expérimental / contemporain

Suoni, un 17 juin | Réverbérations, voix et réflexions multiples

par Michel Labrecque

En ce début de canicule montréalaise, le festival Suoni Per Il  Popolo nous offrait un concert intriguant à la Sala Rossa…avec l’air climatisé.

Cette triple affiche était étonnamment complémentaire : un jeune Kanien’keháka / Mohawk en quête d’identité contemporaine, une artiste multidisciplinaire en recherche ancestrale et une musicienne poète qui tente de gérer ses voix multiples.

Kahero:ton a ouvert ce bal expérimental, en compagnie du guitariste Grim Beverage. Nous sommes plongés dans un océan de réverbération, avec guitare, basse et synthétiseur. On entend aussi de nombreux extraits d’entrevues évoquant les crises antérieures vécues par les communautés Kanien’keháka / Mohawks du Québec et de l’Ontario. 

On sent que Kahero: ton cherche une voix plus expérimentale et contemporaine pour exprimer ses identités. Tout n’est pas forcément au point encore, mais on peut présumer que, d’ici peu, l’artiste, claviériste et bassiste arrivera avec une création plus affinée. A suivre.

En seconde partie, la musicienne, chanteuse et artiste multidisciplinaire montréalaise Sarah Rossy s’est présentée seule sur scène, avec une valise. C’était le point de départ d’un voyage à la recherche de ses ancêtres. Sarah est d’origine libanaise par sa mère et, avec cette performance, elle explore de façon métaphorique la venue de certaines communautés ici.

Pour l’accompagner, il y a une magnifique bande sonore, conçue par Sarah, avec des voix, des claviers et de multiples ambiances sonores incarnant le voyage. Elle chante aussi en direct, danse mime, parle. S’ajoutent des éléments visuels, créés aussi par la dame. 

Ce spectacle tranche radicalement avec les récentes sorties discographiques de Sarah Rossy, notamment Seemingly Insatiable Waves et The Conclusion, qui étaient plus proche du jazz et du folk éthéré. Ici, Sarah affiche davantage ses influences arabes. Elle n’a jamais caché la grande influence de la chanteuse Fairuz.

Tout ceci donne un spectacle franchement interpellant. La voix de Sarah Rossy est riche et polyvalente. L’assemblage sonore et visuel est complexe et touchant. L’artiste nous montre une fois de plus l’étendue de son talent et sa grande versatilité artistique.  

Sarah a été mon coup de cœur de ce concert. 

Pour clore la soirée en beauté, la suédoise montréalaise Erika Angell a offert sur scène une grande partie de son premier album solo, The Obsession With Her Voice, paru en mars. 

Entourée d’une batterie de machines diverses, séquenceurs, synthés, pédales d’effets, Erica nous a fait vivre dans un dialogue à l’infini entre ses voix et ses instruments. Les machines multiplient le son de ses voix transformées par les machines. Le son d’une clochette se réverbère à l’infini. La symbiose entre la femme et les machines fonctionne. 

Puis, arrive une autre femme, la batteuse fabuleuse Millie Hong, bien connue du milieu alternatif et jazz montréalais. Se produit alors une nouvelle symbiose à trois. Millie Hong, qui était présente discrètement dans An Obsession With Her Voice, s’éclate à fond sur scène, improvise autour de la voix d’Erika et des harmonisations générées par des machines. Parfois, on frôle le délire, puis l’apaisement revient. 

En toile de fond, si vous me permettez le jeu de mots, on trouve les œuvres visuelles de l’artiste Maxime Corbeil-Perron. 

En bref, ce fut une soirée musicale torride et fascinante, qui montre une fois de plus la grande pluralité du tenant musical montréalais.

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comédie musicale

Lili St-Cyr et les folles nuits de Montréal

par Claude André

Une comédie musicale rend hommage à la célèbre effeuilleuse, qui a contribué à la légende du  Red Light  montréalais. À l’affiche jusqu’au 22 juin au TNM.

Le Grand Prix de F1, qui s’est récemment déroulé à Montréal, et les divers débats entourant la prostitution généralisée en périphérie de cet événement, nous a rappelé que la ville des cônes orange fut aussi la Sodome et Gomorrhe de l’Amérique du Nord.

Cela ne date pas d’hier. Déjà, dans les années 1940, la « ville ouverte » qu’était la cité « aux 100 péchés » attirait son lot de noceurs et autres soiffards lubriques en raison, notamment, de l’absence de prohibition.

Parmi les acteurs de cette époque légendaire où les cabarets et les lupanars foisonnaient, la célèbre Lili St-Cyr a laissé une marque indélébile.

C’est son arrivée au Théâtre Gayety, avec en toile de fond une campagne électorale axée autour des bonnes mœurs, que raconte la comédie musicale dont le livret a été écrit par Mélissa Cardona, sur une musique signée Kevin Houle et une mise en scène de Benoît Landy, qui n’est pas sans rappeler le célèbre échafaudage de la représentation télévisuelle de la pièce Jailhouse Rock d’Elvis.

La trame de Lili St-Cyr, interprétée avec brio par Marie-Pier Labrecque, suit la formule inhérente à ce genre de spectacle qui a aussi des airs de théâtre d’été dans certaines répliques bon enfant et un ton plutôt badin.

Côté musical, notons les très belles voix de Kathleen Fortin (Jessie Fisher) et de Lunou Zucchini (Sophie Leblanc) qui ont su livrer des textes pertinents, mais manquant parfois de finesse, notamment dans les piétages et la quasi-absence de métaphores poétiques.

Au point qu’on peut parfois se demander ce qu’un Plamondon aurait pu écrire dans ce contexte? Ou un Jean-Pierre Ferland, qui avoua un jour avoir été un fan de la célèbre artiste de variétés.

Les musiques s’avèrent elles aussi très convenues et, disons-le, on est loin d’être ici au théâtre expérimental. Notamment la pièce blues, plus ou moins réussie, et une ballade à la guitare parfois « malaisante ».

Quant à la mise en scène, elle s’avère parfois très efficace (les gérants de clubs qui parlent à la même téléphoniste pour rejoindre la vedette aux États-Unis), tandis que certaines scènes peuvent paraître inutiles, comme celle au Forum de Montréal.

