OSL | Fééries festives pour chœur et orchestre

par Alexandre Villemaire

Après avoir offert un début de saison aux thèmes et énergie contrasté, mais fortement ancré dans le romantisme, c’est un programme de féérie de Noël qui a attiré famille, amis et parents à la Salle André-Mathieu pour entendre l’Orchestre symphonique de Laval dans son troisième et dernier grand concert avant la pause hivernale : L’OSL en fête. Bravant le froid et la circulation dense aux abords de la Place Bell, le public a eu droit à un concert chaleureux et un programme réconfortant dirigé pour l’occasion Julien Proulx dont le dynamisme l’énergie et les mouvements, des indications de phrasé lyriques aux petits déhanchements et pas de danse, étaient signifiant à chaque instant.

Commençant dans la plus pure tradition des préludes/ouvertures, la page musicale qui introduit l’opéra Hansel et Gretel d’Engelbert Humperdinck – œuvre régulièrement interprété en Allemagne durant le temps de Noël -, est un enchaînement des thèmes principaux qui jalonnent l’opéra et qui, comme l’a justement fait remarquer Julien Proulx dans son allocution « dessine l’arc dramatique de l’opéra ». Les Paraphrases sur des airs de Noël du compositeur québécois François Morel ont présenté un premier pot-pourri dans un écrin vif et coloré. Après les mises en bouches orchestrales, la suite de la première partie mettait à l’honneur les voix des Petits Chanteurs de Laval, représenté ici par une cohorte mixte de leurs membres les plus vieux, dans des pièces vocales emblématique du répertoire choral de la saison des fêtes (Es ist ein Ros entsprungen, Noël huron, Noël nouvelet, Gesù Bambino, Ça, bergers, assemblons-nous). Vocalement, la préparation est impeccable : la sonorité des voix est claire, uniforme et les quelques voix des jeunes hommes ténors et barytons ont offert une belle rondeur. L’arrangement par Michael Oczko du Noël huron (Jesou ahatounia) était particulièrement réussi de même que le noël italien Gesù Bambino où les lignes musicales et les dynamiques étaient pleines de reliefs. Concluant la première partie, les musiciens ont offert le fameux Christmas Festival de Leroy Anderson, autre pot-pourri emblématique de Noël s’il en est, dans sa version pour chœur. 

Le défi qui nous apparaît pour n’importe quel chœur avec orchestre qui se produit dans la Salle André-Mathieu, salle qui n’est pas nécessairement des plus adaptés et acoustiquement sympathique pour ce type de formation, est la balance du son. Les voix des petits chanteurs étaient nécessairement amplifiées, mais peinent parfois à se distinguer de la masse sonore de l’orchestre, surtout dans les fortissimos, malgré les indications de phrasés et d’intensité mené très justement par Julien Proulx. La position de notre siège, assez près des premiers violons, est peut-être également un facteur qui joue sur notre perception sonore, mais il nous était par moment difficile d’entendre et de comprendre le texte des chants. Sans être un irritant majeur au rendu et à l’appréciation du concert, nous pouvons tout de même formuler le souhait au Père Noël que Laval et son orchestre se dote d’une salle mieux adaptée à tous styles de répertoire.

Au retour de l’entracte, l’orchestre nous a emmené valser avec élégance avec Les patineurs d’Émile Waldteufel, une page légère remplie de frétillements et de contraste entre des lignes exubérantes et douces. Pièce de résistance du concert et indémodable classique du temps des fêtes, la suite no 1 du ballet Casse-noisette a été présenté de façon ludique par le chef d’orchestre qui, en rupture avec la convention voulant que l’on n’applaudisse pas entre chaque mouvement, a invité le public à ne pas en tenir compte. « Vous les connaissez par cœur, si vous les aimez, n’hésitez pas à applaudir. On se fait plaisir! » à indiquer Julien Proulx. Cette intention cadrait parfaitement avec le caractère familial et accessible de ce concert. Les divers personnages de l’univers du conte d’E.T. A Hoffman, de la fée Dragée aux Mirlitons, ont ainsi défilé devant nos yeux et dans nos oreilles avec une grande musicalité. En guise de rappel, l’orchestre à présenter l’autre tube de Noël de Leroy Anderson, Promenade en traîneau, qui par son orchestration imagée et son utilisation ludique et humoristique des percussions fait mouche à tout coup!

Présenter un concert de Noël, quelle que soit sa forme et son effectif, est toujours un exercice qui peut s’avérer périlleux : tout le monde en fait, généralement tous en même temps avec plus ou moins les mêmes œuvres au programme. Le danger de tomber dans le kitsch, le surfait et le suranné plane toujours. Était-ce un programme novateur et d’une grande originalité? Non. Mais les fêtes n’ont pas besoin d’être exubérantes à l’excès et sans cesse renouvelées pour être appréciables. L’important, c’est de bien faire les choses, sans prétention, de s’amuser, de vivre le caractère intemporel et magique de ces musiques et c’est exactement ce que la famille des musiciens de l’OSL a offert à son public.

Crédit photos : Annie Diotte

OSM | Énigmatique et puissante Turangalîla-Symphonie

par Elena Mandolini

L’OSM, dirigé par Rafael Payare, présente ces 5 et 6 décembre la Turangalîla-Symphonie, œuvre puissante et énigmatique du compositeur français Olivier Messiaen. Impossible de rester indifférent devant cette œuvre monumentale et marquante. L’OSM a su y rendre justice et donner de nouvelles dimensions à tous les instruments de l’orchestre. Payare est, pour sa part, fidèle à sa réputation : il a mené l’orchestre de manière remarquable avec énergie et grande musicalité.

