classique occidental / période romantique

OSL | Rencontre(s) au sommet avec Antoine Bareil et Adam Johnson

par Alexandre Villemaire

La thématique de la rencontre rythmait le premier concert de la saison 2024-2025 de l’Orchestre symphonique de Laval qui s’est donné le 30 octobre.

Le rendez-vous annoncé en tête d’affiche était celui entre Antoine Bareil, violon solo de l’OSL et le magistral Concerto pour violon no 2 en mi mineur de Felix Mendelssohn. Mais, de manière plus large, ce qui s’est dessiné tout au long de la soirée était des rencontres : la rencontre entre la sœur et le frère Mendelssohn, la rencontre entre le chef invité Adam Johnson et l’orchestre, des rencontres au grès de promenades entre différents tableaux musicaux, mais surtout une rencontre entre l’orchestre et son public. Un public fidèle et au rendez-vous qui s’était déplacé en grand nombre pour remplir la quasi-totalité de la Salle André-Mathieu. Un peu plus de 500 personnes, nous a-t-on dit.

Programmer en première partie les deux enfants prodiges de la famille Mendelssohn a donné l’occasion à Adam Johnson – dont les interventions pour présenter chacune des œuvres de la soirée étaient pertinentes – de mettre de l’avant le talent certain de Fanny et de Félix, lié par le sang, mais séparé par les conventions de leur époque. Le concert a commencé avec l’Ouverture en do majeur de Fanny Hensel Mendelssohn. Œuvre rarement interprétée et seule pièce pour orchestre de la compositrice, elle présente une structure conventionnelle et une écriture claire et riche en vitalité divisées en trois parties : une introduction au caractère noble soutenu par une basse de vents au-dessus de laquelle les cordes tissent de délicats motifs ; une deuxième section plus animée où une interaction entre deux thèmes contrastants se dessine entre les bois et les cordes et une finale festive et claironnante. Dans chacun de ces passages, le chef Johnson amène les changements de dynamiques et de textures avec fluidité et précision. Les bois étaient particulièrement solides en complémentarité avec les lignes virtuoses des cordes de la partie rapide.

Le Concerto pour violon no 2 de Felix Mendelssohn, un des plus connus et importants du répertoire, nous plonge dans un tout autre caractère, entre drame et lyrisme. Antoine Bareil, premier violon de l’orchestre, en était à sa première interprétation de l’œuvre et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a relevé le défi avec brio. Dès l’énonciation du thème appassionato, du premier mouvement, Bareil donne le ton avec une entrée en matière énergique et incarnée. Dans la cadence, le soliste fait chanter son instrument et met en valeur l’étendue de celui-ci. Il effectue un véritable travail d’orfèvre, sculptant chaque son de manière méticuleuse avec une précision d’attaque et une grande agilité. Le deuxième mouvement, enchaîné attacca, offre un thème lyrique et langoureux dans lequel Johsnon met en valeur le timbre de l’orchestre tout en laissant l’espace nécessaire à Antoine Bareil pour déployer son jeu. La communication était visible et symbiotique entre les deux comparses, malgré certains moments où l’on avait l’impression que le tempo pressait un peu. Se concluant par un troisième mouvement aux traits virtuoses teintés d’un vernis presque humoristique, cette performance a été captivante et a maintenu le public en haleine jusqu’à la dernière note.

La deuxième partie de la soirée présentait les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski, œuvre composée à l’origine pour le piano, mais fréquemment interprétée par des grands ensembles avec l’orchestration de Maurice Ravel. Typique de la musique à programme, l’œuvre présente une succession de pièces inspirées de différentes peintures où des interludes musicaux (promenades) servent de liant entre les tableaux. Contrairement à des interprétations qui font jouer le thème de la « Promenade » de manière très liée, notamment lorsqu’il est repris par les cordes, Adam Johnson conserve le caractère de marche instauré par les cuivres dans cette section, ce qui accentue le caractère de déambulation entre les différents tableaux. Ceux-ci ont par ailleurs tous été exécutés avec un engagement et une précision dynamique qui faisait ressortir toute la richesse de l’orchestration. Mentionnons pour en nommer quelques, Gnomus, avec son caractère insolite, Il vecchio castello, où le duo entre le saxophone alto (Ludovik Hinse-Lesage) et le basson (Michel Bettez) était d’un grand lyrisme, Bydlo avec ses grondements de contrebasses et de violoncelles qui encadrent le grognement de l’euphonium (Sébastien Côté) et la Grande porte de Kiev qui a conclu l’œuvre dans une marche majestueuse et triomphale. 

En grande forme, l’Orchestre symphonique de Laval a fait forte impression pour cette ouverture de saison. L’énergie, la vigueur et la musicalité qui ont enveloppé la Salle André-Mathieu annoncent de belles choses pour la suite de celle-ci.

crédit photos: Gabriel Fournier

classique / post-romantique

OSM | Sublime Sibelius !

par Alexis Desrosiers-Michaud

C’est le retour cette semaine du chef invité bien-aimé Vasily Petrenko à l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM). Celui qui a jadis été l’un des favoris pour remplacer Kent Nagano a brillé comme à son habitude,  mercredi soir à la Maison symphonique. 

Le concert débute par la pièce Blue Cathedral de l’américaine Jennifer Higdon. Cette œuvre flottante et magnifique est un hommage à son frère décédé. Plusieurs solos de flûte et clarinette qui représentent elle et son frère. Symbolisant aussi un voyage céleste, l’œuvre s’anime pour signifier l’émerveillement et la joie, avant de se terminer sur des résonances de percussions et des harmoniques à peine audibles. À ce propos, nous voyions les autres musiciens agiter des petites boules de la taille d’un haki, ce qui en a chicoté plusieurs car nous étions beaucoup à regarder le programme par après, pour n’y trouver, hélas, aucune information à ce sujet. 

Ensuite démarre avec panache le fameux concerto Empereur de Beethoven avec Simon Trpčeski au piano. Après une admirable introduction orchestrale, le soliste entre en scène, à la dernière seconde, comme s’il sortait de la Lune. Après quelques difficultés à maintenir un tempo stable, créant quelques petits décalages avec l’orchestre, Trpčeski cesse d’accélérer dans ses extraits seuls pour enfin créer un tout avec l’orchestre. 