Un bon spectacle néanmoins, dont certains boulons mériteraient d’être resserrés tandis qu’une vingtaine de minutes de cette représentation de 2 h 25 avec entracte pourrait aisément être retranchée.

On se dit aussi que pour le numéro d’effeuillage, qui devrait être l’élément culminant de ce spectacle consacré à l’une des plus légendaires effeuilleuses, il est dommage qu’on en soit resté à une formule si peu audacieuse. Surtout qu’il s’agit de rendre hommage à une artiste qui, elle, ne manquait pas d’audace.

Avec Maxime Dénommée, Kathleen Fortin, Roger La Rue, Marie-Pier Labrecque, Lunou Zucchini et Stéphane Brulotte.

chanson / rock

Des filles qui rockent

par Claude André

À quelques jours de la fête nationale du Québec, c’est l’avenir de la chanson d’expression française nord-américaine qui a déployé sa superbe hier soir au MTELUS avec le super trio Le Roy, la Rose et le Lou(p).

Après une première partie assurée par la courageuse Arielle Soucy et ses deux acolytes – hélas, quasiment inaudible du fond de la salle pendant les premières chansons –, c’est dans un ancien Métropolis chargé à bloc que s’est levé le rideau devant les trois récipiendaires du prix Félix-Leclerc de la chanson que sont Ariane Roy (révélation de l’année à l’Adisq 2022), Thierry Larose (deux fois finaliste du prix Polaris) et Lou-Adriane Cassidy (« coup de cœur » de l’Académie Charles-Cros en 2020).

Chacun assis sur un tabouret et guitare acoustique en mains – Le Roy au milieu, le Lou(p) à sa gauche et la Rose à sa droite –, les trois complices de 26 ans ont à tour de rôle interprété des chansons de leur répertoire dans une harmonie de voix qui n’était pas sans rappeler un célèbre quatuor anglais de Liverpool…

Le garçon du trio arborait d’ailleurs une veste sortie tout droit de l’époque Sgt. Pepper’s, l’un des nombreux clins d’œil souriants pour l’observateur quinqua qui écrit ses lignes.

À l’image du titre de ce happening triomphant, créé en 2022, qui fait référence au spectacle-culte J’ai vu le loup, le renard et le lion lequel avait réuni Robert Charlebois, Félix Leclerc et Gilles Vigneault à la Superfrancofête de Québec en août 1974.

Cependant, et contrairement à cette épique époque, il y a cette fois deux filles en tête d’affiche, dont les textes et refrains accrocheurs dégoupillent allègrement des thématiques intemporelles, comme le doute et l’insécurité, mais aussi une certaine confiance rebelle et un esprit frondeur mêlé de sensualité rock et de fougue déjantée.

Si Ariane fait penser à PJ Harvey, Lou – qui se démunit davantage de ses guitares que ses acolytes –, exulte, sautille, virevolte et se démène sur scène d’une façon qui ne déplairait pas à un Iggy Pop ou une Muriel Moreno (Niagara).

Parlant de refrains accrocheurs et de changement d’époque, il était réjouissant de constater qu’au parterre, pendant le rappel, des jeunes hommes chantaient à tue-tête un refrain de Fille à porter  (“ voudrais me croire amoureuse/Je ne serais plus une fille à portée de main”), juste après la touchante interprétation du tube « Ça va, ça va » par le Lou (p).

Avec une dizaine de musiciens sur scène, des allers-retours entre indie pop, folk et chansons ponctuées de solos de guitare pinkfloydesques, de passes musicales à la Pearl Jam et autres refrains à la Niagara, le spectacle s’est terminé par la remise du prix Félix-Leclerc de la chanson 2024 à Lou-Adriane Cassidy.

C’est une jeunesse ravie, enthousiaste et émue qui a quitté la vénérable salle de la rue Sainte-Catherine sous le regard d’un membre de la génération X, à la fois nostalgique et rassuré quant à la pérennité de la culture musicale d’ici en cette ère de postmodernité.

hip-hop

Yamê aux Francos de Montréal: un pari réussi !

par Sandra Gasana

Arrive sur scène celui que tout le monde attend, Yamê !!! Vêtu de rouge de la tête au pied, un pull sans manche et un pantalon en cuir, on entend d’abord des chœurs mais sans choristes sur la scène. Ensuite, sa voix résonne seule, puis elle est accompagnée par son clavier, également de couleur rouge.

Il ouvre le bal avec son tube Ayo Mba, que toute la salle connaît par cœur. D’abord juste avec le clavier, puis la batterie de Daryl embarque quelques minutes après. Le public est déjà en feu alors que nous ne sommes qu’au premier morceau. Les applaudissements semblent interminables. 

Il s’éloigne de son clavier le temps de la chanson Lowkey  et se met plus à l’aise pour danser en chantant, avec les influences africaines dans cette chanson.

Avant de jouer un morceau, il fait du storytelling afin d’expliquer le contexte et tente de le faire avec des anecdotes marrantes. 

« Je sais pas à Montréal comment ça se passe, mais à Paris, y a un truc que je kiffe quand même, ce sont les jam sessions », avant de jouer quelques notes au piano pour introduire ses musiciens, Romain et Daryl, et expliquer le concept des jam sessions. Et sans transition, il poursuit avec Business dans lequel il fait chanter l’audience. 
L’énergie monte considérablement lorsqu’il chante les premières notes de Call of Valhalla, que ma voisine dans la soixantaine connaissait par cœur. Il quitte de nouveau son clavier pour sauter sur scène devant un public en feu. « D’habitude on est plus nombreux sur scène mais à cause des billets d’avion et tout, on n’est pas aussi nombreux », confie-t-il, ce qui explique les voix des choristes qui ont été enregistrées pour combler leurs absences.

Il s’amuse avec son batteur en improvisant des sons devant lui, qu’il reprend à la batterie, le tout en s’éclatant et en rigolant.
« Tous les projets d’Elowi ont commencé avec un piano-voix », nous apprend-il, avant de nous feinter avec une reprise de Isn’t she lovely, qu’il abrège tout de suite en avouant qu’il ne connaît pas les paroles. Le public est mort de rire. Et il opte plutôt pour Kodjo, qu’il interrompt en plein milieu pour raconter une blague, et poursuivre comme si de rien était. On voit bien dans son show l’influence de l’improvisation, rien n’est coulé dans le béton, tout est malléable.

