Cime dans la nature et l’extrasensoriel, rumeurs dans la douceur lancinante, ghosts dans la réminiscence thérapeutique. Trois types d’immersion étaient ainsi offerte à l’Usine C, en seconde partie de programme.
Florence-Delphine Roux (ca)
Programme: Cime (2024) 11’00
Gazouillements. Effluves de forêt. Fluidité d’un ruisseau. Ondes radiophoniques lointaines. Interférences. Fréquences oscillantes. Conversations fantomatiques. Nappes lointaines. Champs électromagnétiques. Ambient.
Cime se révèle tout en douceur dans la lenteur de la nature. L’imperceptible de l’univers montagneux et mystérieux du Mont-Saint-Hilaire se laisse dévoiler ici dans cette œuvre de 11 minutes.
Les sons enregistrés, en partie sur le terrain ou issus d’archives phonographiques, sont finement tapissés sur des ondes radiophoniques où l’invisible pour notre rétine devient audible pour nos oreilles.
Florence-Delphine Roux, artiste numérique et sonore originaire de la ville de Québec et basée à Tiohtà:ke/Montréal, titulaire d’une maîtrise de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Villa Arson à Nice, a capté le paysage sonore ambiophonique de la Réserve Naturelle Gault tout en insérant dans le médium une synthèse analogique et granulaire.
C’est ainsi que le réel, l’irréel, l’extrasensoriel et le paranormal prennent tout leur sens dans cette performance immersive texturée.
Shane Turner (ca)
Programme: rumors, approximated (2024) 10’00
Les productions de Shane Turner, diplômée en électroacoustique à l’Université de Concordia, ont été diffusées par le netlabel Panospria (Notype), par la CEC et dans divers festivals, dont Mutek.
︎Temps, hauteur, timbre et intensité ont été finement structurés pour modeler une architecture occupant ainsi l’espace horizontalement et verticalement. Les ondes sinusoïdales, défragmentées et alimentées par des phénomènes algorithmiques, ont chevauché le travail texturé de l’enveloppe et du grain de voix angéliques. Les cordes vocales sont un instrument à part entière, le tout premier des temps les plus anciens. La production musicale ne cesse d’évoluer avec les nouvelles technologies et la recherche scientifique. rumors, approximated avait pour finalité de créer un syncrétisme frontal, mais somme toute poétique, entre ces deux sources.
La pièce était douce et lancinante avec une entrée au seuil d’une porte qui s’entrouvre sur une minute puis, les vocales de Simone Pitot/Delorca se découvraient telles des chimères mythologiques.
Le tout laissait sous-entendre une espèce de cartographie multisensorielle où la morphologie du corpus se construisait dans une harmonieuse discordance par le biais d’une installation électronique en direct.
Loin d’être du domaine de l’approximatif, cette pièce était scrupuleusement codifiée.
Manja Ristić (hr)
Programme: ghosts (2024) 20’
Manja Ristić était sur scène pour offrir une performance totalement incroyable! Un synthétiseur modulaire EMS Synthi 100, un violon, une roue de fauteuil roulant, deux vases à moitié remplis, des matériaux minéraux tels des pierres, une radio portative, un sifflet et des cachets effervescents: voilà le matériel sur scène.
Chaque objet va être manipulé, enregistré pour que chaque sonorité puisse être transformée en un scénario d’ondulation, de fréquence et d’enveloppement de l’espace.
À travers une extension quasi intemporelle, un comprimé est plongé dans un des vases muni d’un micro dans un processus de dégagement de gaz afin d’actionner la dissolution. Le bouillonnement, en toute quiétude, se mêle aux notes de synthé très douces qui ne cesseront presque jamais de tourner en écho.
Sur fond de vocalise d’oiseaux, des cailloux ou des galets peut-être, sont malaxés dans la main de l’artiste hongroise comme pour imager un souvenir lointain de son histoire…
L’antenne d’une petite radio passe et repasse sous le micro pour jouer avec les fréquences telles les antres d’un fantôme. Le travail sur scène était minutieux, lent, calculé.
Au dernier tiers de la scène, des notes de piano aiguës et malaisantes ont fait leur entrée pour s’associer au bruit de l’archer déchirant les cordes d’un violon se confondant au son d’une porte en bois grinçant.
Née à Belgrade en 1979, violoniste, artiste sonore, poète, commissaire d’exposition et chercheuse, diplômée de l’Académie de musique de Belgrade (2001), du Royal College of Music de Londres, Manja se concentre sur les approches interdisciplinaires de l’enregistrement sonore et de terrain ainsi que sur les arts radiophoniques expérimentaux pour créer des oeuvres riches de sens.
Ici, la portée historique se voulait la rémanence de souvenirs inhérents à la dévastation environnementale et à la guerre dans les régions de l’ex-rideau de fer, ainsi que des anciens camps de travail de Mauthausen-Gusen.
ghosts, sortir de l’enfer du passé pour le sublimer. Une œuvre thérapeutique.
crédits photos: Caroline Campeau