La Turangalîla-Symphonie est une œuvre surprenante et unique en son genre. Le titre est une jonction de deux mots sanscrits, qui signifient respectivement (et en faisant quelques raccourcis…) mouvement et amour cosmique. Cette symphonie, découpée en dix mouvements, s’articule sur l’exposition de quatre thèmes : la statue, l’amour, la fleur et les accords. Tout au long de l’œuvre, ces quatre thèmes sont développés et variés. La partition fait place à un grand nombre d’instruments de percussion et à clavier, de sorte que la scène de la Maison symphonique était pleine à craquer. Toute la section du fond de la scène était destinée à une imposante installation de percussions. À l’avant-scène, deux claviers, le glockenspiel et le piano (Jean-Yves Thibaudet) côtoyaient un instrument peu connu et rarement vu : les ondes Martenot (Cécile Lartigau). Ce dernier instrument est parfois discret lorsque jouant en compagnie de tout l’orchestre, mais certains mouvements, s’apparentant à la musique de chambre, laissent entendre distinctement cet instrument aux multiples possibilités sonores. La partition de piano, pour sa part très exigeante, est magnifiquement interprétée.

Musicalement, la Turangalîla-Symphonie est un jeu constant de textures et de lignes mélodiques superposées, versant par moments dans l’atonalité. Il s’agit d’une œuvre complexe, aux sonorités parfois anxieuse et très souvent majestueuse. Le thème de la statue, par exemple, est composé d’accords graves soutenus par les cuivres. On note plusieurs changements de tempo, très bien exécutés par l’orchestre. On admire la précision de l’orchestre durant les moments à l’unisson, et on constate toute la puissance de l’OSM lors des fréquents passages fortissimo, qui nous laissent ébahis. Ces nuances intenses sont suivies de transitions très réussies entre les différents mouvements, avec une coupure nette ou un decrescendo parfaitement contrôlé.

Pour plusieurs raisons, il est impossible de rester indifférent à l’écoute de la Turangalîla-Symphonie. D’une part parce qu’elle nous laisse entendre des instruments et des combinaisons peu vues ailleurs, d’autre part parce que la puissance et la vivacité de l’OSM atteint ici un nouveau sommet. La présence de cette œuvre au programme de la saison est à saluer vivement.

Une autre représentation aura lieu le mercredi 6 décembre. INFOS ET BILLETS ICI!

Crédit photo : Antoine Saito

Une fenêtre sur le sublime – Andrew Wan et Luc Beauséjour à l’église St.-George – FBM

par Rédaction PAN M 360

Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de voir réunis sur scène deux interprètes aussi importants pour leurs instruments respectifs au sein du monde culturel montréalais. Avec Andrew Wan au violon et Luc Beauséjour au clavecin, le public réuni à l’église St.-George vendredi soir était préparé à une soirée magique et virtuose.

Et il n’a pas été déçu! Le programme, certes long, était parfaitement adapté à la sensibilité particulière des musiciens. La beauté sublime et pure de la musique de Bach était mise en évidence dans les Six sonates pour violon et clavecin. D’une construction assez constante et normée, on peut voir des idées merveilleuses se développer au fur et à mesure qu’on avance dans la partition. L’esthétique est définitivement baroque, mais on entrevoit à plusieurs reprises des motifs qui laissent présager les époques futures, notamment classique et même romantique. Les rythmes dansants et enleveurs de nombreux mouvements sont spécialement délicieux.

Les deux interprètes étaient dans un dialogue intime qui témoignait de leur respect mutuel et de leurs qualités respectives. Wan est un excellent premier violon à l’orchestre, mais excelle tout autant, voir plus, dans ces contextes de récital. Sa finesse et sa technique irréprochable font de lui un maître de presque tous les répertoires. Sa présence sur scène vendredi était puissante, touchante et adroite. Le son de son violon, datant du 18e siècle, a rempli la salle et les oreilles du public, qui a été marqué. 

Luc Beauséjour a quant à lui été simplement parfait. Les déluges de notes de la partition (rappelons que Bach était un virtuose du clavier) ne semblaient jamais ébranler sa prestance et sa rigueur des rythmes et des notes. On sentait toute sa maîtrise du répertoire et de son clavecin (issu de sa collection personnelle). La clarté des voix est remarquable, surtout avec un instrument aussi neutre sur le plan des intonations. 

On aurait beaucoup aimé entendre plus fort l’instrument, surtout avec le volume du violon assez élevé.

On se demande pourquoi le Festival Bach Montréal, présentateur et producteur du concert, n’a pas amplifié, juste un peu, le clavecin. À l’entracte, on entendait partout les regrets de ne pas l’entendre adéquatement. Le choix de la salle était également en cause, étant donné le plafond assez haut et les façades de bois qui absorbaient le son. C’est un détail, mais cela a affecté la réception de nombreux spectateurs, surtout à l’arrière. Le Festival se contentera d’une salle pleine cependant, malgré la déception de certains amateurs de clavecin et de Beauséjour.

Andrew Wan et Luc Beauséjour ont captivé, ému rejoint l’ensemble du public. Leur musique a fait réfléchir et rêver. On espère retrouver ce duo sur scène dans le futur, pour qu’on se sente encore une fois inspirés par le souffle enchanteur de leur musique.

indie pop / indie rock

Karkwa, prise 2 | Une entorse au temps

par Théo Reinhardt

Tel qu’annoncé dans la critique précédente, une autre génération s’exprime ici sur le retour de Karkwa sur scène, question de rappeler que tout ressenti a ses particularités propres et doit être exprimé. À PAN M 360, nous ne croyons pas au relativisme des opinions et des goûts, mais lorsque nous avons l’occasion de faire valoir plus d’un point de vue sur un concert ou un enregistrement, nous le faisons. Et voilà le texte bien senti et bien construit de Théo Reihardt sur le show de Karkwa au MTELUS.

Karkwa au MTELUS? Si vous me l’aviez demandé avant cette année, c’était pour moi un album live enregistré lors de l’ultime concert du groupe en 2011. Un album que j’écoutais pour vivre une expérience par procuration.

Mais ce n’est heureusement plus le cas. Après 12 ans, Louis-Jean Cormier, François Lafontaine, Martin Lamontagne, Stéphane Bergeron et Julien Sagot sont de retour dans leur vieil uniforme, à fouler les planches du Québec. Et en fin de semaine, c’est leur occasion de revenir à leur vieux Metropolis, cette salle qui les a inscrit dans l’Histoire.