Il est très agile avec ses doigts, mais manque de poids, de son, pour un concerto de cette ampleur. Ce jeu lui sied très bien dans le mouvement lent, où il se fond à merveille dans l’orchestre. Ou c’est l’orchestre qui l’enrobe avec brio. Peu importe, quand on se pose la question, cela signifie que c’est très réussi. Pour le reste, on passera outre ses gesticulations de tête, jambe et de bras (il y a déjà un chef pour s’occuper de l’orchestre) pour se concentrer sur son jeu dynamique et excité. En guise de rappels, nous avons droit à un court extrait d’une danse de son pays d’origine, la Macédoine, puis du mouvement Octobre des Saisons de Tchaïkovski, « pour un monde meilleur », ce qui a donné une interprétation sensible et touchante. 
Puis vient la très pastorale Cinquième symphonie de Jean Sibelius. Tout comme dans ce qui a précédé, la direction de Petrenko est très nette. Ses intentions sont claires et rien n’est laissé au hasard; nuances, accents, entrées, phrasés, etc. Rien n’est forcé et est joué dans la finesse. J’ai déjà entendu un chef dire à des étudiants lors d’une classe de maître « qu’il faut aimer jouer doux », et c’est ce qui m’est venu en tête mercredi soir. Le choral des bois du mouvement second est sublime, accompagné de pizzicatos précis. Le dernier mouvement est frénétique mais pas trop, et se termine par une répétition du thème principal aux cuivres, qui résonnent comme des cloches. Tout au long de la symphonie, on pourrait se fermer les yeux et facilement s’imaginer aux côtés de Sibelius contemplant des paysages bucoliques et majestueux.

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classique moderne

Pinacle du chant choral aux Prix Azrieli de Musique

par Alain Brunet

Pour une dixième année consécutive, la Fondation Azrieli célébrait lundi à la Maison symphonique les quatre compositeurs lauréats des Prix Azrieli de Musique 2024, dont les œuvres pour chant choral et ensemble instrumental ont notamment évoqué l’âme et la métaphysique juives dans un contexte contemporain.

Animé par l’initiatrice de cette fondation, la chanteuse et généreuse mécène Sharon Azrieli, et l’ex-radio-canadien Mario Paquette, cette soirée a mis de l’avant les oeuvres primées, majoritairement jouées en première mondiale.Des musiciens de l’OSM et le Chœur de l’OSM sous la direction de son chef, l’éminent Andrew Megill, ont exécuté des œuvres chorales très spéciales. 

Light to My Path, fantaisie chorale pour chœur mixte, saxophone et percussions et piano, du compositeur israélien Josef Bardanashvili. Ainsi chacun des cinq mouvements de cette pièce associe différentes configurations de l’ensemble : chœur d’hommes a cappella, chœur de femmes a cappella, chœurs mixtes avec musiciens, chœur mixte a cappella. Les non Juifs ont tout intérêt à découvrir l’approche chorale inspirée des écrits sacrés de la religion juive, les inclinations vocales y sont uniques – on peut notamment s’y familiariser à l’écoute de l’album You Want It Darker de Leonard Cohen, qui avait mis à contribution des choristes très inspirés.

Ainsi, le compositeur maintient le lien du sacré dans Light To My Path, avec de formidables appels et réponses, canons, contrepoints fabuleux, sifflements ornementaux et autres effets probants. La technique vocale y est distincte, plus proche des voix baroques ou de la Renaissance. La différence avec les chants sacrés connus de la tradition juive repose ici sur les harmonisations modernes et l’accompagnement instrumental.

En second lieu, le compositeur Yair Klartag voyait The Parable of the Palace,son œuvre pour chœur et quatre contrebasses actualiser davantage la notion de spiritualité. Le parti-pris du compositeur pour la musique contemporaine, vu l’instrumentation choisie et l’harmonisation des voix, contraste avec l’inspiration première de cette œuvre primée par la Fondation Azrieli: la parabole du palais extraite du Guide des égarés du philosophe talmudiste Moshe ben Maïmon dit Maïmonide, avant vécu au XIIe siècle et s’exprimant dans cette langue judéo-arabe aujourd’hui disparue. Les passages de cet écrit métaphysique essaient de tracer cette fine ligne entre la raison et l’irrationalité, et auraient influencé le compositeur en quête de notions universelles dans le contexte actuel, à commencer par ce désir insatiable des humains « de se rapprocher du divin sans jamais le comprendre » Notions néanmoins mystiques, profondément traditionnelles et clairement identitaires.

La troisième œuvre au programme, Symetrias Prehispanicas, était celle du Mexicano-Américain Juan Trigos, qui s’inspire de la cosmologie aztèque, projections d’images à l’appui (gracieuseté du frangin Luciano Trigos), et d’écrits poètes aztèques du XVe siècle, connus ou anonymes. Les chants sont exprimés en espagnol et en nahuati. On y observe une cohabitation encore plus serrée entre tonalité, modalité et atonalité, les hachures et entrechoquements des voix et des instruments y est plus costaud. Cantate-Oratorio pour choeur mixte et ensemble, l’œuvre se déploie sur 11 tableaux regroupés en 4 partie distinctes, récit non linéaire illustrant cette pensée aztèque du monde avant que les conquistadors espagnols ne l’occultent par la force comme on le sait. Voilà certes la plus actuelle des œuvres au programme.

En dernier lieu, on récompensait Kanata pour voix SATB a cappella, œuvre composée par le Canadien Jordan Nobles, la plus courte et la plus singulière au programme des Prix Azrieli 2024. À la fois linéaire, horizontale et brillante d’un point de vue textural, assortie de très subtils décalages rythmiques des motifs vocaux, cette œuvre résulte d’une « méditation sonore sur les notions de lieu, de paysage et domicile ». Une traversée pancanadienne en train aurait inspiré le compositeur a créé ce joyau choral, à la fois succinct et brillant.

