumineux et enjoué, tantôt grave et solennel. Soulignons également le travail de la section de percussions, en particulier dans le second mouvement.

Le public aura eu droit à une soirée enlevante, remplie de (re)découvertes et d’interprétations solides, précises et convaincantes. Le programme sera de nouveau présenté le samedi 14 octobre, c’est à ne pas manquer!

Pour infos et billets, c’est ICI!

OFF Jazz | Mark Nelson : la tête dans les étoiles

par Frédéric Cardin

Le batteur montréalais Mark Nelson a voulu illustrer musicalement toutes « les choses bizarres » qui existent au-delà de l’atmosphère terrestre, bien au-delà, c’est-à-dire jusque dans d’autres systèmes solaires et mêmes d’autres galaxies. C’est donc cette idée qui sous-tend tout le contenu conceptuel de Postcards From the Cosmos, une collection jazz d’impressions venues de très loin et présentée hier soir au Dièse Onze, dans le cadre de l’OFF Jazz 2023. Un jazz interstellaire, philosophiquement parlant, mais très peu solaire dans son architecture harmonique. On se retrouve en effet dans un univers sonore sérieux et complexe, bien que supporté par une rythmique souvent insistante et bien propulsée par Nelson lui-même, bien sûr, et le discret mais élaboré Levi Dover à la contrebasse. C’est au piano, en vérité, que ça se passe. Andrew Boudreau, excellent, construit toute une constellation sophistiquée qui oscille entre l’atonal webernien et le chromatisme raisonnable. 

Dans ce voyage, on se pose quelque part sur une planète ou il « neige » de la crème solaire (Kepler 13Ab – oui, oui, c’est  vrai), on admire la galaxie dite du Sombrero (l’une des plus belles capturées par les téléscopes) en essayant de percevoir les échos ténus et très abstraits de la chanson Mexican Hat Dance dans la trame instrumentale, et on entend un « blues bizarre » définir l’astéroïde Oumouamoua (que certains ont pris pour un vaisseau alien) et un funk vaguement schoenbergien doublé d’accords pianistiques rappelant un peu Messiaen nous parle d’une planète à deux soleils, telle Tatooine dans Star Wars. Il y a même Pluton, saluée nostalgiquement comme ancienne planète (elle est désormais une « planète naine »). Nelson s’y connaît, de toute évidence. 

On aurait cependant aimé un peu plus de « sense of wonder » dans cette musique de haut niveau, pour éviter parfois l’impression de cérébralité. La pièce titre, Postcards From the Cosmos, arrivée vers la toute fin, nous en a donné un brin. Il était un peu tard. Les étoiles, les galaxies, les nébuleuses colorées, les exoplanètes excentriques, tout cela est empreint d’une sorte de magie visuelle et spirituelle qu’on aurait souhaité plus fidèlement répliquée dans les constructions musicales. Néanmoins, le résultat final est férocement intelligent, savamment tissé en plusieurs couches de discours harmonique et rythmique, et réalisé avec des musiciens en très grande forme technique (encore une fois, Boudreau, impressionnant. Le collègue pianiste Félix Stüssi était présent, il a dit la même chose). On n’a peut-être pas été émerveillé, mais pour sûr, impressionné et jazzistiquement satisfait. 

OFF Jazz | Léviter avec Melissa Pipe

par Michel Labrecque

Un aveu pour débuter: je ne connaissais pas Melissa Pipe avant le début du festival OFF Jazz. L’écoute de son album Of What Remains m’a totalement envoûté, impressionné, séduit. Et le concert du 11 octobre dans un Ministère totalement subjugué n’a fait qu’ajouter à mon bonheur.

Melissa Pipe joue du basson et du saxophone baryton. Mais d’abord et avant tout, c’est une compositrice et une arrangeure brillante. Elle mise sur un jazz de chambre dans lequel les cuivres et vents dominent, mais dans lequel chaque musicien est en symbiose totale avec ses comparses. Solos bien ficelés en prime. 

Nous sommes dans une sorte de halos de velours, qui n’exclut pas, à l’occasion, quelques élans de dissonances et explosions, mais ce qui prédomine est une formidable courtepointe harmonique et méditative. 