Attendez un peu… Qu’est-ce que je fais, moi, à aller voir Karkwa? J’ai 20 ans, on pourrait croire que le groupe aurait passé par-dessus la tête des gens de mon âge. Or, ce n’est décidément pas le cas. Disons que je ne me suis pas senti seul du tout dans la salle du MTELUS. On aurait pu supposer que la foule soit composée principalement de rockeurs de la génération Y, de trente-quarantenaires trippeux voulant rajeunir le temps d’une soirée. Mais non, si Karkwa accrochait les jeunes en 2010, ils en font autant aujourd’hui. Louis-Jean Cormier, entre deux chansons, communique leur agréable surprise de jouer devant tant de jeunes. Il dit que nous avons « ouvert une brèche dans le temps ». En revenant après 12 ans, vous aussi, les gars. Comment le manquer?

C’est vrai que, malgré le silence, l’absence de pub, et le faible espoir avant cette année de revoir le groupe se former, Karkwa a su se frayer un chemin vers les gens de ma génération. Pour moi, ce sont les auteurs de chansons que j’ai entendues plus ou moins régulièrement en grandissant, mais c’est un groupe que j’ai réellement découvert à l’adolescence, alors que mon intérêt pour la musique québécoise s’intensifiait. Et même encore, cela a pris jusqu’à ces dernières années pour que je m’attache à leur œuvre. Fasciné par Les chemins de verre, son expérimentation, sa liberté, sa poésie textuelle et sonore – les cordes suraiguës de Le vrai bonheur sont à ce jour un de mes sons favoris en musique – et aussi toute la question du prix Polaris, Karkwa s’est confirmé à moi comme un classique de la culture musicale keb. Rien de bien différent d’il y a une décennie, donc, seulement en différé.

J’avais donc très, très hâte à leur concert. Chaque fois que j’écoutais la version live de Moi-léger, je me voyais, bouillonnant d’excitation juste avant l’éclosion de la chanson, comme on l’entend dans l’enregistrement.

Heureusement, je peux dire que le groupe a comblé les attentes, et, avec  ce nouvel album indéniablement écrasant en live, les a sans doute dépassées.

D’abord, on sent les cinq membres au sommet de leurs moyens. « Il y a 12 ans, on voulait conquérir le monde. Ce soir, on est juste ben relax. », dit Louis-Jean Cormier. Lui et ses amis n’ont plus grand chose à prouver, tant de choses à jouer, et le public est conquis d’avance. Ainsi, on assiste à cette collégialité des membres sur scène, comme Cormier l’exprime. Une décontraction qui permet au groupe d’être complètement présent. Car cette absence de stress ne doit pas être confondu avec la paresse. Non. Karkwa en 2023, ça brasse. La batterie de Stéphane Bergeron et les percussions de Julien Sagot, particulièrement, sont bestiales. On parlait d’ouvrir une brèche dans le temps; c’est peut-être l’œuvre des manigances synthétiques rugissantes de François Lafontaine. 

Des anciens classiques aux titres du nouvel album, Dans la seconde, on remarque que la force de Karkwa est de maîtriser une dynamique étendue, osciller entre douceur et puissance. Le meilleur exemple que je peux en donner est la récente Nouvelle vague, une de mes préférées du nouvel album, véritable tsunami sonore sur scène. Le titre pousse au max le contraste à l’œuvre sur Le pyromane, Moi-léger, Le bon sens, Le compteur, L’acouphène… vous comprenez. C’est lourd, c’est bruyant à s’en tendre les muscles, parfois c’est doux. C’est ça, Karkwa. À saluer aussi, un excellent travail d’éclairage, qui faisait ressortir le meilleur de cette caractéristique.

En sortant sur la rue Ste-Catherine, je ne ressentais rien d’autre que de la satisfaction et de l’émerveillement. Des chansons qu’on connaît depuis longtemps et qui prennent finalement vie, c’est spécial.

Le temps s’est peut-être arrêté, ou ralenti, ou il s’est rattrapé pour 12 ans en une heure et demie. En tout cas, quelque chose a changé, la brèche est bien ouverte, parce que désormais, en écoutant l’album live, je ne pense pas à 2011, mais bien à décembre 2023. Karkwa, c’était peut-être avant, mais pour moi, c’est maintenant. 

Et maintenant, c’est toujours.

indie pop / indie rock

De retour après la pause, Karkwa supérieur à la somme de ses parties ?

par Alain Brunet

Une douzaine d’années après une pause à peu près aussi longue que sa durée de vie active, Karkwa a repris du service avec l’album Dans la seconde et une tournée d’envergure qui dépoussière cette question remisée dans un recoin du cerveau: en 2023, Karkwa est-il supérieur à la somme de ses parties ? Une question à laquelle il était plus facile de répondre il y a 12 ans et sur laquelle nous ne nous prononcerons pas ici, vu le recul insuffisant. Mais…

Contentons-nous de fournir quelques éléments de réponse, soit en exprimant les perceptions qui suivent au terme d’un concert présenté dans un MTELUS à guichets fermés, le jeudi 30 novembre. La soirée du lendemain sera aussi l’occasion de poursuivre la réflexion avec le compte-rendu de notre estimé collaborateur Théo Reinhardt, qui était trop jeune avant la pause et qui découvre Karkwa sur scène.

Devant un auditoire conquis d’avance, l’introduction du concert se déploie tout en space rock. Cette Ouverture éthérée que pilote François Lafontaine, maître-es-claviers, précède un fondu enchaîné tout simplement parfait pour Parfaite à l’écran.  Tirées du nouvel album Dans la seconde, les deux premières pièces au programme se soudent à Le pyromane, entonnée par un parquet densément peuplé d’inconditionnels. Puis c’est L’acouphène, puis c’est À bout portant.  Enfiévré par des éclairages roses, pourpres et rouges, ce trio de classiques précède Gravité.  