Hip Hop / Moyen-Orient / Levant / Maghreb / rap

Festival du Monde Arabe de Montréal | Narcy et Omar Offendum: Deux décennies d’amitié artistique

par Sandra Gasana

Une épée en forme de Palestine. Voici ce qui attire l’attention d’emblée, en plus du salon d’inspiration arabe qui décore la scène du National. Avec des coussins à motifs rouges, quelques livres, du café, on a vraiment l’impression de s’incruster dans une soirée entre amis, mettant l’art à l’honneur sous toutes ses formes.

C’est d’abord Omar Offendum qui ouvre le bal, pendant que Narcy est assis dans le salon avec ses convives, incluant deux membres du groupe iconique montréalais de Hip Hop, Nomadic Massive, Tali et Meryem Saci.

Éclairé par un spot lumineux, une canne à la main (sa signature), vêtu d’une tenue traditionnelle et de son chapeau Fez noir, Offendum manie la langue arabe et anglaise, jonglant entre ces deux univers, les mélangeant parfois. Narcy lui sert du café de temps en temps, échangeant des anecdotes, se taquinant sur les rivalités syriennes et iraquiennes. Excellent conteur, il alterne entre poésie, nous raconte des histoires, rappe, le tout avec une aisance incroyable. Riches d’une amitié datant de vingt ans, Narcy intervient sur certaines chansons d’Offendum, parfois en anglais, parfois en arabe, et vice-versa. « C’est rare d’avoir un ami artiste qui te challenge encore, même après 20 ans », dit-il en s’adressant à Narcy. En effet, on pouvait ressentir cette complicité sur scène.

Omar a fait participer la salle sur son morceau I love you, un hymne à l’amour, avec en images de fond de vieux films romantiques. Les transitions sont parfois brutes, juxtaposant des chants classiques arabes avec des beats modernes. La Palestine était à l’honneur durant les deux parties du spectacle mais également le Liban, qui défraie les manchettes ces dernières semaines. On en apprend également sur des figures importantes de l’histoire Moyen-Orientale tels que Nizar Qabbani, un poète syrien ou encore Mahmoud Darwish, un poète et auteur palestinien qui nous a quitté en 2008. Il termine avec son plus grand succès, God is Love, que mes voisins semblaient particulièrement apprécier mais mon coup de cœur restera le morceau Close My Eyes en hommage à son père. « Cette chanson, je la dédie à toutes les personnes qui ont perdu un être cher », nous partage-t-il alors que le vidéoclip défilait en arrière.

Après un court entracte, Narcy s’installe à la place d’Omar et prend le relai en entamant avec l’un de ses plus grands succès, P.H.A.T.W.A, sur fond d’images d’Al-Jazeera en arrière-plan, et des archives personnelles. Entièrement vêtu de cuir noir et d’une chemise blanche, il passe en revue d’autres morceaux phares de sa carrière de 20 ans, entre autres Hamdulillah, qui figure dans l’album The Narcicyst paru en 2009, une collaboration avec Shadia Mansour. Des collaboratrices, il en avait invité quelques-unes sur scène, celles qu’il appelle des « sœurs » telles que Meryem Saci, avec qui il a enregistré le morceau 7araga, la poète Palestienne Farah qui a déclamé un poème en hommage à sa terre natale ainsi que Tali qui a opté pour un texte poignant pour l’occasion.

En guise de clôture, il nous a offert Free, une chanson hommage aux enfants de l’album World War Free Now, en collaboration avec Ian Kamau ainsi que le morceau Time, écrit en hommage à son grand-père. Et quoi de mieux que de terminer avec le morceau le plus récent, Sword, dont les fonds amassés iront aux enfants palestiniens. En plus d’avoir le sens de l’amitié fort, la famille tient une place importante pour Narcy. Il a invité la sienne sur scène à la fin du concert pour saluer le public, l’invitant à venir faire un tour dans sa librairie/bibliothèque Maktaba, au Vieux-Port de Montréal.

baroque / classique

Violons du Roy | Richesse et splendeur vocale du divin Handel

par Mona Boulay

Pour leur deuxième des neuf grandes soirées prévues afin decommémorer  leur quarantième anniversaire, les Violons du Roy ont reçu la soprano Karina Gauvin ainsi que la contralto Marie-Nicole Lemieux. Ce mercredi 23 octobre au Palais Montcalm, on assistait à une soirée consacrée aux oratorios de Handel, avec un programme riche nous présentant des extraits de six d’entre eux : Joshua, Theodora, Solomon, entre autres.

Le concert s’ouvre tout en finesse avec l’élégante ouverture à la française de Judas Maccabaeus, qui annonce un premier duo pour nos chanteuses From this dread scene. On est tout de suite marqué par le contraste de personnalité scénique des deux chanteuses. Si la contralto se montre très théâtrale, on pourrait presque dire exubérante, ce qui donne un aspect très ludique à sa performance, la soprano se fait plus discrète et perd parfois notre attention à trop chercher du regard sa partition, malgré d’évidentes qualités vocales.

Le concert se poursuit avec la Sinfonia de la pièce Alexander Balus, qui donne à entendre plus précisément la section des vents (composée de deux hautbois et d’un basson). Celle-ci s’illustre dans un tricotage mélodique très bien exécuté, à l’image du travail général des Violons du Roy. En effet, tout au long du concert, malgré une formation de musique de chambre, le groupe nous donne à entendre une multitude de couleurs différentes, grâce à un travail pointilleux du chef Jonathan Cohen sur les nuances, les ralentis et les ornements propres à la musique baroque. Tous les codes sont respectés, avec un goût charmant de la subtilité : nous ne sommes pas face à du spectaculaire, ce qui pourrait déplaire à certains, mais bien face à de la minutie, à l’attention du détail. 

Quelques morceaux plus tard, on a la joie de découvrir le duo Welcome as the Dawn of Day extrait de l’oratorio Solomon, somptueusement interprété par les deux solistes, une déclaration démonstrative d’amour entre Solomon et son épouse. La force émotive exprimée par Marie-Nicole Lemieux nous transporte, et quel beau rafraîchissement que d’entendre ce duo amoureux chanté par deux femmes. On peut s’interroger, cependant, sur le choix de l’ordre du programme qui place cette déclaration amoureuse qui a lieu dans la deuxième partie de l’oratorio après un aria qui a lieu dans la troisième partie.
Derniers temps forts de ce concert, les extraits de Theodora, avec d’abord l’Ouverture par l’orchestre de chambre, très impactanteet nous offrant une gamme de forte jusqu’alors peu exploitée; puis avec le duo To thee, thou glorious son of worth, qui nous donne enfin à découvrir les plus beaux aspects de la voix de Karina Gauvin – de belles notes aiguës très pures, dénuées d’abord de vibrato, qui viennent ensuite s’enflammer pour notre plus grand bonheur.  Si les pièces solos des chanteuses sont très bien exécutées, c’est vraiment l’alchimie dans les duos qui donnent à ce concert sa richesse.