« Vous l’avez sans doute remarqué, j’aime beaucoup le grave », nous dit Melissa Pipe, entre deux pièces. C’est vrai que c’est une caractéristique de ses couleurs musicales. Que voulez-vous, quand on joue du basson et du saxophone baryton, ça influence le registre des compositions. 

Soit dit en passant, Melissa Pipe parle français comme une Québécoise de souche, le tiers des pièces de Of What Remains ont des titres français. Ce sextuor reflète une fois de plus la diversité montréalaise: Philippe Coté au saxophone ténor et clarinette basse, Solon McDade à la contrebasse, la formidable Mili Hong à la batterie, Andy King à la trompette Lex French joue plutôt dans l’album) et Jeff Johnston au piano (Geoff Lapp dans l’album). Ce groupe est exquis, n’ayons pas peur des mots. 

Comparativement à certains collègues de ce site, je ne possède pas une connaissance encyclopédique du jazz. Mais l’amoureux de bonne musique de tous les genres que je suis a lévité pendant ces quatre-vingt minutes de musique.    

Dorénavant, quand je saurai que Melissa Pipe donne un concert, que ce soit avec son sextuor, son quartette de bassons, ou sous quelque autre forme, il paraît qu’elle collabore aussi avec des musiciens rock ou hip hop, je tendrai l’oreille. 

Je termine ce compte-rendu avec Of What Remains dans mon casque d’écoute. Quelles magnifiques harmonies. Quelle symbiose. Une musique idéale pour transcender les angoisses de l’époque actuelle. 

Chant pour un Québec lointain à la Salle Bourgie – Hommage aux racines et à une artiste disparue trop soudainement

par Rédaction PAN M 360

Mercredi soir, la Salle Bourgie a offert un bel hommage à une compositrice remarquable qui aurait aimé assister à la création de son œuvre. Rachel Laurin, décédée le 13 août dernier, aurait dû être la première compositrice en résidence à Bourgie, mais la vie en aura voulu autrement.

C’est entre les mains du pianiste Olivier Godin et du baryton Marc Boucher que revient la tâche de présenter à sa juste valeur le Chant pour un Québec lointain, un cycle en trois parties et quatorze chansons basé sur la poésie de Madeleine Gagnon, publiée en 1991. Étant une création presque totale (le premier cycle ayant déjà été joué), on peut éviter les débats incessants et la subjectivité des attentes face à l’interprétation. Il va falloir prendre cette interprétation telle qu’elle est, et c’est ce qui compte.

Le Chant pour un Québec lointain apparaît fortement ancré dans une tradition française du récital avec piano et voix, ou encore du lieder tel qu’on peut le retrouver chez Schubert. À plusieurs moments, on peut faire des parallèles avec des œuvres issues de ce répertoire. Par exemple, les premiers poèmes évoquent le voyage à travers les paysages du Québec sauvage, et le mélange de mélancolie, d’optimisme prudent et de références à la mort (le dernier mouvement du premier cycle se présente comme une marche funèbre à certains moments) évoque parfois le Winterreise. Les poèmes en prose, ainsi que les riches harmonies et sonorités rappellent un peu les Histoires naturelles de Ravel, notamment avec une liberté assumée dans la construction des mélodies. On note toutefois une forme solide qui se veut accessible et claire. On retrouve avec amusement certains airs, surtout dans les parties plus dansantes, qui semblent provenir de la musique populaire ou traditionnelle. On sort toutefois difficilement de la tradition française et on regrette le manque d’un sentiment réellement « québécois », au-delà des références et du contenu des poèmes. 

Le cycle se métamorphose au fur et à mesure qu’il progresse. Il débute en dépeignant les paysages sublimes mais rudes du territoire, mais va terminer en illustrant non plus les paysages, mais plutôt les valeurs fondamentales des québécois d’antan, ou leurs réalités changeantes au fil des saisons. Le narrateur semble en équilibre entre le regard sur le passé et sur le futur. Il s’agit également d’un cycle de contrastes, tant dans la musique que dans les paroles. Souvent, on débute un poème dans un ton grave et sévère, puis on passe à un ton plus léger, presque soudainement, et vice versa. Encore une fois, on se retrouve en équilibre, cette fois-ci entre les thèmes de l’espoir, ou encore de la beauté, et le thème de la mort, ou de la solitude. 