Pour sa première allocution, le désormais moustachu Louis-Jean Cormier s’adresse métaphoriquement aux lieux plutôt qu’à ceux qui les occupent. “ Il faut que tu saches, Montréal, à quel point on a changé…   “Très important que tu saches, Montréal, à quel point on a changé. On n’est plus les mêmes, on n’a plus la même attitude, les mêmes intentions…”MTELUS, tu as devant toi les 5 meilleurs amis du monde…”

On comprendra que, 25 ans après la fondation de Karkwa mis en pause au début de la précédente décennie, les intentions ne sont pas tant de conquérir que de faire plaisir et de se faire plaisir à jouer ensemble. Après Karkwa, ce fut effectivement La voix (La vwa!) pour Louis-Jean Cormier, qui devint un coach consensuel de la téléréalité musicale, ce qui ne lui a certes pas nui pour atteindre un degré de popularité clairement supérieur au groupe qui en avait conféré la crédibilité. Ce qui n’enlève rien à ses accomplissements en solo, et on en dira autant de ses collègues, particulièrement François Lafontaine et Julien Sagot.

Sur une moquette de claviers doux, Moi-léger prend du poids au fur et à mesure de son exécution assisté des chants d’un auditoire ravi. De retour dans le nouveau chapitre, on se trouve dans le lâcher prise évoqué Dans la seconde, dont le pont s’annonce majestueux, délicieusement orné manière krautrock par les claviers de François Lafontaine et des battements de mains presto vivace contribuant à l’envolée.

 

Et puis ça rocke dans le rouge vif, dans ce soleil de plomb mis en scène dans Nouvelle vague. Les guitares prennent le relais, la tension monte d’un cran. Marie-Pierre Arthur, membre de la famille élargie comme on le sait, est invitée à monter sur scène pour côtoyer LJC : “ Oublie pas mon coeur avant qu’on s’écoeure” dit la chanson. Marie-Pierre balance le 2e couplet et le jam nous fait redécoller.

À fond la caisse et sans déraper dans les courbes, Karkwa roule en pleine maîtrise sur le Chemin de verre, chanson conclue jeudi avec des guitares graveleuses et un dernier couplet servi devant un mur aux tons de bleu. C’est écrit dans le ciel, on va Dormir le jour et on aura droit à un épisode stoner rock sur fond noir et blanc. Ça gronde de partout ! Les percussions se doublent, les 8 tiges de lumière resplendissent sur scène. 

LJC manifeste son contentement aux fans, les guitares tricotent de la soul autour des claviers, cette fois new age / ambient. Le groove qui s’ensuit rappelle Radiohead (comme on l’observait naguère), c’est L’échafaud. Un groove rock lent et dramatique devient ensuite la roue d’Épaule froide. La ballade Du courage pour deux est servie avant le rappel, chanson réaliste assortie d’un bridge surréel.

Et c’est le rappel, trois titres ont été prévus. D’abord Échapper au sort, un hymne de circonstance, émaillé de rock et de de martèlements binaires. L’exécution est toutefois interrompue par un ennui technique et Karkwa nous fait oublier ça avec un court pastiche U2esque avant que l’hymne s’impose finalement et s’imprègne en nous. Et puisqu’il s’agit bien de “faire plaisir”, une demande spéciale est exaucée: Karkwa déclenche un Coup d’état bien senti avec des relents de Pierre Flynn et d’Octobre, le tout culminant avec un jam bouillant dans les dernières mesures.

Gentleman devant l’Éternel, LJC n’oublie pas de saluer feu Karl Tremblay et la soirée se conclut avec 28 jours au 30e jour de novembre. Marie-Pierre Arthur et Pat Watson, qui avait jadis ouvert pour Karkwa en 2006 et qui a courtoisement accepté de refaire l’exercice en toute humilité malgré son immense  réputation, montent sur scène et chantent avec Karkwa. Le vrai bonheur pour les fans de la première ligne et les plus jeunes, venus s’instruire dans le pur plaisir.

Crédit photo: Marc-Étienne Mongrain

KARKWA SE PRODUIT AU MTELUS LE 1ER, 2 ET 9 DÉCEMBRE, AINSI QUE LE 23 NOVEMBRE 2024

Festival Vibrations | Le voyage sud-américain de l’Ensemble de musique du monde

par Elena Mandolini

Le Festival Vibrations bat son plein à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. Plusieurs concerts sont offerts au public, couvrant un vaste éventail de styles musicaux, et faisant partager la scène aux étudiant.e.s et aux professeur.e.s de l’UdeM.

Le 30 novembre avait lieu à la Salle Serge-Garant un concert de l’Ensemble de musique du monde, tout nouvellement formé. Le directeur de cet ensemble, Juliàn Gutiérrez, s’est réjoui de la création d’un tel ensemble au sein de l’Université, puisqu’il témoigne d’un réel intérêt pour la musique de partout. Le répertoire de la soirée était consacré à la musique et aux danses d’Amérique latine, mais comporte également quelques arrangements de chansons connues en d’autres langues, traduites en espagnol. 

L’ambiance est à la fête, et le format intime du concert donne le sentiment que nous y sommes tous invités. Le répertoire interprété est assez standard, mais les étudiant.e.s y mettent de l’énergie et beaucoup de musicalité. Les percussionnistes portent et soutiennent les pièces, et le reste de la section rythmique est d’une précision irréprochable. La section instrumentale, épurée, composée d’un trombone, d’une trompette et de saxophones ténor et soprano font également preuve d’une grande précision et unicité. Chaque instrumentiste offre également des solos solides, rythmiques et lyriques. Cependant, le son est mal calibré, ce qui rend assez difficile d’entendre clairement les accompagnements de ce quatuor.

Chaque œuvre interprétée contient une partie vocale accompagnée de très belles harmonies. Durant toute la soirée, le chef se fait aussi chanteur, ce qui donne lieu à de riches harmonisations à trois voix. Ici aussi, les voix sont parfois un peu enterrées par l’accompagnement.

