On ne va pas dans un buffet comme la Fête de la musique à Tremblant pour y choisir des plats à la carte, et c’est précisément la diversité du menu qui fait tout l’intérêt de l’affaire. Comme dans tout bon buffet, cependant, et
bien que ce soit gratuit, on ne peut pas goûter à tout! Sélection, donc, des concerts présentés durant le premier week-end de septembre à Tremblant.
Il faut d’abord se rendre, me direz-vous peut-être, et on s’aperçoit rapidement, avec la densité du trafic, de la popularité de la destination. Et en effet, une fois sur place, on dirait bien que tout le monde s’en allait là, parce que c’est la fête au village, comme on dit! Si dans le menu varié de la Fête, le plat principal est servi à 20h00, ça ne signifie pas que tout ce qui précède n’est qu’amuse-gueule et mise en bouche.
Arrivé en fin d’après-midi samedi, on s’installe à la terrasse de Fat Mardi’s, juste à côté de la scène, côté cour. Parce que c’est bien les métaphores culinaires, mais il faut bien manger quelque chose. C’est donc en bouffant que nous entendrons les premières pièces de Degg J Force 3, dont l’afro-reggae sauce hip-hop fait taper du pied et lever les bras. Les frères Moussa M’Baye et Ablaya M’Baye ont tôt fait de mettre le public dans leur poche à coup de « Vive Mont-Tremblant! » ou « Vous êtes magnifiques! », et même dans le tube du groupe #GuineaLove, c’est vite « Mont-Tremblant » qui remplace « Ma Guinée ». Le groupe a 25 ans cette année et son afro-rap est sans doute old school, mais devant un public en grande partie familial, il fait merveille.
Après ce concert, on devait avoir droit à celui d’Yves Lambert accompagné du groupe Bon Débarras, mais un malheureux orage nous a privés de tourtière… Faudra se reprendre.
Premier concert du dimanche avec OktoEcho, la troupe de Katia Makdissi-Warren qui est un véritable microcosme de la diversité du festival. Dans la petite heure du concert, on passe du pow-wow avec danseuse mohawk au chant soufi avec derviche tourneur (ou tourneuse, en l’occurrence), puis au chant de gorge inuit, le tout accompagné de contrebasse et piano, mais aussi de qanun, nay, oud et d’une section de percussions pour le moins entraînante. Les différentes saveurs locales se mêlent en un vaste mashup culturel qui marche à fond et laisse bien voir ses racines communes. Katia Makdissi-Warren, qui était l’année dernière la compositrice mise de l’avant par la Société de musique contemporaine du Québec pour sa série « Hommage », poursuit une route parfaitement personnelle qui la mène à la rencontre de l’universel, et elle trouve sur le chemin un public tout à fait sympathique à sa cause.
Catherine Major donne deux récitals chaque jour au piano public installé par Québecor, grand commanditaire de l’événement. Entre les réductions d’œuvres que l’on connaît dans des arrangements plus complexes sur disques, elle balance aussi quelques nouveautés, comme l’ouverture de son opéra Albertine en cinq temps (livret du Collectif de la Lune Rouge, d’après Michel Tremblay), qu’on pourra voir au Rideau Vert à compter du 7 septembre, ou Carmen porcelaine, une des pièces qui devraient se retrouver sur un album à venir de piano solo. Très à l’aise au milieu du public et généreuse à souhait, Major prend les demandes spéciales, quitte à devoir se fier au public pour souffler les paroles dans le cas d’une pièce comme Valser en mi bémol, parue sur son deuxième album, en 2008. Un très bon moment.
Après l’orage de la veille, le soleil a voulu prendre sa revanche, et la scène principale, Place Saint-Bernard, lui offrait une belle foule à cuire. On a donc frôlé l’insolation en écoutant le répertoire klezmer d’Oktopus, qui va de la traditionnelle grecque Misirlou à sa version surf, celle de Dick Dale, que l’on a pu entendre dans Pulp Fiction, en passant par la Rhapsodie roumaine nᵒ 1 d’Enescu. Avec flûte, piano, violon, trompette, trombones (2) et la clarinette de Gabriel Paquin-Buki, qui fait aussi les arrangements, Oktopus livre une mouture du genre pour le moins festive, et qui est parfaitement à sa place dans la programmation de la Fête.
On n’allait pas annuler le spectacle de fin de soirée deux fois de suite, mais cette fois-ci, le soleil couché, il fallait s’équiper de plus qu’une petite laine pour apprécier Angèle Dubeau et La Pietà, dont l’invité avait sans doute contribué à rallier une bonne partie de la foule, qui débordait largement du parterre de sièges installés devant la scène. Daniel Bélanger viendrait plus tard, après une première partie assurée par la violoniste et son ensemble avec des œuvres enregistrées récemment pour ses disques « Immersion » (2021) ou « Elle » (2022), qui célèbre le 25e anniversaire de son ensemble. Elle nous a aussi présenté deux pièces de son prochain disque, consacré au compositeur britannique Alex Baranowski, qui s’inscrit dans la mouvance minimaliste, aux teintes cinématographiques, prisée par Angèle Dubeau. Cette première partie s’est achevée sur Dona Nobis Pacem 2, que la violoniste a enregistrée pour le portrait qu’elle consacrait à Max Richter en
2017.
Les neuf musiciennes, incluant la soliste, accueillent ensuite Daniel Bélanger pour interpréter un bouquet de chansons de l’auteur-compositeur, dont quelques-unes qu’il ne joue pratiquement jamais en concert comme Primate électrique (d’où le recours à une tablette, sur laquelle défilaient ses partitions). De La Folie en quatre à Rêver mieux, en passant par Les deux printemps et Dis tout sans rien dire (reprise en rappel), on a eu droit à d’excellents arrangements rendus par des musiciennes qui avait visiblement du plaisir à jouer. Angèle Dubeau nous assurait récemment que ce concert spécial était un one shot deal dont aucune reprise n’est prévue. N’empêche, il devait bien y avoir là de quoi remplir un disque, enfin. Le public présent a savouré son plaisir et offert aux artistes une ovation bien sentie.
La 22e édition de la Fête de la musique à Tremblant se poursuit le lundi 5 septembre avec quelques concerts en après-midi, mais il nous faut reprendre la route. Jusqu’à la prochaine fois.