L’interprétation par Marc Boucher et Olivier Godin était exemplaire. Les poèmes n’étant pas toujours adaptés au chant, on note l’agilité et la force avec laquelle le baryton a fait vivre la partition. Sa voix claire et puissante pour son registre se prêtait au caractère majestueux de nombreux vers. Le piano était tout aussi bon, avec une partition qui n’avait pas l’air simple, remplie de motifs rapides et d’harmonies flottantes. La musique étant littéraire et proche du texte, on sentait les deux musiciens en profonde communion, avec le piano qui continuait souvent les lignes mélodiques de la voix. La Salle Bourgie étant superbement adaptée à ce format de concert, les conditions étaient parfaites.

Le concert n’était pas parfait, mais a su conquérir le public. Ce dernier, plus clairsemé que la veille, a entendu une œuvre spéciale qui mérite d’être entendu plus souvent. C’est un bel hommage aux racines québécoises et aux sacrifices des générations précédentes, et sa présentation par la Salle Bourgie est tout aussi significatif pour honorer la vie de Rachel Laurin et de ses œuvres. C’est avec plaisir que nous garderons un œil sur ses autres œuvres au programme.

Pour plus d’informations sur les autres concerts dédiés à la mémoire de Rachel Laurin, visitez la page sur le site de la Salle Bourgie.

OFF Jazz | Chuck Copenace, jazz moderne et autochtone

par Michel Labrecque

J’étais très intrigué par ce concert du trompettiste de la nation Objibway Chuck Copenace, qui vit à Winnipeg, capitale du Manitoba, qui vient d’élire le tout premier premier ministre autochtone du Canada. 

Ça bouge dans les Premières Nations, en politique comme en culture, pas uniquement au Québec.

L’écoute de son dernier opus, Oshki Manitou, laissait entrevoir un mélange intéressant entre musique traditionnelle autochtone, musique électronique et jazz.

Par contre, la version concert de cet album, mercredi soir au Ministère), m’a laissé un peu sur ma faim. C’était davantage un spectacle jazz traditionnel, groovy, légèrement marqué par des chants traditionnels, à deux occasions . L’absence de claviers, omniprésents sur l’album, a transformé le son du groupe.

Une fois cela dit, le colosse timide qu’est Chuck Copenace est très touchant quand il raconte son histoire. Il a beaucoup parlé. Du fait qu’un Objibway du Nord de l’Ontario, élevé par une mère qui a vaincu ses problèmes de consommation, ait réussi à devenir trompettiste, est un formidable accomplissement. Du fait qu’il se soit reconnecté à ses racines en fréquentant les nombreuses « sweat lodges » (huttes à sudation) de Winnipeg, d’où plusieurs de ses récentes compositions sont issues. Car , dans ces huttes, on chante beaucoup. 

Chuck Copenace est un trompettiste compétent. Le guitariste Victor Lopez assure l’encadrement harmonique avec un son cristallin, plein de réverbération. Le quintette a joué du Herbie Hancock et Freddie Hubbard en plus des compositions de Copenace. 

J’aimerais revoir ce groupe dans une version plus conforme au dernier album, où la fusion des genres s’exprime de façon plus convaincante. La trajectoire de Chuck Copenace reste à suivre, puisqu’il s’est engagé à rassembler des musiciens autochtones pour construire un nouveau jazz.

L’éblouissante Isata Kanneh-Mason à la Salle Bourgie

par Rédaction PAN M 360

Le concert de mardi soir à la Salle Bourgie a été tout simplement enlevant. Isata Kanneh-Mason était en ville et a proposé au public un programme remarquablement bien construit et, surtout, virtuose. 

La pianiste Isata Kanneh-Mason, née en 1996, jouit d’une renommée internationale qui est grandement méritée. Sa présence sur scène est hypnotisante. Les yeux de tout le public sont rivés sur elle, alors qu’elle s’imprègne de la musique qu’elle voit défiler dans son esprit. Parce que oui, un des points frappant du concert est le fait qu’elle a joué les quatre œuvres, environ 1h30 de musique, presque complètement par cœur! Elle démontrait non seulement une maîtrise des partitions, mais également des rythmes particuliers des pièces, notamment du Chopin en dernière partie, et semblait vibrer, presque danser au rythme des mesures. Elle a également démontré une concentration solide tout au long du concert, faisant fi des distractions et des embuches des partitions. Elle a excellé à communiquer les émotions et l’intensité du programme.