Le public est aussi assez souvent invité à participer aux festivités. On chante des lignes mélodiques simples en mode question-réponse, mais, surtout, on danse beaucoup. La soirée se termine sur un très agréable I Will Survive traduit en espagnol et transcrit dans un style bachata qui donne une nouvelle dimension à célébrissime chanson de Gloria Gaynor. Cette belle soirée aura encore une fois démontré le grand talent de la relève musicale montréalaise.

Le Festival Vibrations se poursuit jusqu’au 2 décembre. Plusieurs événements sont gratuits! INFOS ET BILLETS ICI!

L’Orchestre de l’Agora au Festival Bach | La famille Bach en sereine contemplation

par Rédaction PAN M 360

L’Orchestre de l’Agora au Festival Bach est souvent gage d’une soirée enchanteresse, mais cette fois-ci, les attentes ont été dépassées. L’église anglicane St. Andrew & St. Paul s’est illuminée mercredi soir grâce à une mise en scène soignée et active, mais surtout grâce à un programme bien pensé qui a su mettre en valeur la musique vocale de Johann Sebastian Bach et des membres de sa famille qui l’ont précédé.

Un orchestre restreint, mais efficace a accompagné un chœur merveilleusement bien équilibré à travers le concert. Les voix principales étaient entre les mains de solistes de grande qualité : Myriam Leblanc (soprano), Nicholas Burns (contre-ténor/alto), Daniel Johannsen (ténor), et Matthias Helm (basse). Nicolas Ellis faisait office à la fois de chef d’orchestre et de choeur. On le sentait impliqué dans toutes les facettes du concert.

Le programme prenait la forme d’une démonstration des normes de la composition chorale avant l’arrivée de Johann Sebastian Bach sur la scène musicale grâce aux œuvres de ses oncles Johann Christoph et Johann Michael Bach. Au sein des œuvres de compositeurs méconnus, on peut trouver des éléments qui ont fait de JS Bach le maître qu’il a été.

Les œuvres de JC Bach sont d’une composition très standard. Il s’agit de chorals typiques, avec toutes les règles et les prescriptions de simplicités de la doctrine luthérienne. Mais à travers cette rigueur, on retrouve une aisance à naviguer à l’intérieur des cadres de la norme et une élégance indéniable, surtout dans la dernière œuvre, Es ist nun aus mit meinen Leben, qui encadre la dernière cantate au programme de JS Bach. JM Bach est quant à lui plus aventureux que JC et son choral, mais reste assez près de la norme, un peu à l’image de JS Bach qui savait quand respecter les règles d’écriture et quand les enfreindre. Il s’agit également d’un choral accompagné, un format que JS Bach a souvent utilisé.

Mis à part l’enchevêtrement délicieux des œuvres de JC et de JS durant la seconde partie, la présence des oncles de ce dernier au programme semble occuper une seule fonction : démontrer toute la maîtrise du langage musical et la virtuosité du grand maître. C’est le jour et la nuit. Entre la composition chorale ultra rigide et somme toute simple de ses prédécesseurs et les canons à deux, trois, voire quatre voix des cantates, on sent une grande distance. Et ce, même avec les œuvres de ses débuts. La dernière cantate, Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit, démontre une écriture complexe qui ferait rougir les réformistes.

Une grande partie des textes orbitaient autour du thème de la mort (un mot souvent utilisé), et se conclut par un final magnifique, avec le « Weilt, gute Nacht » de Es ist nun aus mit meinen Leben (JC Bach) qui semble s’éteindre, en compagnie des lumières et du protagoniste du texte. Un instant de recueillement magique qui a touché le public, et invoqué une longue série d’applaudissements. Outre le manque des paroles originales (en allemand) sur l’écran derrière le chœur, ce fut une soirée parfaite. On a déjà hâte à l’année prochaine!

Pour plus d’information sur programmation de l’Orchestre de l’Agora et sur les concerts à venir, c’est ICI.

Crédit photo : Antoine Saito

Festival Vibrations à l’UdeM | Invités de marque et musique brésilienne à l’honneur

par Elena Mandolini

Le Festival Vibrations se tient chaque année à l’Université de Montréal et met en valeur sa Faculté de musique, autant ses étudiant.e.s que ses professeur.e.s. Hier soir, à la Salle Claude-Champagne se produisait le Big Band de l’Université de Montréal. Au programme, beaucoup de grands classiques de la musique jazz, tous tournant autour du Brésil. Pour l’occasion, l’ensemble recevait deux invités de marque, soit la chanteuse Catina DeLuna et le pianiste Otmaro Ruiz. Le Big Band est nouvellement dirigé par João Lenhari, qui a succédé cette année à Ron Di Lauro.

Le concert commence en force avec Canto de Ossanha, arrangé par Lenhari. Dès les premières mesures, on sent l’énergie débordante de l’orchestre, ce qui met bien la table pour les prochaines pièces, pour lesquelles les invités spéciaux entrent en scène. L’interprétation est précise et dynamique, et on admire les superbes contrastes de nuances présentés par les instrumentistes. Petit bémol cependant : le piano et la section rythmique sont si amplifiés que l’on peine à entendre parfois, ironiquement, toutes les notes d’accompagnement de l’orchestre.

 Lorsque Catina DeLuna et Otmaro Ruiz entrent en scène, la soirée prend une nouvelle dimension. On se laisse transporter par la voix chaude de DeLuna, et on demeure au bout de son siège lors de ses improvisations vocales qui couvrent un large registre. Le jeu d’Otmaro Ruiz et lui aussi spectaculaire, et ses improvisations sont à couper le souffle. De plus, l’ensemble interprète plusieurs des arrangements du pianiste à l’occasion de ce concert. Comme interlude, le public a droit à un trio composé d’Otmaro Ruiz et avec Alain Caron (basse) et Paul Brochu (batterie) comme invités. Ce trio, qui a beaucoup tourné ensemble, interprète une composition de Ruiz et une autre de Caron avec une immense complicité.

