Le Festival international de Lanaudière a pris le risque de présenter le programme Folklore contemporain de l’ensemble montréalais Collectif9. Choix courageux? De prime abord, on peut certainement répondre OUI, car Lanaudière présente rarement dans son magnifique amphithéâtre Fernand-Lindsay des œuvres composées à notre époque.
Ce qui explique assurément ce parterre clairsemé de « braves » pour reprendre le qualificatif du directeur artistique Renaud Loranger, attribuant cette bravoure à la chaleur caniculaire plutôt qu’à la nature atypique du programme dont il était question samedi.
Sous la direction de Thibault Bertin-Maghit, contrebasse, Collectif9 regroupait Chloé Chabanole, violon, Scott Chancey, violon, Robert Margaryan, violon, TJ Skinner, violon, Cynthia Blanchon, alto, Marilou Lepage, alto, Juan Sebastian Delgado, violoncelle, Andrea Stewart, violoncelle, Steve Cowan, guitare. Plusieurs d’entre elles/eux se sont d’ailleurs illustré.e.s en cette soirée du samedi 12 juillet.
Collectif9 a choisi de jouer d’abord Sonnets et Rondeaux (2007) du compositeur et violoncelliste italien Giovanni Sollima, suite de six mouvements inspirés par les musiques celtiques, anciennes, médiévales. Les deux premiers mouvements de l’œuvre, soit un sonnet placide et jovial enchaîné d’un rondeau frémissant et rapide, ont été servis à titre d’apéritif. Ainsi, les motifs celtiques que l’on reconnaît d’emblée servent une musique répétitive dont l’harmonie module progressivement au gré de changements rythmiques conçus en séquences successives, processus compositionnel inspiré du minimalisme américain.
S’ensuivit Dig the Say, une œuvre en 4 mouvements du pianiste américain (d’origine indienne) Vijay Iyer, inspirée par nul autre que James Brown, le Soul Brother No 1. Les jazzophiles connaissent la vision exceptionnelle de Vijay Iyer en tant que compositeur de notre temps, improvisateur, concepteur pianistique, au tour de Lanaudière de savourer son immense talent. Cette œuvre écrite de Vijay Iyer se veut « ancrée dans la polyphonie et la virtuosité excessive », évidemment beaucoup plus liée à un ensemble de musique de chambre qu’à une formation de jazz. Et le résultat est tout à fait probant, bien qu’il s’agisse somme toute d’une évocation assez lointaine de la musique de James Brown. Le dernier mouvement de Dig the Say semblait d’ailleurs une sorte de jazz-fusion transcrit pour un ensemble à cordes. Réussi ? Oui oui.
Composée il y a 10 ans par la Montréalaise Nicole Lizée, Isabella Blow at Somerset House s’inspire de cette figure emblématique de la haute couture, Isabella Blow (1958-2007) , reconnue ici pour son inclination à la transgression et dont l’exposition posthume présentée à la Somerset House à Londres. Nicole Lizée, qui fut guitariste métal et DJ/productrice avant de se mettre à la composition « sérieuse ». Elle doit sa réputation singulière à ses emprunts et brillants à la pop culture des années 60, 70, 80 ou 90. Cette matière remodelée a marqué son art, absolument unique. Cassures, glitchs, citations modifiées et autres reconstitutions sonores s’intègrent ici à ces 16 minutes d’un discours orchestral parfois consonant, simple et soyeux, très beau en fait, exploitant à souhait le potentiel des cordes. Voilà carrément l’œuvre centrale de ce programme, du moins en ce qui me concerne.
Modern Hearts, aussi de Nicole Lizée, est exécutée par le guitariste Steve Cowan. Ce qui est ici intéressant, c’est que les potentialités de la guitare sont différemment exploitées, à travers ces figures mélodico-harmoniques qui incarnent « la fusion de la technologie avec l’expérience corporelle humaine ».
En dernier lieu pour la première partie, Garzanal de John Zorn (qui se passe de présentation), œuvre composée pour trio de cordes et inspirée une fois de plus par le jazz contemporain, la musique classique européenne et les musiques hébraïques, sacrées ou profanes.
Les 4 autres mouvements de Sonnets et Rondeaux seront servis après l’entracte et poursuivent sur leur lancée avec les mêmes caractéristiques formelles.
La fin du programme sera constituée de deux œuvres de Nicole Lizée et des mouvements 1 et 3 du Concerto Grosso du compositeur, violoniste et altiste George Meyer, originaire de Nashville. Voilà un autre musicien d’envergure puisant autant dans le legs classique européen que dans les formes folk ayant suivi leur cours en Amérique du Nord. Ce Concerto Grosso est justement une interaction dynamique de ces deux mondes musicaux, et fort bien dosé pour les cordes de Collectif9.
Entre ces deux segments, Collectif9 nous a servi Jupiter Moon Menace de Nicole Lizée, évocation directe des trames sonores craignos des vieux films de science-fiction, cordes assorties cette fois de séquences électroniques. Très réussi, une fois de plus. La dernière pièce de Mme Lizée au programme, Keep Driving, I’m Dreaming (2017) « puise des sonorités du cinéma néo-noir des années 1980 et 1990 », road trip musical à la David Lynch, pour cordes qui veulent bien la suivre. Ce qui s’est effectivement produit avant que l’on ferme les livres avec George Meyer au terme d’un programme fort bien dosé.
À n’en point douter, le festival de Lanaudière devra trouver le moyen de répéter cette expérience concluante pour en faire croître l’affluence. Car il s’agit là d’excellente musique.