On pouvait observer une tendance, ou plutôt un fil conducteur tout au long du programme. Les œuvres, en ordre chronologique, racontaient en quelque sorte l’histoire du romantisme. En débutant avec la Sonate pour piano no. 60 (1794-1795) de Haydn, on pouvait en entendre les premières traces. Une œuvre assez tardive, probablement composée pour le pianoforte, l’ancêtre du piano moderne, on remarque l’humour et la qualité des thèmes qui sont typiques de la plume de Haydn. Le chromatisme dans le second mouvement, qui évoluait en une gamme qui semblait disparaître dans la brume, est à noter et a été réalisé avec délicatesse. La seconde œuvre, soit la Ostersonate (1828) de Fanny Mendelssohn, est pleinement romantique, avec de grandes largesses dans les mouvements et intensité qui sait captiver l’auditeur. Le canon durant le second mouvement est tout à fait délicieux, et souligne la clarté des voix tant dans la partition que dans le jeu de la pianiste. 

La seconde partie fait quelque peu écho à la première, avec l’enchaînement d’une pièce plus claire suivie par une pièce plus mouvementée. Les Kinderszenen (1838) de Robert Schumann sont un enchaînement de thèmes assez simples qui évoquent des images de la vie de l’enfant. Ses joies, ses rêves, ses peurs, ses anxiétés, etc. Prenant à forme d’une histoire, peut-être une berceuse, on a presque envie de s’endormir avec l’enfant après la conclusion du poète. La dernière œuvre était la Sonate pour piano no. 3 (1844) de Chopin. Kanneh-Mason a eu l’opportunité ici de démontrer tout son savoir-faire, toute sa maîtrise du répertoire, et toute sa virtuosité à travers le déluge de notes, les montées volcaniques et les délicates descentes qui peignaient un délicieux paysage musical. Les voix qui apparaissaient et qui semblaient disparaître comme par magie gardaient l’attention du public déjà comblé, et les rythmiques particulières du dernier mouvement étaient plus qu’intrigantes. On sentait à nouveau combien cette musique semblait chère à la pianiste. Elle a remercié l’accueil chaleureux du public avec un court rappel, une étude de Chopin (encore lui!), qui était tout à fait majestueuse.

La Salle Bourgie a gâté son public, encore une fois, avec un artiste de renommée mondiale qui a su donner vie au répertoire et au programme. Il est sûr que plusieurs auditeurs verront ces œuvres différemment après avoir vu l’interprétation qu’en a fait Isata Kanneh-Mason.

OFF Jazz | Razalaz… bibitte intrigante, pépite jazz-fusion

par Michel Labrecque

Razalaz est le groupe d’Olivier Salazar, qui compose et dirige la musique.

Ce sextet se désigne comme un groupe jazz-funk. Pour ma part, j’ajouterais qu’il a aussi des influences de prog-rock et de musique de cinéma atmosphérique.

C’est du moins ce que j’ai ressenti lors du concert de Razalaz au Ministère, le 10 octobre, dans le cadre de l’Off Jazz. 

Olivier Salazar aime les mélanges et les fusions. Sa feuille de route l’atteste: il a joué autant avec Louis-Jean Cormier que Jacques Kuba Séguin, en passant par les très funky The Brooks.

Il joue des claviers et du vibraphone. C’est peut-être son vibraphone qui me rappelle le rock progressif. Il joue davantage comme Kerry Minnear, de Gentle Giant, que comme Gary Burton. J’ai eu l’impression parfois d’entendre du King Crimson ou du Snarky Puppy, le groupe de jazz-fusion américain. 

Mais Razalaz invente son propre son. Le groupe a offert une version renouvelée de son dernier disque Jungle Givrée, paru il y a moins d’un an. Il a pu aussi faire quelques pièces de son premier opus, Océan Sucré, de 2019.