Le programme, qui rend hommage à la musique brésilienne, est très bien construit. On reconnaît avec plaisir beaucoup d’orchestrations très intéressantes musicalement, dont beaucoup d’œuvres de Antônio Carlos Jobim. On passe habilement d’une pièce très rythmée à une œuvre plus introspective aux progressions harmoniques complexes et aux lignes mélodiques dépouillées. Le Big Band de l’Université de Montréal démontre par cette occasion sa grande polyvalence et sa musicalité remarquable.

Le Festival Vibrations se tiendra jusqu’au samedi 2 décembre. Des concerts auront lieu à plusieurs endroits à Montréal, et certains événements sont gratuits! INFOS ET BILLETS ICI!

Crédit photo : Denis Germain

Pressure Pin Live: un art punk étonnamment calculé, mais toujours bizarre

par Ann Pill

La soirée a commencé avec Held. Ce critique pathologiquement tardif a raté son set mais ses 40 dernières secondes ont été géniales. Compte tenu de la façon dont s’est déroulé le reste de la soirée, il a clairement préparé tout le monde au succès. Puis vint Palm Sander de Toronto. Le son saturé et mélodique était parfois un peu trop compliqué. Le groupe n’était pas sans rappeler Dead Moon et Nick Cave à l’époque de The Birthday Party, mais avec un niveau supplémentaire de distorsion et de glamour. Je n’ai jamais vu quelqu’un jouer avec la puissance et la grâce de son batteur. Je pensais qu’on allait marteler la batterie. Je n’ai jamais vu quelqu’un décider qu’il n’avait pas suffisamment de poids en position assise et décider de se lever pour vraiment propulser son jeu. Je n’ai également jamais vu personne démonter les cymbales, les retirer du support et les écraser ensemble. Il y a eu quelques moments où il se passait tellement de choses que c’était compliqué, mais leur chanteur principal était si captivant et ils avaient tous des cheveux si incroyables que tout était pardonné.


Le set suivant était celui d’Antenna’93. Le groupe a joué avec un abandon inconsidéré qui caractérise tout nouveau groupe. Il avait un son indie plus optimiste remplaçant la boue sexy de Palm Sander par des riffs croustillants presque à la manière de Her. On a observé quelques difficultés techniques évidentes avec des pédales décidées à se rebeller et une sangle de guitare qui avait son propre esprit, mais ces musiciens s’amusaient tellement qu’il était facile d’ignorer les irritants. Leur bassiste se trouvait au milieu, ce qui était un choix brillant. Rien contre leurs deux guitaristes mais le bassiste et le batteur élevaient l’équipe.

Le chanteur pouvait sentir que nous prêtions attention à son batteur et à son bassiste et a sombré dans le chaos pendant la seconde moitié de son set. Ses plaisanteries entre les chansons allaient de « Qui d’autre est en sueur » à « Qui veut se faire prélever ses organes », avec un appel éloquent à une Palestine libre quelque part entre les deux. À un moment donné, il s’est mis à crier, brandissant un magazine qui a ensuite été lancé avec beaucoup d’enthousiasme au public. La musique d’Antenna ’93 était amusante et pétillante, il était donc logique que leur performance live incorpore une quantité importante de scintillement. Il leur suffit de trouver l’équilibre entre les pitreries mettant en valeur leur musique et apportant de l’énergie à la foule, ce qu’ils font certainement, sans se sentir distraits par un son pas encore tout à fait formé.


Pressure Pin a magnifiquement clôturé le spectacle. Après avoir écouté l’EP 2022, Superficial Feature, un assortiment new-wave / art-punk délicieusement désorganisé, je m’attendais à une quantité similaire de ravages que les deux groupes précédents nous ont soumis. Mais ils étaient étonnamment calculés. Ils ont joué leur set avec un synchronisme remarquable. La ligne de basse, la batterie et la guitare se reflétaient presque parfaitement. Jouer en live semble les avoir éloignés du son tumultueux de leur EP, le résultat était toujours aussi étrange mais bien plus intelligible.

Les choses se sont vraiment échauffées lorsque les chaussures du bassiste Danny Pretzel se sont volatilisées et il a dû faire le reste du set pieds nus. Honnêtement, je suggère l’élimination de toutes les chaussures à l’avenir ! Cela dit, le look soigné a ajouté à la performance. Les complets-cravates étaient apparemment incongrus par rapport à la nouveauté et à l’urgence de leur son. Pour ceux qui semblaient sortir des années 70, leur musique reflétait quelque chose de nouveau. C’est toujours un peu déchirant quand un groupe écrase complètement une reprise. Il a offert une interprétation incroyable de  I Was a Teenage Werewolf  qui fonctionnait si parfaitement avec le reste de leur set et tout le monde l’a presque trop aimé. Mais si ces mecs continuent sur le chemin qu’ils ont emprunté, très bientôt, les gens se démèneront avec autant d’insistance sur leur musique que nous l’avons tous fait jadis avec The Cramps. D’une seconde à l’autre…

Festival Bach | Les plaisirs de la sonate selon Diderot

par Alexandre Villemaire

C’est dans le cadre serein d’une Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours pratiquement remplie que s’est produit l’Ensemble Diderot, ensemble de musique reconnu entre autres « pour sa vocation de redécouvrir et interpréter sur instruments d’époque le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles et à révéler les liens tissés entre interprètes, compositeurs, cours et écoles d’une Europe musicale baroque sans frontières. »

Déjà venu au Festival Bach il y quelques années, le violoniste et directeur artistique de l’ensemble, Johannes Pramsohler a cette fois-ci amené ses amis Roldán Bernabé et Simone Pirri (violons), Eric Tinkerhess (violoncelle) et Philippe Grisvard (clavecin et orgue) à Montréal pour présenter un programme centré autour d’œuvres de la génération précédant celle du Kantor de Leipzig. Le répertoire de la soirée était assez unique et relativement mystérieux, en ce sens qu’il s’agissait d’une enfilade de sonate pour trois violons qui se définit par « son utilisation de trois voix dans le registre aigu du violon soutenues par une voix de basse permettant l’expression d’un jeu virtuose plus personnel ainsi qu’une écriture musicale plus complexe » qui n’est pas à confondre avec la sonate en trio – genre emblématique et très présent à l’époque baroque et régi selon des règles différentes. La sonate pour trois violons était un genre à ce point unique et expérimental que les compositeurs qui s’y sont attelés n’en ont composé bien souvent qu’une seule. Nous entendions donc pour une bonne part l’essentiel du catalogue de ces sonates comme l’ont indiqué avec humour Johannes Pramsohler et Philippe Grisvard dans leurs quelques interventions au public. Pour son premier passage dans la métropole, l’Ensemble Diderot a livré une performance empreinte de subtilité et de dynamisme marqué. Un dynamisme qui n’était pas exempt de difficulté alors que les cordistes devaient composer avec des instruments que les fluctuations de température obligeaient les instrumentistes à réaccorder quasi systématiquement entre chaque pièce.