Quatuor Molinari | L’inspiration majeure de Guido Molinari, 20 ans après sa mort

par Alain Brunet

Pour commémorer les 20 ans de la disparition du peintre Guido Molinari à qui le Quatuor Molinari doit son nom et le soutien indéfectible de sa fondation, un programme ambitieux fut présenté à la Salle Bourgie, ce mardi 22 octobre. Ce qui tombait sous le sens, puisque la salle est soudée au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Ainsi, plusieurs œuvres du peintre ont été synchronisées avec l’exécution d’œuvres ayant été jouées par l’ensemble au fil du temps.

En premier lieu, une œuvre de la compositrice montréalaise Ana Sokolović , conçue au début de sa trajectoire. Cette commande du Quatuor était alors assortie d’une exigence : s’inspirer de l’univers visuel du fameux peintre montréalais. Déjà, on pouvait identifier la signature de la musicienne dans cette œuvre répartie en 8 mouvements imaginés sous formes de thèmes et variations : Mutation I – Tension- – Espace / asymétrique- Diagonale noire – Mutation II / triangle – Blanc dominant – Coda / continuum. Chaque mouvement implique des techniques d’écriture distinctes – usage de glissandos spectaculaires, pizzicatos éloquents, motifs froissés, spirales harmoniques, frottements et grincements de cordes, hachures rythmiques et plus encore. Enfin bref, une œuvre singulière et complète, laissant présager la grande carrière et la réputation internationale pleinement méritée d’Ana Sokolović dont le travail résistera au temps.

Deuxième œuvre au programme, Espaces fictifs de Maxime McKinley s’inspire aussi de d’œuvres de Guido Molinari et aussi d’échanges de haute volée avec Fernande Saint-Martin (1927-2019), éminente théoricienne de l’art qui fut sa conjointe. Dans un extrait de la Vidéothèque québécoise Quatuor Molinari, le compositeur explique avoir exploré « la « réversibilité, les juxtapositions et superpositions de motifs simples constamment reconfigurés, ainsi qu’à la notion d’intervalle rythmique en tant que distance ou écart plus ou moins grand qui sépare un élément et sa récurrence.

Cette pièce mise en outre sur le « dynamisme des contrastes très marqués ou, au contraire, des transformations extrêmement subtiles; des orientations horizontales, verticales ou diagonales; des continuums kaléidoscopiques jouant sur la mobilité des arrière-, moyen- et avant-plans; ainsi que des vibrations, des mutations et de l’énergie des couleurs. »

Ajoutons à cette éloquente explication l’exécution cohérente et appliquée du Quatuor Molinari dans l’exécution. On reçoit cette œuvre comme une spirale dynamique de courts tableaux et motifs culminant dans l’intensité, l’augmentation du volume des cordes et l’accélération du tempo avant de perdre de l’altitude et se poser en virevoltant.

L’exécution suivante fut celle du quatuor à cordes op.28 du compositeur autrichien Anton Webern, un des pionniers du dodécaphonisme, exécuté par erreur par un sniper américain au terme de la Seconde Guerre mondiale. Voilà qui nous rappelait les fondements de cette révolution dodé

Après la pause, le plat principal, soit le Quatuor à Cordes n°7 avec « soprano obligée » de R.Murray Schafer. On sait que le Molinari maîtrise parfaitement les quatuors de feu le grand compositeur canadien, le 7 se démarque des autres pour sa spatialisation et sa théâtralité. Des avions en papier géants de différentes couleurs sont disposés sur la scène, d’autres peintures ayant inspiré le concepteur de l’œuvre sont projetées sur écran géant pendant que déambulent les interprètes sur scène et dans les allées de la salle, tout en jouant leur parties. Jouées en solo, en duo, en trio ou en quatuor, assorties d’intervention schizoïdes et non moins flamboyantes de la soprano Odile Portugais, les composantes de cette œuvre innovante à l’époque de sa conception produisent l’effet escompté : ravissement, amusement, élévation.

avant-garde / avant-pop / noise-pop / post-punk / rock expérimental

Je n’arrête pas de penser au concert de Xiu Xiu à Montréal.

par Vanessa Barron

Xiu Xiu n’est pas comme les autres groupes que j’ai vus récemment. Accueillis dans l’intimité du Théâtre Fairmount, leur performance du vendredi soir était déroutante et captivante, s’apparentant davantage à de l’art performance qu’à un concert typique. N’ayant qu’une vague connaissance de leur musique à l’avance, je l’ai trouvée assez abrasive pour quitter le concert tôt, mais assez perplexe et captivante pour rester à l’avant-plan de mon esprit pendant des jours après.

Un violon et un piano sinistres résonnent dans les haut-parleurs de la salle alors qu’une foule composée principalement de gars du Mile End et de filles gothiques cool s’assemble dans un murmure étouffé. Une projection de la pochette du dernier album du groupe, 13 » Frank Beltrame Italian Stiletto with Bison Horn Grips, a illuminé la scène avec des teintes d’essence, de flaque d’eau et d’arc-en-ciel, tandis qu’un mélange de plus en plus bizarre de cymbales et d’instruments de percussion s’est matérialisé, suivi par les membres posés du groupe basé à Los Angeles eux-mêmes.


Avec « The Silver Platter », Xiu Xiu m’a surpris par la férocité et la précision de leur son gothique, industriel, art rock et bruyant . Des crashs de cymbales frénétiques et parfaitement synchronisés ponctuent les paroles de Jamie Stewart, transperçant ses lignes comme un coup de poignard dans les tripes. Sur scène comme sur disque, la voix caractéristique de Sterwart est macabre, avec une articulation digne de Dracula qui va d’un murmure mourant à un hurlement à pleine gorge. L’énergie qu’il a déployée au cours des trois premières chansons était vraiment extraordinaire : il faisait littéralement le poirier et des pantomimes tout en chantant, en jouant de la guitare et en tapant sur des gongs.

