Montréalaise originaire de Gravelbourg, Nicole Lizée est une authentique visionnaire de cette démarche consistant à utiliser le matériau cinématographique ou vidéographique dans la composition d’œuvres musicales. Samedi soir au Cœur des sciences de l’UQAM (Agora Hydro-Québec), c’était le programme lui étant consacré: Montréal/Nouvelles Musiques y présentait 3 de ses œuvres dans un programme de 5.
Les matériaux audiovisuels qu’emploie Nicole Lizée dans ses œuvres comprennent divers éléments tirés du quotidien de différentes époques de son existence, jouets, archives audiovisuelles et autres artefacts du quotidien. La compositrice filme aussi ses propres scènes incluant des acteurs-musiciens, comme ce professeur qui nous explique à tort ce qu’est un rythme acceptable et un autre injouable.
Elle fait aussi dans l’humour absurde et le fantastique lorsqu’elle fait apparaître de fausses partitions dans les mains d’une musicienne qui raconte ses déboires avec une entité possiblement malveillante. Or cette trame narrative n’a d’autre objet que d’être l’un des canaux d’expression d’un pièce musicale, en l’occurrence la réorchestration de 8-Bit Noir, composée en 2019. Dans le cas qui nous occupe, la flûtiste Marie-Hélène Breault est la seule instrumentiste sur scène, autour de laquelle la compositrice a érigé un environnement audiovisuel constitué de sketches vidéo. La facture DIY de l’œuvre est aussi une caractérisque de cette esthétique, on l’observera dans ses autres pièces au programme.
De Margareta Jeric, Les échos de l’Adriatique a été créée samedi par l’Ensemble de la SMCQ sous la direciton de Cristian Gort. Pour flûte, clarinette, percussions, guitare électrique, piano, violoncelle, contrebasse, support et dispositif vidéo, cette pièce est accompagnée d’images de la mer Adriatique, particulièrement une usine de sardines, vétuste et abandonnée sur la côte croate, dont on ignore la destinée. Les sons imaginés par Margareta Jeric illustrent bien les failles du décor et la nature qui reprend ses droit. L’œuvre musicale est remplie de petits détails dans les percussions, cloches, coups d’archets dans les aigus, on en passe.
Black Midi, composée en 2017 par Nicole Lizée, est une évocation de cette sous-tendance aussi nommée Black MIDI, qui consiste en des compositions utilisant des fichiers MIDI afin de créer une pièce ou un remix contenant un nombre hallucinant de notes, arbitrairement posées sur la partition ou dans le programme de composition, à tel point que la feuille de musique finit par se noircir de notes. L’exécution suppose des résultats hallucinants, impossible pour les doigts humains d’interpréter de telles partitions. Autour de cette idée de musique impossible à jouer, la compositrice a imaginé une trame narrative, les personnages de la vidéo précédente sont de retour, ils racontent leurs aventures non sans humour, pantois devant le phénomène.
Pour piano et traitements audiovisuels exécutés en phase, cette œuvre inclut changements fréquents de tempos, accelerandos, modulation métrique, usage de jouets musicaux. L’objet est d’extirper ce procédé informatique de composition et de le lier à la performance vivante, le piano joué par Pamela Reimer coiffée d’une perruque dans ce contexte d’étrangeté et de fantaisie. Très intéressant, divertissant et humoristique mais… on peut avoir envie de décrocher avant la 22e et dernière minute de cette œuvre qui fait néanmoins son chemin dans le corpus d’œuvres déjà considérable de Nicole Lizée.
Closures de Philippe Macnab-Séguin est une œuvre où la masse sonore s’étend, se répand, se contracte, s’enroule ou explose à la manière de nos trajectoires de vie. La pièce s’ouvre sur un vrombissement suivi de lents glissandos menant à des éclats de fréquences aiguës. Ces successions d’ondes sont générées par un Ensemble de la SMCQ cette fois composé de flûte, clarinette, percussions (vibraphone proéminent), guitare électrique , piano, violoncelle, contrebasse, support et dispositif vidéo. Le mouvement des marées devient progressivement un rythme continu et se fluidifie de nouveau avec des spirales mélodiques ascendantes de clarinette et de flûte, pour ensuite se muscler de nouveau et s’éteindre lentement jusqu’à un dernier coup franc de percu, coiffé du même vrombissement servi en introduction. Franchement, ce Philippe Macnab-Séguin doit être pris au sérieux.
On conclura avec Dancist, troisième œuvre de Nicole Lizée au programme, composée en 2019. Dans le même esprit que ses autres œuvres au programme. Dancist , pour clarinette, percussions, guitare électrique, piano, violoncelle, contrebasse et dispositif audio/vidéo, se consacre à l’évocation surréelle de la musique de danse, reprenant une trame narrative similaire, teintée d’une sorte de réalisme magique, aussi d’humour décapant et de d’auto-réflexivité sur son propre processus créatif dont les résultats se situent quelque part entre l’installation audiovisuelle et la composition. En quittant l’amphithéâtre, on se rappelle que Nicole Lizée a souvent défendu ses œuvres avec son propre ensemble qu’on voit moins vu l’essor de sa carrière en tant que compositrice. Le défi à venir pour elle, se dit-on au sortir de la salle de concert, consiste de créer des œuvres qui auront le même impact que celui produit par son propre orchestre.