La première partie a mis la table de manière équilibrée et honnête. Les sonates de Gabrielli et Fontana ont donné lieu à de beaux échanges de passages violonistiques soutenus par un continuo rond et sonore et des élans mélodiques offerts par l’orgue. La Sonata a 3 violini de Schmelzer a été imaginé par les musiciens de Diderot comme une évocation du Jugement de Pâris, épisode important de la mythologie grecque qui opposent les déesses Héra, Athéna et Aphrodite. Le prince de Troie, Pâris, doit remettre une pomme à la plus belle d’entre elles. Les dialogues musicaux sont ici fortement idiomatiques passant d’un mouvement tendre et lyrique, à un thème plus animé et énergique pour finir par une page au caractère de supplication proche du recueillement. La Sonate pour 3 violons de Johann Fux, sans continuo, est un étrange entremêlement de lignes musicales contrapuntiques variées, qui nous laisse une impression de fouillis harmonique, malgré des nuances et dynamiques subtiles et parfaitement exécutés.

C’est particulièrement dans la deuxième partie du concert que c’est vraiment manifesté l’inventivité et l’esthétique du type de sonates dont l’Ensemble Diderot s’est fait le représentant. Ouvrant la deuxième partie, la Sonata in Eco de Marini nous a permis d’apprécier le jeu virtuose et vocal de Pramsohler auquel répondait celui de ses camarades Bernabé et Pirri depuis l’arrière du chœur de la chapelle, amplifiant ainsi l’effet d’écho que la pièce appelle par l’emploi de la répétition des derniers segments des lignes musicales des violons. La Sonata Seconda de Giovanni Buonamente évoque pour les musiciens la figure mythologique des Parques, ces êtres qui tissent le destin de chaque individu. Les lignes musicales, typiques d’une inspiration de la canzone, sont portées par un effet imitant un rouet chez les violons qui se conclut par un coup d’archet sec et sonore au violoncelle symbolisant une vie qui vient d’être coupée. Synthèse éclatée des écritures de la forme sonate, la Sonata decima du néerlandais Carolus Hacquart, exceptionnellement construite en quatre mouvements est frivole, agile et stylistiquement varié. Considéré comme l’inventeur du concerto, la sonate de Torelli porte la marque de cette influence avec des tutti sonores et claironnant. En guise de conclusion, une sonate d’Antoine Dornel empreinte de dramatisme qui a été chaudement applaudi. En guise de rappel, les musiciens ont offert un cadeau nuptial, soit le fameux Canon de Pachelbel : une œuvre certes surjouée, mais qui était traitée avec bon goût et vivacité. Comme quoi, on n’a pas à bouder son plaisir, surtout quand on est accompagné par la fantaisie et la rigueur de l’Ensemble Diderot.

Le Festival Bach se poursuit jusqu’au samedi 2 décembre. Pour voir la programmation détaillée, rendez-vous sur le site officiel du festival.

Consultez également la programmation de l’Off-Festival Bach qui propose tous les jours du 22 au 29 novembre à partir de 12h une série de concerts et d’activités gratuites.

Crédit photo : Antoine Saito

Le Vivier et l’Orchestre de l’Agora | Une célébration virtuose de la musique actuelle

par Elena Mandolini

Le Vivier et l’Orchestre de l’Agora se sont alliés hier soir pour remplir une de leurs missions premières : promouvoir et présenter la musique actuelle sous toutes ses formes. Le programme proposé, dont certaines commandes de l’Orchestre de l’Agora, a su démontrer le large éventail des possibles en ce qui a trait à la composition actuelle. En effet, les trois œuvres présentées, qui mettaient chacune de l’avant un soliste différent, utilisaient toutes un langage musical distinct. Une soirée très réussie, tout en nuances et en énergie!

La première partie mettait en vedette le percussionniste David Therrien Brongo, pour la création du concerto pour percussions Jeux de pouvoir, du compositeur Nicolas Gilbert. L’œuvre se présente comme plusieurs petits tableaux, où le percussionniste soliste circule à l’avant-plan de la salle. David Therrien Brongo démontre une grande virtuosité dans une partition complexe, et l’orchestre qui l’accompagne est précis, laissant beaucoup de place au soliste. Le concerto comporte beaucoup d’humour, ce que tous les interprètes transmettent avec brio : le chef Nicolas Ellis est appelé à quitter le podium pour quelques mesures pour jouer du triangle, puis quelques extraits célèbres d’œuvres orchestrales (dont le Boléro de Ravel) se succèdent rapidement vers la fin de l’œuvre. Avec l’interprétation de cette œuvre, l’Orchestre de l’Agora atteint l’équilibre parfait entre la virtuosité, l’humour et le plaisir de la musique.