Autre moment fort du spectacle, sa reprise inégalable de La Bohème, de Charles Aznavour, que tout le monde chante, sans exception. 

Il poursuit avec La Maille, seul au piano, puis avec ses musiciens qui prennent le relai pour Carré d’as, sur lequel il s’éclate sur scène. Cela lui a valu de longs applaudissements. « Je crois qu’ils sont très chauds là », dit-il au batteur.

L’apothéose du show était bien entendu durant Bécane, et encore une fois, on avait l’impression que la salle s’était transformée en grosse chorale, malgré l’absence des choristes. Il a profité de ce moment pour enchainer avec Bahwai pour garder le momentum, avec quelques pauses de batterie par moments. « Il m’a dit que le solo était trop long. Bon, c’était la dernière, ça va, fallait bien qu’on s’amuse un peu ! », ajoute-t-il en parlant de son musicien.

Belle façon de clôturer que d’avoir choisi Quête, qui ramène la touche afro à son concert et sur lequel le public s’est lâché. Bien sûr, on a eu droit à un petit rappel, Bécane, dans une version quelque peu différente de la première. « Merci Montréal d’être venu ce soir », conclut-il.
Avant de partir, j’ai dû demander à ma voisine dans la soixantaine comment elle avait entendu parler de Yamê. « C’est mon fils qui m’a fait découvrir cet artiste, et comme j’ai une moto, à chaque fois que je suis dessus, je mets la musique de Yamê à fond, surtout Bécane », me confie-t-elle. C’est ça Yamê, du plus jeune enfant aux grands-parents, tout le monde y trouve son compte.

C’est la chanteuse française Anaïs Mva qui a assuré la première partie du concert de Yamê aux Francos de Montréal, accompagnée uniquement de son guitariste. Très timide, elle interagissait furtivement avec le public, valsant entre des morceaux mélancoliques, comme Corps inerte et de la pop à la française. « Je suis contente d’être avec vous. On m’avait dit que vous étiez sympas mais là, je le vois en vrai », constate-t-elle.

Elle fait une reprise originale de Hey Ya!, d’Outkast, et invite le public à chanter avec elle. Elle termine avec la chanson XS, qui fait référence aux standards de beauté et les pressions que ça engendre sur les filles.

Photo gracieuseté des Francos

classique

Festival Classica |Un heureux Meslanges pour une fin d’édition en contraste

par Alexandre Villemaire

Le dimanche 16 juin se concluait la quatorzième édition du Festival Classica, dans le cadre intimiste du Foyer Saint-Antoine à Longueuil. C’est l’ensemble vocal à géométrie variable Meslanges qui est venu clore cette saison. En tout  23 programmes ont été présentés dans 6 villes, dont Longueuil, Boucherville, Saint-Bruno-de-Montarville, Brossard, Saint-Lambert et Montréal, mettant de l’avant le talent de différents artistes d’ici dans des projets qui sortent du cadre habituel et de l’ordinaire. Encore une fois cette année, le Festival Classica a effectivement proposé au public une programmation éclectique allant de la musique française en passant par le tango, le rock et le conte musical.

Co-fondé et dirigé par la soprano Marie Magistry, le quatuor vocal a cappella comprenant, en plus d’elle-même, la mezzo-soprano Marie-Andrée Mathieu, le ténor canadien d’origine libano-palestinienne Haitham Haidar et la basse William Kraushaar, a offert une mosaïque de la chanson française de la Renaissance à aujourd’hui où dominaient les thèmes de l’amour et de la nature.

Le concert était divisé en deux parties. La première comprenait essentiellement un éventail de chants de la Renaissance avec en toile de fond différents textes tirés du recueil de poésie Les Amours de Pierre de Ronsard. Bonjour mon cœur et Mignonne, allons voir si la rose étaient du lot. Parmi les morceaux les plus costauds du programme, nous pouvions notamment relever les Six chansons de Paul Hindemith, Le chant des oyseaulx de Clément Janequin et les deux extraits des Trois chansons de Maurice Ravel (Nicolette; Ronde).

Typique de la chanson parisienne, Le chant des oyseaulx fait usage de différentes onomatopées pour illustrer de manière idiomatique les multiples vocalisations de ceux-ci. Cette gymnastique vocale (et labiale!) exige une grande maîtrise, un certain abandon à la forme et à une certaine dérision. Quand le discours musical est saturé par des « fa-ri-ra; ty-py-ty; chou; thou-y thou; tu; frian; trr; huit » et autre, on ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire face à cette « cacophonie » organisée et pleine d’humour.

De forme plus statique et moins imitative, les défis des Six chansons de Hindemith résident dans leur harmonie serrée, truffée de chromatisme et d’intervalles ouverts, aux couleurs particulières. Pour les pièces de Hindemith notamment, c’est le type de pièce où chaque ligne vocale, prise individuellement, est relativement simple, mais lorsque mises en relation avec d’autres, provoque un résultat qui est souvent déstabilisant et rend difficile le maintien de sa propre conduite de voix. Les quatre chanteurs ont offert pour ce difficile cycle de huit minutes, une performance solide et assurée, passant avec aisance d’un numéro à l’autre dans un flot presque ininterrompu. Les deux extraits des chansons de Ravel étaient dans le même esprit avec l’utilisation d’harmonies étendues colorées.

La deuxième partie a été marquée par cette même thématique de l’amour et de la nature avec entre autres la fameuse pavane de Thoinot Arbeau, Belle qui tient ma vie, Milles regretz de Josquin Després et deux extraits des Chansons françaises de Francis Poulenc. Nos pièces coup de cœur de cette seconde partie ont été les Deux chansons op.68 de Camille Saint-Saëns. Calme des nuits  avec ses harmonies lumineuses et éthérées a apporté un moment de plénitude que Les fleurs et les arbres est venu contraster par son ton léger.

Comme son nom l’indique, les quatre voix se « mélangent » à merveille. Chacun des interprètes joue son rôle sans prendre le dessus sur les autres et fait ressortir sa voix quand le moment est opportun dans le discours, que ce soit la voix cristalline de Marie Magistry en passant par le son riche et boisé de William Kraushaar complémenter par l’agilité, la rondeur et l’éclat des voix de Marie-Andrée Mathieu et Haitham Haidar. Leur communication et leur sens du jeu transmettent un plaisir qu’il est important de souligner dans cette performance.