Angela Seo a elle aussi connu des moments exceptionnels, notamment en interprétant le sinistre monologue de « Wig Master », qui a commencé par un marmonnement et s’est transformé en une répétition frénétique de cris. Une autre chanson a été jouée en duo avec Angela qui grogne et Jamie qui gémit avec un sifflet-kazoo, comme un bébé qui vient de naître. Couplé à des cymbales de toutes tailles et à d’autres instruments de percussion curieux, le mur de son était écrasant.


Pourtant, je n’insisterai jamais assez sur le silence de mort qui régnait dans le public entre les chansons, avec des minutes de silence complet pendant que le groupe se préparait pour le morceau suivant. Je crois que Stewart a même plaisanté à un moment donné, « Vous êtes trop bruyants, je peux vous entendre parler » à un membre du public au milieu du concert. Je n’ai aucune idée si c’est normal pour un spectacle de Xiu Xiu ou si la foule de Montréal était particulièrement révérencieuse ce soir-là.

Je suis repartie avec encore plus de questions et de curiosité sur le groupe que lorsque j’y suis entrée, et je n’ai pas cessé d’y penser depuis – leurs 16 albums studio et leurs interviews des 20 dernières années se sont avérés être un trou de lapin amusant dans lequel plonger. Et leurs albums sonnent complètement différemment de leurs concerts. Je pense que c’est une preuve suffisante pour dire que j’ai trouvé cette performance pour le moins marquante.

Photos by Amir Bakarov

Marathon Beethoven de l’OM, Jour 3 | Le Finale sauve le concert au fil d’arrivée

par Alexis Desrosiers-Michaud

Pour le dernier volet du Marathon Beethoven, il ne restait que les deux extrémités du corpus symphonique à être présentées, avec en prélude la pièce Amor Fati de Marie-Pierre Brasset.

Utilisant les premières mesures de la Première de Beethoven, Brasset en change la fin pour transiter vers son propre langage musical. Sa pièce est une lente progression vers un élément, qui n’aboutit pas et nous laisse sur notre faim. Dommage, car la fin est plutôt nette, comme s’il avait fallu cinq minutes supplémentaires pour compléter le propos.

La Première est très bien exécutée, avec légèreté et simplicité. Dans tous les mouvements, chaque détail est souligné, mais c’est le deuxième qui a été le meilleur. Les différentes entrées aux cordes sont toutes homogènes dans le style et l’articulation, et on sent le mouvement qui traverse la phrase. Tout reste élégant, même dans les forte. On notera aussi que dans le Trio du scherzo, les interventions des vents ne sont pas identiques la première et la deuxième fois que certaines phrases sont jouées.

Le premier mouvement de la Neuvième est joué passablement bien. Les nuances sont au rendez-vous et les musiciens jouent avec intensité. C’est bon, mais pas assez, surtout quand on s’attaque à une œuvre archiconnue et monumentale comme celle-ci. Les enchaînements entre les sections manquent de fluidité et il n’y a pas assez de profondeur dans les graves. Tout comme dans la Première, le second mouvement est le plus réussi. La timbale, tranchante, se démarque du reste du groupe dans ses interventions solos. Très exigeant pour les bois en raison des multiples notes accentuées jouées dans un tempo rapide, on discerne la fatigue chez certains, comme en témoignent les quelques « craques » que l’on distingue parmi l’ensemble orchestral.

Le mouvement lent suivant, quant à lui, malheureusement, tombe rapidement à plat. Le résultat fait que l’on se laisse facilement distraire, pour les mauvaises raisons. Le mouvement musical est très statique et n’avance pas; les longues notes n’ont pas (assez) de vie et il n’y a pas (assez) de relief dans l’ensemble. Bien que marqué cantabile, on n’a pas l’impression que les musiciens chantent la musique. Puis, arrive le fameux dernier mouvement. Quelle Finale ce fut ! Dès l’émission des premières notes du thème de l’Ode à la joie chez les cordes graves, on sait que ce qui s’en vient sera spectaculaire. Partie de presque rien, cette construction architecturale ne nous mène vers un tutti glorieux et libérateur avant l’entrée du chœur. Parlant du chœur, celui-ci est très appliqué vocalement, malgré quelques consonnes inaudibles. Les derniers milles de ce marathon font passer un moment absolument magique, car tout y est : solistes incroyables, nuances, accents, phrasé, puissance (quel long Gott [Dieu] avant la fanfare !), mais surtout dévouement et émotion. L’envie de se lever d’un bond à la toute fin est irrésistible, mais on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi nous n’avons pas eu droit à ça dans tout ce qui a précédé.

crédit photo: François Goupil

Marathon Beethoven de l’OM, Jour 3 | Buffet symphonique au brunch dominical

par Alexis Desrosiers-Michaud

Le troisième programme des quatre du Marathon Beethoven de l’OM avait lieu à 11h dimanche matin avec la présentation des Huitièmes, Quatrième et Cinquième symphonies. Puisque Beethoven est un réputé vendeur, il fut  étonnant de constater que le parterre de la Maison symphonique était épars et les loges carrément vides, malgré la présence de la Cinquième au programme. 

Le premier mouvement de la Huitième est inégal dès le début. Les articulations ne sont pas homogènes selon les différentes sections de l’orchestre. Chez les cordes, les staccatos sont très courts, mais chez les vents, c’est plus allongé, notamment la résonance de la timbale. Les phrasés tombent à plat rapidement et les forte plafonnent vite. Le second mouvement est nettement mieux. 

Très humoristique, les notes incessamment répétées mènent le reste dans la légèreté. Ponctué d’effets de sforzandos, l’effet de surprise est réussi. Le troisième mouvement, Tempo di menuetto, n’a que le tempo du menuet car rien ne laisse place à la danse. Les troisièmes temps ne vont pas assez vers les premiers suivants, et ceux-ci sont trop appuyés. Le reste est assez similaire, c’est-à-dire sans faute, mais sans éclat. 

