Jeudi soir à l’Usine C, L’Oracle de Frédéric Janelle avait des allures mystiques dans sa spatialisation, pendant que Monique Jean rendait magnétiques toutes les phases de Tumultes, alors que l’art et la science se sont confondus avec Gymell, l’oeuvre du grand maître Horacion Vaggione.
Frédéric Janelle (ca)
Programme: L’Oracle (2024) 8’41”
Allongement de la note jusqu’à son évaporation. Silence. Son rauque et animal. Tournoiement indistinct. Éclair acoustique. Son calfeutré. À 2 minutes 20 secondes, une phase ambient s’insère en douceur entrelacée de bruits de caverne divine.
Une longue minute de synthé portant sur un travail de l’enveloppe, VCA, VCF et probablement du LFO en retour infini. Tenue de la note. Séquence bruitiste. Répétition et longueur. Note tonique à 3 minutes 40 secondes. Perception plus aiguë. Séquence drone. Jeu sur les paramètres du son tout en douceur.
Cette pièce d’une durée de 8 minutes 41 secondes était somme toute méditative, contemplative et sereine. Une entrée en la matière très intéressante pour démarrer la soirée pour un lancement en douceur et en finesse.
Frédéric Janelle, diplômé en composition électroacoustique du Conservatoire de Musique de Montréal, nous a spatialisé L’Oracle d’une manière plus que mystique.
Monique Jean (ca)
Programme: Tumultes 15’ (2024)
Sonorité lacérée. Magnétique. Vibration. Jeu sur la résonance, le filtre et l’attaque simultanément sur toute l’intro sur un fond de longues nappes. Insertion de boucles. À 3 minutes environ, des voix imperceptibles se fondent dans un grésillement indistinct puis disparition soudaine.
Une scène bruitiste et drone s’installe. Une impression de son issu d’enregistrement sur le terrain tel celui d’un chemin de fer. Perception de sonorité métallique ou de machinerie en tout cas. On va plutôt dans une direction aiguë. La pièce se texture davantage et se complexifie.
Des vocalises style diva s’entremêlent sur des notes en écho qui échappent à la matière avant de sombrer dans un pseudo silence de grésillement. Une longue ondulation texturée est mise en relief par un jeu de fréquence.
Monique Jean s’intéresse effectivement aux tensions, cassures et paroxysmes des matières sonores. Ces derniers sont travaillés comme un organisme complexe. Son dispositif intégre l’analogique et le no-input comme source d’instabilité et d’imprévu pour produire ses œuvres.
Tumultes 15’, réalisé avec le soutien du programme Recherche et exploration de PRIM et du CAC, fut le reflet net d’une métamorphose en continue du flux sonore. Une belle progression avant l’attaque fulgurante de Gymell.
Horacio Vaggione (ar/fr)
Programme: Gymell I (2003) 9’20 suivi de Gymell III (2024) 16’00
Dans les antres du corpuscule, la matière sonore prend vie dans un flot d’étincelles durant de longues minutes avant d’être mise en lambeaux par des coups acérés de notes stridentes et métalliques. Des faisceaux de laser déchirent la matière en un pépiement irréel et animaliste. Un processus de liquéfaction a ensauvagé la pièce. Des effets de papier froissé au rouage d’une mécanique.
Gymel, telle une bête féroce, clôt la soirée en deux phases: Gymel I et Gymel III. Plus de 25 minutes d’enchaînements de courts fragments de sons brodant des attaques de résonances et hyper colorés. Une œuvre cosmique où le travail de la densité des grains performe à lui seul. Ce fut si révélateur de percevoir les ondes synthétisées envahir l’acousmonium comme pour illustrer la théorie astrophysique d’un univers en expansion continue qui pourrait se rétracter à n’importe quel moment.
Hospitalisé, le compositeur suivant a été remplacé par un de ses plus grands fans pour la spatialisation de son oeuvre, soit Louis Dufort. Horacio Vaggione, professeur émérite à l’université de Paris VIII – chercheur-compositeur (Études d’informatique musicale à l’Université de l’Illinois (1966), co-fondateur du Centre de Musique Expérimentale de l’Université de Cordoba (1965-68), membre du groupe de musique électronique ALEA de Madrid (1969-73), à l’IRCAM, à l’INA-GRM, au GMEB) – a échantillonné tout son savoir-faire en synthèse granulaire et en micro-montage pour nous prouver que la science est un art, en s’inspirant de la citation du grand scientifique Bachelard, en 1932: «Le corpuscule n’a plus de réalité que la composition qui le fait apparaître».
crédit photos: Caroline Campeau