On ne tiendra pas rigueur aux légers accrocs qui se sont produits, notamment dans Il est bel et bon de Pierre Passereau, dans lequel les entrées extrêmement rapprochées, représentent un défi rythmique. Être pro, c’est aussi accepter et rire de ses accrochages et être en mesure de retomber sur ses pattes sans s’arrêter. En cela, Meslanges a offert une belle leçon d’humilité dans le cadre d’un concert qui, dans sa globalité, a été d’un sans faute et qui a été fortement apprécié par le public.

En guise de rappel, le groupe a interprété Le Pont Mirabeau, poème de Guillaume Apollinaire mis en musique par le compositeur canadien Lionel Daunais. Évoquant les thèmes de la mélancolie, de la nostalgie et du temps qui passe, cette pièce résumait bien notre état d’esprit à la fin de ce concert. Alors que nous venions de passer une heure suspendue à l’écoute des plus belles mélodies françaises, le retour à la réalité nous fait se sentir peiné de quitter cet univers et impatient de réentendre les voix de Meslanges.

indie pop / indie rock / punk rock

Élégie aux Francos- ouvertures romantiques et tentations punk

par Baby Lafrance

Formation originaire de Québec, Élégie a commencé la soirée de samedi en force avec sa chanson Amours modèles, tirée du récent album Romantisme, paru en octobre 2023 et par un «what the fuck» bien senti,  lancé par le batteur Antoine Boily-Duguay. L’énergie du groupe se fait sentir dès lors et donne au public un avant-goût de la suite. La formation interprète alors deux chansons de son répertoire avant de présenter brièvement le nouveau matériel en réserve. Élégie dose bien encore une fois son énergie, qui demeure bien présente sans nécessairement tout fracasser. 

C’est lors de la quatrième chanson,  Dédé,  que le quatuor commence réellement à se laisser aller vers le punk. La pièce s’entrecoupe d’un solide solo de batterie livré par Antoine Boily-Duguay puis se termine par un couplet chanté avec une technique vocale saturée (fry scream),  digne d’un groupe métal. Le bassiste joue avec ardeur et en profite pour bondir à plusieurs reprises tout en demeurant juste et précis. 

Le groupe enchaîne ensuite des chansons aux textes sensibles, des gammes d’émotions s’y couchent sur des mélodies bien calculées. Même si on sent les influences du punk rock à quelques reprises, la musique d’Élégie se veut beaucoup plus propre de manière générale. Le jeu de pédales n’est pas énorme et la sonorité des guitares est claire tout comme la voix du chanteur Lawrence Villeneuve. Élégie, qui se qualifie de new punk/post wave, parvient parfaitement à interagir avec son public, de sorte que celui-ci danse et saute sans relâche. 

Le quatuor prend une pause de ses compositions originales et entrecoupe la soirée afin d’interpréter une reprise de la chanson Covet du groupe britannique Basement, exécutée avec brio. 

Le groupe entame sa dixième chanson (supposément sa dernière) avec un solo de synthétiseur, suivi de la batterie et du reste des instruments. La foule hurle, tape des mains et s’exécute dans un mosh pit plutôt réservé. Néanmoins la fin laisse le public en haleine qui aussitôt en redemande plus. Comme la tradition le veut, ils sortent brièvement de scène avant de s’y installer à nouveau, sans oublier de mentionner le batteur Antoine Boily-Duguay qui crache alors sa bière sur la foule, dans un brouhaha de rires et de surprise.

La formation interprète alors deux autres chansons dont leur plus connue, Affects. Lawrence Villeneuve souligne la participation de celles et ceux qui sont dans le mosh pit, qui s’agrandit au fil des secondes. Ces deux chansons supplémentaires ne semblent pas satisfaire l’auditoire qui s’époumone et en redemande encore. Le chanteur revient alors sur scène pour annoncer qu’ils ne peuvent interpréter d’autres chansons puisque c’est la première performance du bassiste Samuel Bédard avec le groupe, mais propose tout de même de refaire la chanson «Dédé», à la satisfaction de tous. Cette fois-ci l’énergie bat son plein autant du côté des membres d’Élégie que du côté du public avant d’aboutir à une fin spectaculaire, avec le chanteur qui s’exécute encore une fois avec du fry scream avant de quitter la scène pour de bon, marquant la fin du spectacle. 

En bref, c’est une soirée réussie pour le groupe Élégie qui a su montrer de quoi il était capable, tant dant son exécution instrumentale et vocale que dans  sa capacité à entretenir une foule sans relâche. La musique effleure le punk sans toutefois complètement baigner dedans, le tout dans une belle complémentarité avec les textes.

folk-pop / pop / rap

Un 16 juin aux Francos | Pomme, Marco Ema et KNLO

par Jacob Langlois-Pelletier

L’équipe de PAN M 360 se fait un plaisir de fourmiller un peu partout aux Francos, dans les recoins évidents et moins évidents, pour le public francophile. Suivez notre couverture!

Pomme, tout en douceur à sa « deuxième maison »

Alternant entre la France et le Québec depuis déjà huit ans, Claire Pommat alias Pomme a sans aucun doute réussi au cours des dernières années à se tailler une place de choix au sein du folklore québécois. Dimanche soir aux Francos, l’auteure-compositrice-interprète et musicienne française a offert ce qu’elle qualifie de « consolation collective », une soirée de balades douces et assumées, toutes plus intimes les unes que les autres.

C’est vêtu d’un costume de fée que la Française fait son entrée sur scène, au grand plaisir de la marée d’admirateurs et d’admiratrices amassées sur la Place des Festivals. Parlant d’admiration, c’est dans cet état d’esprit que la foule restera plongée tout au long de sa prestation, une ambiance qui détonne après le passage du rappeur Souldia et de Québec Redneck Bluegrass Project lors des deux soirées précédentes. En ouverture, Pomme propose Nelly, titre hommage à l’écrivaine québécoise Nelly Arcan provenant de son album Consolation. « Cette chanson signifie encore plus lorsqu’elle est chantée au Québec. Ici, c’est ma deuxième maison », a-t-elle lancé, sourire aux lèvres.