Dans la Quatrième, surprise ! C’est tout le contraire auquel nous avons droit. 

L’équilibre sonore entre les sections est bien ajusté, surtout lors de l’introduction lente du premier mouvement. Celle-ci, pleine de mystère, planante, nous amène pas à pas vers l’Allegro, festif et énergique. Mention honorable aux vents et timbales pour la précision. Le second mouvement est d’un lyrisme impeccable et apaisant avec des phrases qui respirent et se posent. Le scherzo qui suit surprend avec des attaques espiègles et les musiciens jouent bien le jeu des syncopes qui viennent ponctuer les phrases. Le mouvement final est très léger, Yannick dansant sur le podium.

Au retour de la pause, ce fut au tour de la Cinquième d’être entendue. Avant d’entrer dans le vif du sujet, une explication s’impose. Il est indiqué dans le programme que Beethoven a été le premier compositeur à inscrire des mesures métronomiques dans ses partitions, souhaitant ainsi préciser les indications de vitesses plutôt vagues, comme Adagio ou Allegro que l’on utilise toujours. 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une explication s’impose. Il est indiqué dans le programme que Beethoven a été le premier compositeur à inscrire des mesures métronomiques dans ses partitions, souhaitant ainsi préciser les indications de vitesses plutôt vagues, comme Adagio ou Allegro que l’on utilise toujours.

Départ surprenant, le tempo est très rapide pour le 1er mouvement.  Il y a des pours et des contres à le précipiter ainsi. En prenant la vitesse métronomique indiquée, Yannick et l’orchestre expriment ce sentiment de panique du compositeur faisant face à sa surdité et à sa propre fatalité. 

Mais il ne fait pas les points d’orgue qui ponctuent ce mouvement et passe tout droit là où la tension peut, ou doit, s’accentuer. Ainsi, la construction de certaines phrases est précipitée, tout comme la cadence du hautbois, qui est amenée de façon brutale. On finit par s’habituer à cette vitesse et à cette manière de voir cette célèbre page, qui donne toutefois un élan, quand même que l’on en ressort essoufflé. 

Le deuxième mouvement est aussi précipité, peu chantant. Le tempo passe toujours dans les deux premières variations, mais quand les cordes graves arrivent dans les triples croches, tout devient flou, autant que l’indication « dolce » devient difficile à respecter. C’est une chose de respecter les mesures métronomiques, mais peut-être pas au détriment de la musique, qui doit respirer. 

Le troisième mouvement est le plus intéressant, joué avec vigueur et mystère. On peut discuter l’appel des cors en crescendo plutôt que subito forte, comme écrit, car il s’agit du thème principal. Tout est excellent, avec des cordes mordantes, sauf quand on arrive à la coda, qui se joue sur la pointe des pieds. Il y a une alternance entre les pizzicatos des cordes et les bois sur le motif rythmique principal. Ceux-ci jouent les notes longues, ce qui contraste énormément. Nulle part ailleurs on joue ce motif long, alors pourquoi là? 

Par ailleurs, la transition qui amène le mouvement final est mené par un instrument en particulier que l’on n’entend pas assez: la timbale. Pendant que les cordes tiennent une note longue de 12 mesures pour ensuite construire lentement la ligne mélodique, celui-ci est seul dans son coin à installer le rythme et doit tirer l’orchestre et le crescendo vers l’apothéose du mouvement final, qui laissera une place prépondérante au piccolo, dont la Cinquième marque le début de l’instrument dans l’orchestre. 

Ce concert est le plus long sur papier des quatre, avec 96 minutes de musique. En ligne, il est annoncé à 1h56, entracte compris, mais il se termine 2h15 après son début. Est-ce que l’OM et leur chef frapperont le fameux mur du 30e kilomètre dont parlent tous les marathoniens ? Le danger est là, car le prochain concert n’est que dans 1h45.D’entrée de jeu, la création de la pièce Ré_Silience de Cristina García Islas fut fort intéressante sur le plan du discours, mais légèrement discutable sur le contexte. L’œuvre est brillamment structurée, mais on aurait plutôt cru à un hommage à Chostakovitch, tant les cuivres étaient forts et la percussion abondante. Sans oublier les longues phrases tenues aux violons dans le suraigu, doublé aux flûtes, sur fond de pédales aux basses. D’ailleurs, celles-ci placées sur la gauche, se perdaient souvent dans le son collectif. Pour rendre hommage à Beethoven, en plus de citer le deuxième mouvement de la Huitième, elle y ajoute dans la section des percussions, deux métronomes en décalage. Chapeau aux musiciens pour avoir continué à garder le tempo malgré ces clics !

électroacoustique / électronique / expérimental / contemporain

Akousma | Hamelin, Présences imaginées, Uppender

par Laurent Bellemare

Crépuscule science-fictif, arthropodes biomécaniques, paysage urbain, film d’horreur, souvenirs canins, fascination naturaliste… toutes ces associations étaient susceptibles d’être faites lors de cette soirée de clôture d’Akousma, vendredi soir à l’Usine C.

Le fil conducteur de la soirée de vendredi semblait être une pensée compositionnelle empruntant beaucoup à la musique à l’image… un cinéma pour l’oreille, comme dirait le compositeur et professeur Michel Tétreault. 

Ce qu’on gagne en immersion, on le perd toutefois en sens du développement musical. Dans un monde assailli d’écrans, il ne faut sûrement pas s’en étonner. À moins que ce soit nous, le public, qui soit aujourd’hui incapable de dissocier notre écoute de ces images…

Quoi qu’il en soit, Akousma réussit chaque année à offrir un bel échantillon de l’état des lieux en musique numérique. On constate que même si les musiques électroacoustiques appartiennent toujours au monde académique, elles font aujourd’hui foisonner des esthétiques de plus en plus diverses, et c’est tant mieux. Voici donc le dernier droit d’Akousma, le dernier des 6 blocs au programme.

Julien Racine

Hamelin

Julien Racine a bâti sa pièce Hamelin avec des textures très denses, mais tout de même harmoniques. L’élément le plus frappant de l’œuvre, c’était les sonorités renvoyant à aux dysfonctionnements technologiques. Notamment, de nombreuses voix filtrées, granulées ou passées au pitchshifter semblaient tout droit sorties d’un vieil appareil de communication dont on tenterait d’écouter une transmission perdue.