Juste à lire les titres de cet album, on comprend que Razalaz a aussi un sens de l’humour, qu’on ressent dans la musique. Et qu’on saisit encore mieux quand Olivier Salazar vous raconte sur scène la genèse de ce qui a inspiré les titres des pièces. L’histoire de Bronzage Napolitain est très rigolote: un blanc québécois-chilien qui brule sous le soleil brésilien. C’est l’histoire d’Olivier Salazar. 

Razalaz ne se prend pas au sérieux, mais fait parfois une musique sérieuse et inspirée. Du jazz, du funk, des moments très doux. Parmi les instrumentistes, la trompette d’Andy King se distingue.

On entend aussi Émile Farley à la basse, Alex Francoeur au saxophone, François Jalbert à la guitare et Noam Guerrier-Freud à la batterie. 

Razalaz est une bibitte intrigante qu’il faudra continuer d’entendre pour voir jusqu’où elle se rendra et comment elle mutera.

OFF Jazz | Julian Gutierrez, du très bon niveau

par Michel Labrecque

Le pianiste Julian Gutierrez ne réinvente pas le jazz. Mais son groupe m’a fait passer un fort agréable moment jazzistique à saveur caribéenne, lors de son concert au Ministère, donné mardi dans le contexte de l’OFF Jazz. Une musique richement et finement arrangée et qui groove intensément par moments. Du très bon niveau.

D’origine cubaine, féru d’études en composition à l’université Laval, Julian Guttierez a créé un sextet très montréalais: le Guadeloupéen Axel Bonnaire à la batterie, le Cubain Eugenio Kiko Osorio aux congas et percussions, le brésilien Joao Lenhari à la trompette et au bugle et les québécois Guillaume Carpentier au saxophone ténor et Jean-François Martel à la basse électrique. A partir de la troisième pièce au programme, s’est joint un invité surprise: le saxophoniste Jean-Pierre Zanella, avec qui Julian Guttierez a souvent collaboré.

Ce sextuor (devenu septuor) a principalement exécuté des pièces du dernier opus du Julian Gutierrez Project, Goldstream, paru en 2022.

En matière d’improvisation, Joao Lenhari nous a offert des solos inspirés, alternant entre la douceur et l’intensité. Guillaume Carpentier apporte la profondeur du sax ténor. Julian Gutierrez a une palette harmonique très riche et tisse des solos dans lesquels la mélodie et la progression sont inspirants. Jean-Pierre Zanella est tout simplement …Jean-Pierre Zanella au sax alto et soprano.

La section rythmique du groupe apporte une énergie et une complexité contagieuse. Le discret, mais très efficace, bassiste Jean-Français Martel, appuie le très éclaté, mais fort compétent Axel Bonnaire, qui semble éprouver un plaisir fou à jouer avec son complice , le percussionniste Eugenio Kiko Osorio. 

Mini bémol: quand Julian Gutierrez s’est fait chanteur, sur deux des huit pièces présentées, j’ai été moins convaincu. 

Cela dit, ce groupe illustre la richesse de notre scène jazz et l’apport des montréalais venus d’ailleurs. Et la force du mélange. Après le concert, le brésilien Joao Lenhari m’a d’ailleurs confié qu’il trouvait Montréal plus riche culturellement que Sao Paolo, la mégapole brésilienne. Ce trompettiste dirigera bientôt le big band de l’université de Montréal. A suivre.

Le charme de James Blake s’exerce autrement

par Alain Brunet

Au milieu de la trentaine, James Blake nourrit son aura en gardant le cap sur la créativité et l’innovation.  Playing Robots Into Heaven, son 6e album paru en septembre et dont il a a joué 9 titres mardi soir, porte de nouveaux arrangements innovants et maintient un niveau élevé de qualité. 

Sur la scène d’un Théâtre Olympia rempli à pleine capacité, l’auteur, compositeur, producteur et chanteur anglais disait avoir offert sa meilleure performance de l’actuelle tournée, on était tenté de faire acte de foi.

Assisté de ses amis d’adolescence, soit le guitariste, claviériste et producteur électro Rob McAndrews (qui assurait la première partie du concert) et le batteur Ben Assiter, James Blake  offre une réelle plus-value à ses enregistrements. Ça n’a pas toujours été le cas, on a déjà observé des exécutions moins relevées depuis son émergence à la fin des années 2000. 