Entourée de champignons géants sur scène, énième preuve de la singularité de son univers, Pomme enchaine les morceaux, allant de chansons plus récentes comme Jardin à Pourquoi la mort te fait peur ? et Soleil, soleil. Elle a interprété cette dernière en compagnie des sœurs Boulay, elles qui avaient foulé la scène tout juste avant son arrivée. La présence des deux Québécoises était loin d’être la seule surprise qu’elle réservait à son chaleureux public; Safia Nolin et Ariel Angel se sont joints à elle autour d’un seul micro pour une version acoustique de Lesbian Break-up Song puis Klô Pelgag est venu pour sorcières.

En cette douce soirée de juin, l’artiste de 27 ans aura fait voyager les Montréalais et Montréalaises à travers toute une gamme d’émotions, frissons garantis. Mention honorable aux quatre musiciens et musiciennes — Paulien Denize au violon et mandoline, Zoé Hochberg à la batterie et guitare, Michelle Blades à la basse et guitare ainsi que Olivier Corentin aux claviers et guitare — qui l’ont accompagné avec brio, contribuant à l’atmosphère détendue et mélancolique à souhait. Pomme l’a mentionné hier, assurer un tel spectacle avec le style musical qu’elle propose n’est pas une mince tâche. Vu l’intensité de la soirée et l’accueil des festivaliers, force est d’admettre qu’elle a réussi le défi haut la main.

Crédit photo: Benoit Rousseau

Marco Ema, musique pop sympathique et personnage charismatique

À pareille date l’an dernier, Marco Ema foulait les planches des Francos au sein de sa formation Vendôme. Dimanche, c’est en solo que le natif de Thetford Mines a monté sur scène pour présenter plusieurs morceaux de Anyway, Mommy Love, son deuxième album en carrière. « Merci d’être là à la place de checker l’émission Survivor! », lance-t-il avec charisme avant de s’élancer.

Passant de l’indie pop au folk tout en prenant un détour vers le rock, Marco Ema fait danser la foule présente devant lui, elle qui est surprenamment imposante pour une prestation en début de soirée. De prime abord, le jeune artiste propose une pop bienveillante et lumineuse qui donne envie de danser. Et pourtant lorsqu’on écoute attentivement, ses textes sont poignants et y abordent des thèmes tels que le deuil de son père ainsi que les ruptures amoureuses.

Sur scène, il multiplie les interactions cocasses avec le foule; Marco Ema est définitivement une des belles « bibittes » de la relève québécoise. Son plaisir sur scène et sa chimie avec ses différents musiciens sont contagieux. Sa musique solo est davantage linéaire que ce qu’on retrouve avec son band Vendôme. Le Québécois brille dans cette avenue, ce qui est prometteur pour l’avenir.

Crédit photo: Jacob Langlois-Pelletier

KNLO, jamais sans la famille

Cette année, les Francos présente « Les soirées urbaines », une série de spectacles à saveur rap. Après Raccoon et Yes* lors des deux premières journées du festival, c’était au tour du rappeur KNLO de fouler la scène Desjardins. Accompagné de son DJ, l’artiste de Sainte-Foy a fait son entrée débordant d’énergie, prêt à faire danser les festivaliers.

Dimanche, KNLO a offert une prestation honnête en rappant l’intégralité de ses morceaux, faits d’armes dorénavant devenus une denrée rare chez les artisans du hip-hop. Tout au long de son set, le protagoniste était accompagné à la voix par Caro Dupont, chanteuse qui a su ajouter son grain de sel aux différents projets solos du rappeur au cours des dernières années.

Première surprise de la soirée, KNLO invite Le Youngin à se joindre à lui pour GLACE, leur titre collaboratif tiré de l’album 438. Au grand plaisir du public, KenLo Craqnuques avait plus d’un tour dans son sac; Eman, Robert Nelson et Claude Bégin arrivent sur le plateau. Alaclair Ensemble, réuni aux Francos en plein mois de juin, n’en fallait pas plus pour réveiller la foule. « Tout ce qui compte, yeah. La famille, la famille, la famille, la famille », chantaient bruyamment les gens amassés autour de la scène pendant leur interprétation du titre La Famille. KNLO a toujours eu ce côté rassembleur et sa prestation nous a une fois de plus donné l’impression que nous faisons partie de la famille!

Crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin

classique / période romantique

Festival Classica | Des Lettres de Chopin à voir et à entendre

par Alexandre Villemaire

Dans le cadre de sa programmation 2024, le Festival Classica présentait dimanche dernier Les lettres de Chopin de Denis Plante. Ce récit théâtral et musical imaginé, écrit et mis en scène par celui à qui l’on doit entre autres La Bibliothèque interdite, avait comme trame de fond le séjour que le couple formé de la femme de lettres Georges Sand et du compositeur Frédéric Chopin a effectué sur l’île de Majorque en 1838-1839 pour fuir les racontars de la Ville Lumière. Ce qui devait être une idylle romantique à la plage pour le couple, elle avec ses livres, lui avec ses partitions, se transformera en séjour gris alors que la météo, d’ordinaire rayonnante, demeure pluvieuse et morne et que le piano, commandé pour remplacer celui « pourri » qui leur avait été laissé à leur logement, tarde à arriver et que le compositeur tombe malade.  C’est cette situation de huis clos dans leur lieu de résidence à Majorque, racontée du point de vue de Sand que Denis Plante a voulu exprimer. 

 Cette portion n’a cependant pas occupé l’entièreté du récit, comme nous nous y attendions. Monologuant avec le public, la comédienne Gabrielle Maria Gourd, sous les traits de son personnage de Georges Sand, a exposé pendant la première demi-heure du conte une présentation du caractère de cette dernière et de sa rencontre avec Chopin et de la naissance de leurs sentiments, question de bien camper le contexte. La deuxième portion qui a occupé la demi-restante traitait spécifiquement le séjour à Majorque.  Juste assez désinvolte, Gabrielle Maria Gourd revêt parfaitement les traits de Georges Sand avec son caractère espiègle, garçonne et passionnée. Au niveau de l’écriture des textes, la plume de Denis Plante est saluée.  Ayant pris comme source les écrits de Sand, notamment sa correspondance et son récit de voyage Un hiver à Majorque, le ton qui est donné au texte ne sonnait pas « kitsch » ou en décalage stylistiquement. Quels étaient les mots de Sand ou de Plante? Impossible de le dire tant le texte coulait naturellement, avec une verve précise et un juste niveau d’humour. Ce côté naturel du texte captivait l’attention envers l’action de la pièce. 