Après cette section fort réussie, la pièce a évolué vers quelque chose de plus dissonant. D’abord, une texture aux hauteurs en ascension constante semblait nous tourner au-dessus de la tête. Puis, ce tableau a pris des tournures cauchemardesques en faisant résonner de lointains cris, rires et plaintes. Sans note de programme, il n’était pas aisé de mettre de l’ordre dans cette chaîne d’événements. Surtout en ce qui concerne les aboiements entendus vers les trois quarts de l’œuvre !

Olivier Alary

Présences imaginées

Dans Présences imaginées d’Olivier Alary, on avait aussi un peu cette impression de conception sonore cauchemardesque. On y entendait des voix, des cris, dans l’épaisseur de la masse sonore. Mais outre ces éléments reconnaissables, il y avait une abstraction marquante durant la presque totalité de la pièce. Une texture se métamorphosait en une autre et on passait aisément d’extrême densité à granules éparses.

Il n’y a qu’à la fin que des chants d’oiseaux sont soudainement venus transformer cette scène absconse en une affaire beaucoup plus mondaine. Ça et les sons de vagues enfouis sous la texture durant les premières minutes de l’œuvre. L’immersion était encore une fois très réussie, mais la cohérence compositionnelle l’était un peu moins à mon sens.

Felisha Ledesma

Uppender

Après un problème technique rapidement résolu, l’Américano-Suédoise Felisha Ledesma a diffusé sa pièce ‘Uppender’, une trame très ambiante et beaucoup plus feutrée que les autres. Le travail d’égalisation rendait les couches sonores douces et chaleureuses, des traits par ailleurs amplifiés par la réverbération utilisée abondamment. L’œuvre est aussi graduellement devenue plus harmonique, accentuant son aspect envoûtant.

S’il y a bien eu quelques moments où des sons saccadés étouffés ont fait interruption, la pièce conservait presque toujours sa légèreté, comme si tout y était en apesanteur. Là aussi, le développement formel décevait, chose qu’un petit sommet d’intensité vers la fin n’a pas pu rescaper.

crédit photo : Caroline Campeau

électroacoustique / électronique / expérimental / contemporain

Akousma | Solace tout en drone, sentier complexe, jardins familiers

par Laurent Bellemare

Une pièce sombre et silencieuse, avec de subtils jeux de lumières tamisées intervenant de temps à autre pour appuyer la musique. Sur la scène: personne (ou enfin presque). Les artistes sont derrière la console et diffusent une œuvre déjà entièrement travaillée via une quarantaine de hauts parleurs, immergeant le public dans le son. Gare à celui qui échapperait sa bouteille d’eau ou oublierait d’éteindre son cellulaire.
Cette situation de concert peu conventionnelle est loin d’être neuve pour les amateurs de musiques électroacoustiques et numériques. 

Akousma en est à sa vingtième édition et le festival a une fois de plus mis son orchestre d’enceintes au service des artistes locaux et internationaux. Un vendredi 18 octobre 2024, on avait droit à trois artistes européens et trois artistes québécois. Tous proposaient des esthétiques fort variées, mais presque toujours évocatrices d’une expérience cinématographique. Le sens de la forme musicale, lui, était moins évident à déceler.

Marie Anne

Solace

Seule artiste de la soirée à réellement “monter sur scène”, Marie Anne a saisi son contrôleur et a développé une musique plutôt drone et au lent développement sur Solace. La pièce s’est d’abord construite à partir de percées de sons tenus, lesquels créaient des intervalles tout à fait consonants. Dans une première montée en vague, on aurait cru entendre un pentatonisme dans le jeu des hauteurs, alors qu’un second plan a plutôt fait ressortir une harmonie mineure.

Pour la majeure partie de l’œuvre, on aurait juré n’entendre que des sons de synthèse. Il y avait même, volontairement ou non, de vagues échos aux synthétiseurs de Vangelis dans la trame sonore de Blade Runner. Cette impression s’est par contre transformée peu à peu, alors qu’un crépitement inharmonique évoquant le son de chutes d’eau s’est inséré. Ou était-ce plutôt du bruit blanc? Quoiqu’il en fût, l’aspect référentiel du matériau sonore s’est confirmé vers la fin alors lorsque des chants de grillons sont venus prendre le relais et clôturer le tout.

Bien que massive, la musique entendue peinait à être pleinement immersive. On sentait notamment que les possibilités de l’acousmonium étaient sous-exploitées. Avec une spatialisation plus riche, l’auditoire pourrait sans doute entrer davantage dans le son et mieux en apprécier sa densification progressive.

Atte Elias Kantonen

a path with a name

Avec le finlandais Atte Elias Kantonen, on est passé à un son plus près de l’électroacoustique classique, avec une profusion de micromontage et de sons se déplaçant dans l’espace. D’emblée, son œuvre a path with a name (a reimagined reprise) installait une texture assez particulière, à la fois liquide et industrielle. L’univers sonore y était familier, mais parallèle, comme une abstraction algorithmique de paysages sonores réels. 

Pendant un long moment, on entendait des mouvements allant de droite à gauche et vice versa, un peu à la manière d’une page qui se déchire. Mais le timbre de cette déchirure avait quelque chose de visqueux et métallique. Des scolopendres biomécaniques parcourant des tuyaux d’égouts ? On connaît la valeur subjective de telles associations. Pourtant, il y avait bien quelque chose qui relevait d’une conception sonore de science-fiction dans cette affaire. De toutes les œuvres présentées, c’est elle qui présentait les articulations les plus complexes.Pendant un long moment, on entendait des mouvements allant de droite à gauche et vice versa, un peu à la manière d’une page se faisant déchirer. Mais le timbre de cette déchirure avait quelque chose de visqueux et métallique. Des scolopendres biomécaniques parcourant des tuyaux d’égouts? On connaît la valeur subjective de telles associations. Pourtant, il y avait bien quelque chose qui relevait d’une conception sonore de science-fiction dans cette affaire. De toutes les œuvres présentées, c’est elle qui présentait les articulations les plus complexes.