Or, ces musiciens autodidactes ont pris du métier et acquis une grande cohésion en tant que groupe. Entourés de claviers vintage et de synthétiseurs modulaires,  Blake et McAndrews ont l’arsenal nécessaire à une solide exécution des chansons au programme construit autour du plus récent opus, assorti de « classiques » tirés des albums précédents (homonyme, Overgrown, Assume Form, The Colour in Anything, Friends That Break Your Heart), sans compter des reprises bien senties de Feist (Limit to Your Love) , Joni Mitchell (A Case of You) et Frank Ocean (Godspeed).

James Blake a la voix sensuelle et cajoleuse d’un chanteur de charme, interprète rompu aux fréquences élevées d’un contre-ténor lorsqu’il use de sa voix de tête ou encore aux basses fréquences d’un baryton lorsqu’il choisit de s’exprimer avec sa voix de corps. Or, l’artiste est plutôt un musicien qu’une bête de scène. Jamais il ne se lève pour chanter, il préfère rester derrière ses instruments et s’adresser brièvement à son auditoire.

Sa voix suave et texturée puise dans la soul et le gospel  afro-américain, c’est idem pour les choix harmoniques de son jeu aux claviers. Jusque là, ces références n’ont rien de particulier, mais elles deviennent fort intéressantes lorsqu’elles se fondent dans cette synth pop jouée en temps réel. Les composantes électroniques de ces chansons sont généralement créatives, on y remarque aisément les sons inédits concoctés par James Blake. Qui plus est, ces chansons au programme sont intercalées de séquences électroniques traversées par le dubstep, la UK bass music ou même la techno, ce qui mène à une véritable immersion dans l’univers de notre hôte. Soirée réussie !

Et donc, on ne peut dire de lui qu’il est un authentique crooner puisqu’il n’en a aucunement l’attitude et le comportement devant public.  Le charme de James Blake s’exerce autrement. 

LISTE DES CHANSONS AU PROGRAMME INCLUANT LE RAPPEL

Asking to Break  – album Playing Robots Into Heaven


I Want You to KnowPlaying Robots Into Heaven

Limit to Your Love – Reprise de Feist, album homonyme

 
Life Round Here – album Overgrown

Big Hammer Playing Robots Into Heaven

LoadingPlaying Robots Into Heaven

Mile High – album Assume Form

I’ll Come Too Assume Form

Fire the Editor Playing Robots Into Heaven

A Case of You  (reprise de Joni Mitchell)

Love Me in Whatever Way – album The Colour In Anything

Fall BackPlaying Robots Into Heaven

Tell Me –  Playing Robots Into Heaven


Voyeur  Overgrown

Say What You Will  – album Friends That Break Your Heart


Retrograde –  Overgrown

Godspeed  (reprise de Frank Ocean)

If You Can Hear MePlaying Robots Into Heaven

Playing Robots Into Heaven -Playing Robots Into Heaven

Modern SoulThe Colour in Anything

OFF Jazz | Dolma, Rossy, Jobin, une expérience pour voix et percussions

par Varun Swarup

Dans le contexte de l’Off Jazz, la beauté sacrée de la Chapelle Saint-Louis était le décor idéal pour ce projet très convaincant et unique mené par le batteur Aaron Dolman. Aux côtés de deux chanteuses, Sarah Rossy et Eugénie Jobin, ce trio navigue dans une instrumentation révélant une réelle profondeur et une tendresse ressentie dans les riches compositions de chambre proposées par Dolman. 

Avec les deux chanteurs s’exprimant entre harmonie et contrepoint, et la batterie s’exécutant entre groove et mélodie, le caractère unique de l’expérience eut tôt fait de s’imprégner  en nous, le trio a ainsi fait preuve d’une grande sensibilité afin que le tout fonctionne rondement.

Tout au long de la soirée, le groupe a non seulement partagé ses nouvelles compositions mais a également revisité des morceaux de son premier album, Are You Here to Help?


Alors que cette soirée touchait à sa fin, le trio a laissé au public un souvenir particulièrement doux, soit une interprétation folk de Can the Circle Be Unbroken, un morceau particulièrement approprié. Aaron s’est joint à cette séquence plus intime, meublant le grand tout de triades chaleureuses exécutées à la batterie, menant la soirée à une conclusion sincère, mémorable pour celles et ceux qui s’y trouvaient.

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