 Le rôle de la musique et de l’excellent ensemble à corde composé de Marie Bégin, Elvira Mishbakova, Dominique Bégin, Antoine Plante et Stéphane Tétreault, était principalement extradiégétique dans l’univers de la pièce. Elle vient surtout commenter les situations qui se déroulaient sur scène et accompagner les transitions de scènes. Alors qu’il aurait pu décider de reléguer les musiciens à un rôle de soutien musical en retrait sur le plateau, Denis Plante a eu la bonne idée de les inclure au premier plan de la pièce. Ils font partie du décor et l’investissement à divers moments pour participer à l’action de manière active ou symbolique. Il y avait quelque chose de particulièrement cocasse à voir Stéphane Tétreault endosser le rôle d’un habilleur pour présenter dans le numéro d’ouverture des tenues féminines à Georges Sand – qu’elle refuse toutes d’ailleurs –, pendant que ses collègues jouent la Grande valse brillante. Parmi les autres moments musicalement touchants de la pièce, nous pouvons citer le magnifique solo de Marie Bégin du Nocturne no20 qui a offert une page sensible et planante. Scénographiquement, le décor était minimal : des malles, une lampe et une projection vidéo d’un tourbillon d’écume sur un cyclo en fond de scène pour évoquer le lieu de Majorque. Bien qu’absent musicalement, le piano qui ornait la scène a servi a entre autres servi à évoquer celui qui n’est jamais arrivé jusqu’au compositeur et, ultimement, le cercueil dans lequel reposera Chopin, décédé de la tuberculose quelques années plus tard.

 Lorsque le rideau est tombé à la fin de cette représentation d’un peu moins d’une heure, nous en aurions pris plus de cette musique, de cette histoire et de ce personnage. Ludique, accessible, bien documenté, ce conte musical est un excellent divertissement tant pour les mélomanes que pour le public qui veulent découvrir la musique de Chopin en passant par l’exposition d’un récit de sa vie personnelle que l’on aborde peu. Si une nouvelle itération ou une évolution du conte était à imaginer, nous serions curieux et vivement intéressés à voir ce qu’un vrai dialogue à huis clos entre Sand et un Frédéric Chopin pourrait donner.

 L’esprit de la pièce nous aura suivis jusqu’à la sortie où tout avait l’apparence d’une mise en abîme, alors que le soleil a fait place à des épisodes de pluies soutenues, comme sur l’île espagnole.  Mais, à la différence de l’état d’esprit dans lequel Georges Sand a quitté Majorque, nous avons quitté le théâtre avec du soleil dans notre cœur et dans nos oreilles.

pop orchestrale

Hommage à Queen | Traitement royal, façon Classica

par Alain Brunet

Façon classique, l’augmentation orchestrale du légendaire groupe Queen va de soi. Enclin au bel canto et au style barbershop dans son approche vocale, ce célébrissime classic rock britannique des années 70 et 80 pouvait compter sur un chanteur de puissance, icône de la pop décédée tragiquement à l’époque dévastatrice du sida. Freddy Mercury disposait d’un organe vocal hors du commun et d’un formidable charisme, appuyé par une formation rock des plus vitaminées.

Ainsi, cet Hommage à Queen a été présenté en ouverture et en quasi conclusion au Festival Classica.

Le choix du soliste Marc Martel ne pouvait être mieux indiqué : le Québécois ne fut-il pas recruté par membres de Queen pour évoquer leur soliste disparu? Absolument. La direction était assurée par Simon Fournier au pupitre l’Orchestre symphonique du Grand Montréal, aussi à la direction du Chœur de l’Opéra bouffe du Québec. À l’évidence, ce musicien classique aime et connaît la culture rock jusqu’à se permettre lui-même quelques interventions non classiques!

L’idée était de coupler un groupe rock à un solide orchestre de chambre et à un chœur fervent au service des grandes mélodies rock signées Queen : Another Bites The Dust, We Will Rock You, We Are The Champions, Don’t Stop Me Now, Fat Bottomed Girls, Radio GaGa, You’re My Best Friend, Somebody to Love et autres Bohemian Rhapsody, sans compter l’incontournable Under Pressure, coécrite à l’époque avec David Bowie.

À travers cette forêt de tubes devenus classiques un demi-siècle après leur conception, le défi consistait à atteindre l’équilibre entre l’esprit rock et l’élégance d’un (petit) orchestre symphonique, d’un choeur pop sensible à l’énergie rock. Pour y parvenir, le chef Simon Fournier doit s’assurer de faire ressortir les qualités maîtresses de chaque composante du concept. Quant au soliste Marc Martel, il maîtrise évidemment ce répertoire et peut user de sa voix d’enfer pour transporter le concept jusqu’à l’auditoire, peuplé très majoritairement de fans de ce groupe mythique.

Bien sûr, il a dû s’adapter progressivement à cet environnement et acquérir l’assurance nécessaire en cours de programme. Bien sûr, la première exécution du concept à la Salle Claude-Champagne, le 23 mai dernier, n’était peut-être pas parfaite dans la réunion des forces et dans sa sonorisation sur scène mais laissait présager un meilleur concert donné en plein air, le samedi 15 juin, au Parc de la Rivière-aux-Pins à Boucherville.

classique arabe / expérimental / contemporain

Un 13 juin aux Suoni Per Il Popolo : No Hay Banda avec Sarah Davachi et Nadah El-Shazly + Sarah Pagé

par Laurent Bellemare

Les Suoni Per Il Popolo ont beau présenter trois ou quatre concerts chaque soir, rien n’empêche qu’un jeudi soir de juin, c’était une Sala Rossa comble qui s’apprêtait à recevoir deux heures de musique contemporaine. Dans le cas des deux propositions, il s’agissait de premières et c’était l’excitation de découvrir les nouveaux projets de ces artistes réputés qui avait réuni tout ce beau monde. On peut se réjouir d’un tel engouement pour les musiques innovantes, engouement qui confirme la pertinence de la série d’événements de No Hay Banda.

Sarah Davachi : No Hay Banda interprète Three Unisons for Four Voices

Le son scintillant des notes de vibraphone jouées à l’archet avait à peine joint les sons filés des cordes que l’ensemble a soudainement dû arrêter de jouer. Cette interruption venait d’un malaise de la violoniste, qui a malheureusement dû se retirer du concert pour reprendre ses forces. On avait alors entendu pas plus de cinq minutes d’une musique minimaliste, évoluant très lentement et tout en douceur.