Ludwig Berger

Garden of Ediacara

Sur Garden of Ediacara, l’Allemand Ludwig Berger dévoilait des tableaux sucrés composés de sons de synthèses et de voix traitées. Le tout était, à tout moment, très harmonieux et de facto tape-à-l’oreille. Les voix, intensément filtrées, donnaient une allure urbaine et déshumanisée à la musique, qui n’empêchait pas cette dernière de ne cesser de captiver l’attention.  

Les voix désincarnées, les rythmes pulsés et les sonorités accessibles faisaient d’ailleurs parfois penser au genre deconstructed club, cette réappropriation expérimentale de l’esthétique dansante. Par contre, il n’y avait pas énormément d’articulations prenantes, ni même de développements formels. Plutôt, on baignait dans des harmonies familières orchestrées avec minimalisme. Bien que l’œuvre ait laissé à désirer quant à sa progression dans le temps, il faut reconnaître que son esthétique était fort réussie et agréable à écouter. On peut s’amuser à imaginer les réactions qu’une telle œuvre aurait suscitées si elle avait été présentée au même festival lors de ses débuts.

Crédits photos: Caroline Campeau

électroacoustique / électronique / expérimental / contemporain

Akousma | Cime, rumeurs et ghosts à l’Usine C

par Salima Bouaraour

Cime dans la nature et l’extrasensoriel, rumeurs dans la douceur lancinante, ghosts dans la réminiscence thérapeutique. Trois types d’immersion étaient ainsi offerte à l’Usine C, en seconde partie de programme.

Florence-Delphine Roux (ca)

Programme: Cime (2024) 11’00

Gazouillements. Effluves de forêt. Fluidité d’un ruisseau. Ondes radiophoniques lointaines. Interférences. Fréquences oscillantes. Conversations fantomatiques. Nappes lointaines. Champs électromagnétiques. Ambient. 

Cime se révèle tout en douceur dans la lenteur de la nature. L’imperceptible de l’univers montagneux et mystérieux du Mont-Saint-Hilaire se laisse dévoiler ici dans cette œuvre de 11 minutes. 

Les sons enregistrés, en partie sur le terrain ou issus d’archives phonographiques, sont finement tapissés sur des ondes radiophoniques où l’invisible pour notre rétine devient audible pour nos oreilles. 

Florence-Delphine Roux, artiste numérique et sonore originaire de la ville de Québec et basée à Tiohtà:ke/Montréal, titulaire d’une maîtrise de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Villa Arson à Nice, a capté le paysage sonore ambiophonique de la Réserve Naturelle Gault tout en insérant dans le médium une synthèse analogique et granulaire.

C’est ainsi que le réel, l’irréel, l’extrasensoriel et le paranormal prennent tout leur sens dans cette performance immersive texturée. 

Shane Turner (ca)

Programme: rumors, approximated (2024) 10’00

Les productions de Shane Turner, diplômée en électroacoustique à l’Université de Concordia, ont été diffusées par le netlabel Panospria (Notype), par la CEC et dans divers festivals, dont Mutek. 

Temps, hauteur, timbre et intensité ont été finement structurés pour modeler une architecture occupant ainsi l’espace horizontalement et verticalement. Les ondes sinusoïdales, défragmentées et alimentées par des phénomènes algorithmiques,  ont chevauché le travail texturé de l’enveloppe et du grain de voix angéliques. Les cordes vocales sont un instrument à part entière, le tout  premier des temps les plus anciens. La production musicale ne cesse d’évoluer avec les nouvelles technologies et la recherche scientifique. rumors, approximated avait pour finalité de créer un syncrétisme frontal, mais somme toute poétique, entre ces deux sources. 

La pièce était douce et lancinante avec une entrée au seuil d’une porte qui s’entrouvre sur une minute puis, les vocales de Simone Pitot/Delorca se découvraient telles des chimères mythologiques. 

Le tout laissait sous-entendre une espèce de cartographie multisensorielle où la morphologie du corpus se construisait dans une harmonieuse discordance par le biais d’une installation électronique en direct. 

Loin d’être du domaine de l’approximatif, cette pièce était scrupuleusement codifiée. 

Manja Ristić (hr)

Programme: ghosts (2024) 20’

Manja Ristić était sur scène pour offrir une performance totalement incroyable! Un synthétiseur modulaire EMS Synthi 100, un violon, une roue de fauteuil roulant, deux vases à moitié remplis, des matériaux minéraux tels des pierres, une radio portative, un sifflet et des cachets effervescents: voilà le matériel sur scène. 

Chaque objet va être manipulé, enregistré pour que chaque sonorité puisse être transformée en un scénario d’ondulation, de fréquence et d’enveloppement de l’espace. 

À travers une extension quasi intemporelle, un comprimé est plongé dans un des vases muni d’un micro dans un processus de dégagement de gaz afin d’actionner la dissolution. Le bouillonnement, en toute quiétude, se mêle aux notes de synthé très douces qui ne cesseront presque jamais de tourner en écho.

Sur fond de vocalise d’oiseaux, des cailloux ou des galets peut-être, sont malaxés dans la main de l’artiste hongroise comme pour imager un souvenir lointain de son histoire…

L’antenne d’une petite radio passe et repasse sous le micro pour jouer avec les fréquences telles les antres d’un fantôme. Le travail sur scène était minutieux, lent, calculé. 

Au dernier tiers de la scène, des notes de piano aiguës et malaisantes ont fait leur entrée pour s’associer au bruit de l’archer déchirant les cordes d’un violon se confondant au son d’une porte en bois grinçant. 

Née à Belgrade en 1979, violoniste, artiste sonore, poète, commissaire d’exposition et chercheuse,  diplômée de l’Académie de musique de Belgrade (2001), du Royal College of Music de Londres, Manja se concentre sur les approches interdisciplinaires de l’enregistrement sonore et de terrain ainsi que sur les arts radiophoniques expérimentaux pour créer des oeuvres riches de sens. 

Ici, la portée historique se voulait la rémanence de souvenirs inhérents à la dévastation environnementale et à la guerre dans les régions de l’ex-rideau de fer, ainsi que des anciens camps de travail de Mauthausen-Gusen.

ghosts, sortir de l’enfer du passé pour le sublimer. Une œuvre thérapeutique. 

crédits photos: Caroline Campeau

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