La seconde œuvre change totalement de registre. Nous quittons l’énergie débordante pour entrer dans le monde sombre de la poésie d’Émile Nelligan. Ce qui demeure, cependant, est la virtuosité. Le récital des anges, cycle pour voix composé par Ian Cusson, est interprété par la soprano Elisabeth St-Gelais. Ce cycle, à l’origine pour piano et voix, mais orchestré par Cusson pour l’Orchestre de l’Agora, est composé de six poèmes sélectionnés par Cusson pour raconter une histoire sombre, dont le fil conducteur est le regret. Cette œuvre est troublante, et l’interprétation parfaite qu’en fait St-Gelais l’est tout autant. On sent que la salle retient son souffle. L’équilibre entre la soliste et l’orchestre est excellent, les instruments illustrant parfaitement le regret et les doutes tiraillant la protagoniste. La présence sur scène d’Elisabeth St-Gelais est convaincante et nous transporte tout à fait dans l’univers du poète québécois.

La dernière œuvre au programme, de nouveau, offre un contraste marquant avec la précédente. Le Concerto for klezmer clarinet de Wlat Marhulets offre tout ce dont on peut s’attendre d’une œuvre pour clarinette klezmer, et encore plus! Le soliste Victor Alibert démontre une maîtrise impeccable de son instrument. La partition demande de fréquenter le registre aigu la plupart du temps, ce qu’Alibert fait avec aisance et souplesse. La musique klezmer est connue pour être une musique rythmée et de célébration, et c’est tout à fait ce à quoi le public a eu droit pour cette dernière pièce. L’orchestre avait encore de l’énergie à revendre et a tout donné pour cette dernière œuvre. On reconnaît sans conteste la musique klezmer, mais ce concerto va également ailleurs, empruntant beaucoup à la musique de tradition purement orchestrale et fait parfois penser au langage musical des grands orchestres jazz, avec la grande utilisation de percussions (dont la batterie) et de lignes de basses électriques.

Ce concert aura su démontrer la grande variété qui existe dans le répertoire actuel. Bien que les œuvres présentées utilisent un langage musical somme toute assez conventionnel, il était incontestable qu’elles étaient ancrées dans le XXIe siècle. Cette célébration de la créativité a tout à fait atteint son but, grâce à la rigueur musicale de Nicolas Ellis et de l’Orchestre de l’Agora, ainsi que de solistes de haut niveau.

baroque

I Gemelli à Montréal : l’un des grands concerts de l’année!

par Frédéric Cardin

C’est l’une des plus belles soirées de musique que j’ai entendue cette année. Si un prix Opus pouvait être décerné au meilleur concert à Montréal par un organisme étranger, I Gemelli à la salle Bourgie mercredi soir dernier (le 22 novembre) serait dans les finalistes. I Gemelli est un ensemble porté par Emiliano Gonzalez Toro, ténor au registre large (un baryténor, en fait) et à la présence scénique aisée, dynamique et plus que sympathique. Sur scène, un autre ténor, Zachary Wilder, plus léger et lumineux, mais tout aussi techniquement et expressivement impressionnant. Pour ce concert d’airs baroques italiens (essentiellement, le programme de leur album A Room of Mirrors), ils étaient accompagnés avec un souffle vital enlevant par un violoncelle baroque, une viole de gambe, deux violons, un clavecin, une harpe, un théorbe ou une guitare baroque (le musicien changeait en fonction de la pièce) et un archiluth, soit l’ensemble I Gemelli.

Vous dire que c’était bon est par trop générique. Appelez ça comme vous voudrez, la mayo qui prend, le courant qui passe, un coup de circuit à chaque ‘’toune’’ ou presque, bref, ce fut mémorable. Premièrement parce que les musiciens et musiciennes sont tous bons, très bons. Les deux ténors se démarquent fortement, car souvent en vedette dans ce répertoire majoritairement vocal. Comme les miroirs du titre de l’album éponyme, tous deux sont capables des plus exquises subtilités en triple pianissimo (dans l’aigu svp (!), mais surprennent quand même dans leur complémentarité, évitant ainsi le double emploi. Les instrumentistes sont au sommet d’un art désormais bien maîtrisé, le baroque historique, mais ils semblent l’avoir élevé d’un nouveau cran en perfection technique et en affects authentiques. La sonorité d’ensemble de ces Gemelli est finement graduée et balancée, démontrant une écoute collective d’une remarquable cohérence.

Et puis le programme, parlons-en. J’en ai parlé un tout petit peu, mais il faut quand même souligner l’audace de se présenter pour la première fois dans une ville avec une affiche sans aucun véritable nom ‘’vendeur’’! Pas de Vivaldi, pas de Bach, même pas Corelli. Non, juste des Falconieri, d’India, Marini, Castelani, et autres grands de leur époque, mais reclus dans l’ombre désormais. Et pourtant, je pense que peu d’autres rendez-vous avec de plus éminents ‘’célèbres’’ auraient été plus satisfaisant. Ce que l’on a entendu était de l’ordre de la grande inspiration, avec des mélodies fortes et des compositions fines et tour à tour vivifiantes ou poignantes. Un festin du début à la fin.

Mais le véritable supplément d’âme de ce concert mémorable, c’est celui que les musiciens eux-mêmes ont apporté sur scène. Des artistes qui ont du plaisir à jouer ensemble et le montrent clairement, n’est-ce pas, en fin de compte, un excellent signe? Puis, Toro lui-même (secondé efficacement par Wilder) qui ose ce que peu d’Européens font encore, surtout ceux d’un très haut niveau comme ceux-ci : s’adresser directement au public, tout au long du concert. Une communication fluide, sympathique mais sans cabotinage, informative mais aucunement académique. On met dans l’ambiance, mais on ne fait pas du velouté racoleur, on s’amuse, mais avec un respect certain de l’intelligence des auditeurs. 

Et croyez-moi, le public a grandement apprécié. Après le concert, les musiciens se sont précipités dans le lobby de la salle pour parler au public et vendre quelques albums. Il y avait foule autour de la table et, si je ne m’abuse, la boîte bien remplie s’est vidée en un rien de temps. Même le très beau coffret d’Il ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi, récemment sorti, un objet de 60 $, s’est envolé. J’ai en ai eu un exemplaire, signé et aimablement octroyé par Toro lui-même. Le monsieur (c’est moi ça) est content.

Ces gens savent se faire des amis et ils nous ont donné de bien bonnes raisons de les réinviter. 

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