Suite à ce faux départ, quelques minutes se sont écoulées sans que la foule sache trop ce qui se passe. Très rapidement, le pianiste Daniel Áñez a pu annoncer que le concert reprendrait avec un violoniste substitut, en la personne de Clemens Merkel du Quatuor Bozzini. Simple spectateur, le musicien s’est offert de jouer l’œuvre de Sarah Davachi au pied levé, au grand soulagement de tous. L’ensemble s’est donc attelé et a redémarré son exécution de la pièce de 70 minutes. 

Décrypter quelque peu le titre de l’œuvre permet d’en mieux comprendre le fonctionnement. D’une part, l’ensemble de six interprètes était divisé en quatre groupes instrumentaux : cordes, vents, percussions et ondes Martenot (et électronique!). Les voix interagissaient entre elles en jouant un même matériau musical (d’où l’idée de l’unisson), mais avec une liberté individuelle d’exécution. Il fallait donc jouer une suite de notes dans un temps donné, sans pourtant que l’écriture soit rigide quant à la manière dont l’interprète allait se rendre à destination. Ainsi, la pièce était structurée par un chronomètre et des minutages précis en déterminaient la progression.

Perceptuellement, l’œuvre semblait émerger du silence, puis monter en densité et en intensité pendant plus ou moins une demi-heure, puis redescendre calmement vers le néant. Pour apprécier une telle musique, il fallait être attentif aux micro détails, soit les subtils changements harmoniques générés par l’élément d’improvisation. L’effet était comparable à un effet de bourdon massif dont on aurait savamment orchestré les harmoniques, à l’instar d’une musique spectrale à la Gérard Grisey ou Tristan Murail.

Malheureusement, la bien-aimée Sala Rossa n’était peut-être pas le lieu le plus propice pour s’immerger dans un tel type d’écoute. Entre les craquements de plancher, les grincements des chaises et l’action du bar, il n’était pas facile pour les instrumentistes de monopoliser l’espace sonore. L’écoute sélective de l’auditoire était donc sérieusement mise à l’épreuve, ce qui n’aidait pas à plonger avec pleine attention dans la proposition musicale. Un compromis possible aurait été d’amplifier les instruments afin qu’ils enveloppent davantage les lieux. Somme toute, Three Unisons for Four Voices invitait à plonger activement dans la matière sonore, ce que l’ensemble a communiqué avec brio. On regrette seulement les contraintes acoustiques ayant quelque peu mitigé l’effet immersif que l’œuvre aurait pu avoir. 

Nadah El-Shazli + Sarah Pagé

S’il ne constituait pas la première collaboration des artistes, le duo inusité entre la chanteuse égyptienne Nadah El-Shazli et la harpiste Sarah Pagé est tout de même assez jeune. Pagé avait bien enregistré de la harpe sur l’album Ahwar d’El Shazly, paru en 2017, mais les concerts collaboratifs des deux artistes sont beaucoup plus récents.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la performance faisait grand contraste avec la première partie du concert. Les morceaux étaient chargés d’énergie et progressaient à vive allure. Les textes en arabe et le chant d’inspiration traditionnelle d’El-Shazli, modulés avec du traitement en direct et complémentés par de l’échantillonnage, se combinaient en un rendu savoureux et inédit. La chanteuse avait une excellente maîtrise des ornementations vocales et faisait bien ressortir les couleurs modales de ses mélodies. 

Mais le plus impressionnant, c’était la variété des techniques vocales qu’elle employait. El-Shazly passait aisément d’une forte projection vocale, avec bien du coffre, à une voix plus vulnérable et avec très peu de souffle. Que dire des quelques cris lâchés vers le milieu du spectacle! La chanteuse utilisait également le microphone de façon créative, pour créer des effets dramatiques. Plus le micro était loin, moins la voix d’El-Shazby était traitée, ce qui lui permettait d’habiles modulations de timbre et de volume. Elle a également terminé une pièce en chantant a capella, abandonnant l’amplification pour un instant qui donnait la chair de poule.

Sarah Pagé n’était pas en reste, bien outillée de sa harpe amplifiée et d’un arsenal de pédales à effets. Au fil de la prestation, la harpiste a parcouru un grand éventail de modes de jeu, de techniques étendues et de types de traitement sonore. Sa performance était totalement dynamique, passant fluidement d’articulations rapides aux jeux de délai, en passant par les sons filés avec archet et les ostinatos d’accords pincés. Exemplaire, Pagé confirmait encore une fois la grande polyvalence de sa pratique artistique.

En somme, l’interaction entre les voix d’El-Shazly et les cordes de Pagé était un rendez-vous réussi. La prestation semble avoir été composée majoritairement de musique originale, quoiqu’au moins la dernière pièce du concert ‘Mahmiya’ ait été tirée de l’album solo d’El-Shazly. Quoi qu’il en soit, on espère bien vite pouvoir écouter un album en duo de ces deux artistes.

Crédit photo: Pierre Langlois

Afrique / rap

Une soirée de clôture riche en émotions

par Sandra Gasana

De retour à la barre de l’animation après la soirée « Du Groove et des Mots » à la Place des arts, Fidjil Aby était accompagné cette fois-ci par nulle autre que Louise Abomba, activiste culturelle et panéliste lors du volet professionnel du Festival Afropolitain nomade. (Lire: Pour son 10ème, le Festival afropolitain nomade est de retour à Montréal – PAN M 360)

Après le dévoilement des deux toiles réalisées par Kando, artiste visuel montréalais d’origine congolaise et Guy Kouekam, originaire du Cameroun, les arts visuels ont mis la table pour faire place aux arts de la scène.

C’est un Abel Maxwell en pleine forme qui est apparu sur scène lors de la dernière soirée du Festival Afropolitain nomade. On remarque tout de suite le style vestimentaire impeccable chez cet artiste originaire du Togo, avant de le voir déployer tout son art. Devant quelques enfants qui dansaient en face de la scène, il interagissait avec un public quelque peu timide, alors que son énergie était débordante. Il nous livre une reprise du classique Georgia on My Mind, de Ray Charles suivie de Dancing in September, de Overwings, avant de retourner à ses compositions originales, comme Djin kélélé. Ce titre rythmé a fait bouger le public, qui se décoinçait peu à peu.

C’était ensuite au tour de la chanteuse camerounaise Isis Kingue de monter sur scène. La femme aux locks rouges et bottes à talons hauts nous charme tout de suite par sa  puissante voix et sa présence scénique. Elle parvient à suivre la chorégraphie de ses trois danseurs tout en leur laissant l’espace pour briller. « Toutes mes chansons parlent d’amour », confie-t-elle, devant un public de plus en plus séduit. Elle était accompagnée par Teddy, son chef d’orchestre, qui maniait si bien son clavier qu’on avait l’impression qu’ils étaient plusieurs sur scène.

« Le prochain artiste nous vient du Cameroun et c’est l’un des rappeurs les plus prolifiques », nous annonce Fidjil. Accompagné par un full band composé de LA Révélation 2024-25 de Radio-Canada, l’Ivoirien Donald Dogbo à la batterie, Poppy Duverné d’Haïti, récemment installé à Montréal, au piano, Elijah Mansevani, à la guitare et Romuald N’Guessan à la basse, Leggo ouvre le bal avec son morceau Bombardé, qui met déjà la barre haute. Il poursuit avec Don’t Believe the Hype, où il mêle anglais et français, sur une musique qui rappelle les sons de D’Angelo de l’époque. Son rap à l’ancienne est parsemé de quelques solos de guitare d’Elijah, qui sont à couper le souffle.

Surprise de la soirée : Leggo fait monter Magdala, l’artiste montréalaise d’origine haïtienne avec laquelle il a collaboré sur Rendez-vous, en français et en créole. « C’est ma première fois à Montréal, mais ma musique est arrivée avant moi grâce à cette artiste », confie-t-il en parlant de Magdala.
Autre surprise de la soirée : le talent de chanteur du pianiste Poppy, qu’il a démontré en chantant « Di sè so ngando » qui signifie Allons-y, dansons ! dans la langue douala, maîtrisant parfaitement sa voix. Dans ce morceau, Leggo invite les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes, les politiques, les citoyens à danser en faveur de la paix, de l’harmonie au lieu de toujours prôner un discours qui pousserait à la violence.
« Est-ce que vous connaissez la rue de la joie ? », demande-t-il à la foule, invitant les Camerounais dans la salle à approcher la scène. « On va transformer l’Afromusée en Rue de la joie », déclare-t-il devant un public en feu.

Retour de Louise sur la scène et, toujours avec sa touche d’humour, elle présente celle qui clôturera le festival : la grande Tyrane. D’emblée, la “Fille du soleil” débarque sous une mise en scène qui lui ressemble, et commence en tapant sur un tambour. Sa voix résonne ensuite dans l’Afromusée, accompagnée de ses musiciens pour nous servir sa Soul Mandingo, unique à elle. 

« Je suis championne d’Afrique. Je viens de la Côte d’Ivoire », affirme-t-elle fièrement en guise d’introduction. Tout comme ses consoeurs slameuses de la veille, elle aborde les violences faites aux femmes dans la chanson Fitinan, mais rend également hommage à sa maman avec Mvela, moment émouvant de son spectacle. Véritable boule d’énergie sur scène, elle invite le guitariste Elijah à plusieurs reprises pour des solos, au grand plaisir des mélomanes. Elle choisit la chanson Génération capable, pour clôturer ce beau rendez-vous musical sur une bonne note, avant d’inviter tous les artistes du festival pour la photo de famille. Et c’est exactement ce qui ressort de ce festival qui fête sa première décennie: il a créé une famille à travers les artistes qui y ont participé au fil des ans.

Crédit photo: Christian Tang – Festival afropolitain nomade

indie pop

HABITAT SONORE :  la musique qui fait vibrer Montréal… et le Centre Phi !

par Salima Bouaraour

La musique qui fait vibrer Montréal. Quinze artistes de la scène locale. Quinze chansons au panel très large. Synth pop, électro, R&B, rock indie, hip-hop. La liste est en écoute depuis le 8 mai et ce, jusqu’au 11 août au Centre Phi. Une recommandation de PA N M 360 pour vous faire plaisir cet été! 

Les artistes – Gayance – Narcy – En Stéréo – KALLITECHNIS – The Bionic Harpist – Patrick Watson – Klô Pelgag – Daniel Bélanger – Bibi Club – Jean-Michel Blais – Waahli – Cosmic Cosmic – Malika Tirolien – Dominique Fils-Aimé – Karkwa – revisitent la conception sonore d’une de leurs œuvres pour permettre au public de totalement s’immerger dans un univers tridimensionnel qu’offre Dolby Atmos sur un ensemble de 16 haut-parleurs multicanaux. 

L’expérience auditive dure 51 minutes tout en étant plongés dans l’obscurité, assis ou allongés sur de confortables coussins. Votre ouïe est ainsi sollicitée à son plein potentiel pour apprécier pleinement et en profondeur la performance. 

L’euphorie sensorielle qu’offre cette écoute est à haut potentiel méditatif où chaque sonorité de la chanson présentée occupe son propre espace et vous berce au gré de multiples détours par l’infinie douceur de la voix de Patrick Watson – Better in the Shade – , par la chaleur vocale de Gayance – Lord Have Mercy – ou bien encore par la harpe magique de The Bionic Harpist. 

On pourra nettement démarquer la vedette canadienne de R&B contemporaine, KALLITECHNIS, avec son titre joyeux  WOUND UP, qui a remporté le Juno Award 2022. Son album sera en écoute du 19 au 23 juin dans la salle d’écoute: Mood Ring. 

PAN M 360 vous invite grandement à expérimenter cette session spécialement dédiée aux artistes de talent de Montréal !

LISTE DES CHANSONS: 

Jean-Michel Blais –  passepied  

The Bionic Harpist  In Stillness  

Dominique Fils-Aimé Cheers to New Beginnings  

Patrick Watson Better in the Shade 

Klô Pelgag Mélamine  

Daniel Bélanger J’entends tout ce qui joue 

Bibi Club  Le feu  

Karkwa Gravité 

Waahli Te revoir  

Malika Tirolien A Love That Will Last  

KALLITECHNIS WOUND UP  

Gayance Lord Have Mercy 

En Stéréo Clair Obscur  

Narcy Journey  

Cosmic Cosmic –  Jupiter 

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