Mécanique, électrique et électronique: cette 19e édition d’Akousma nous a offert une soirée de clôture avec un plateau d’artistes canadiens et internationaux synthétisant la richesse et la variété de la musique concrète née il a 75 ans, renommée électroacoustique au fil du temps.
Bloc 1: Nicolas Giannini (CA/IT), Bénédicte (CA), Elias Merino (ESP)
Nicola Giannini (Canada / Italie )
La pièce présentée, ici, Rebonds, fut une ouverture plutôt académique: un véritable exercice de style. Jouant sur la figure rythmique du ricochet sonore, ce compositeur doctorant à l’Université de Montréal a présenté 13 minutes de superpositions et d’enchaînements de corps sonores ainsi que des jeux de spirale répétitive et à vitesse croissante. Cette chorégraphie a su exploiter toutes les possibilités de la spatialisation et de l’immersion. En effet, elle a été le fruit d’une résidence au centre d’art, Spoborole, à Sherbrooke. Nicola Giannini a remporté de nombreux prix et mentions: premier prix au concours JTTP 2019 organisé par la Communauté électroacoustique canadienne, mention honorable au XII° concours de la Fundación Destellos, finaliste au concours Città di Udine 2018 et prix Micheline-Coulombe-Saint-Marcoux lors de la première édition concours AKOUSMAtique en 2022. Un préambule tout à fait convenu.
Bénédicte (Canada )
La montréalaise -artiste interdisciplinaire, de son vrai nom, Maxime Gordon- dévia franchement vers l’électronique. Nappes rondes et profondes de synthétiseurs en spirale formant et déformant le paysage sonore avec en final, l’introduction d’échantillons de voix féminines. Les oreilles averties ont pu analyser cette symbiose de sons se défiant de toutes les frontières de genre. Il est à noter qu’elle est DJ, compositrice et performeuse. Sa pièce Halves Shoals semblait être le chassé-croisé de toutes ses cordes de compétences. Elle a su nous porter dans un univers sensuel, intérieur et d’une grande candeur. Ses productions se jouent à MUTEK (Montréal), à l’Institut du Son Spatial (Budapest), à MONOM (Berlin), à Eastern Bloc x Nuit Blanche (Montréal) ou à Glory Affairs x Punctum (Prague). Elle travaille actuellement sur un nouvel album et organise des promenades sonores (soundwalk) à travers Montréal.
Elias Merino (Espagne)
Le Bloc 1 de la soirée s’est conclu avec Synthesis of Unlocated Affections: empathy distress (2023) d’une durée de 30 minutes. Un retour à l’expérimentation pure. Les maîtres mots ici étaient plutôt: déconstruction, contemplation fracturée, immersion à revers. À l’instar d’une nouvelle fantastique, ce récit de musique abstraite a transgressé les lois naturelles. Entre altérité et étrangeté, le malaise était perceptible, ressenti, palpable. Cet artiste espagnol s’intéresse énormément aux futurs spéculatifs et à la fiction. Un scénario bien ficelé entre littérature et musique.
Bloc 2 : Olivia Block (US), Evan Magoni / Gonima (US/CA), Aho Ssan (FR)
Olivia Block (États-Unis)
24 minutes de plongée sous les eaux du lagon de San Ignacio, dans la Baja California Mexicana. Un long travail texturé du son basé sur des enregistrements in-situ ou en studio en audio-synthèse pour s’inviter dans le milieu de vie des baleines. Ce site vierge, protégé par l’UNESCO, laisse transparaître une nature pure. L’États-unienne Olivia Block et son œuvre Breach nous ont transmis un univers subaquatique et abyssal. Une pièce riche en émotions. Il était relativement facile de visualiser les différents collages sonores effectués tels un scénario où différents chapitres s’ouvraient et se fermaient. Le paroxysme de la pièce fut orageux et résultant à un déferlement de pluie battante.
Evan Magoni / Gonima (États-Unis / Canada)
Nouveau sursaut! Cette fois-ci dans l’electronica ambient glitch. Homeostasis d’Evan Magoni – sous le pseudonyme Gonima- fit remonter la tension avec finesse et subtilité. Cette œuvre sonore se déploya telle une peinture florale pointilliste avec parcimonie et une profondeur multidimensionnelle. Cette tension émotionnelle et chaotique sous contrôle se retrouve aussi chez Autechre, Boards of Canada, Loscil, Aphex Twin, Marc Leclerc (Akufen). Voilà 15 minutes et 40 secondes de beauté saccadée, syncopée, éthérée. Gonima a réussi un bel exercice de genre pour laisser la place à l’apothéose.
Aho Ssan (France)
Niamké Désiré alias Aho Ssan clôtura le festival en beauté. Et quelle beauté, oui! Falling Man est une œuvre qui a été commandée par le Groupe de Recherches en Musiques -intégré à l’Institut National de l’Audiovisuel depuis 1975 et siégeant à la Maison de Radio France- et cofinancée par le programme Creative Europe de l’Union Européenne. Prenant pour source d’inspiration, une photographie prise lors de l’attentat du World Trade Center, cette pièce en trois parties est un pur chef d’œuvre. À l’instar d’une quasi synthèse de toute l’histoire de la musique concrète, contemporaine, électronique, jazz et hip-hop, Falling Man déploie une richesse et une finesse sachant conjuguer la vitesse de progression du scénario de tous les corps sonores, la pétillance des cuivres, la consistance profonde des rythmes et la touche finale de voix apportant l’espoir et l’optimisme pouvant triompher de l’obscurantisme. Parfois, il faut noter qu’il est largement possible d’analyser l’ampleur intellectuelle d’un artiste par le biais de ses œuvres musicales. Ici, nul doute. Aho Ssan a fourni une pièce plus que sonore mais aussi cinématographique, intellectuelle voire philosophique. En effet, il est à souligner que son dernier album Rhizomes évoque la pensée rhizomatique de Gilles Deleuze, Félix Guattari et d’Édouard Glissant.
Le festival Akousma se ferma ainsi tel un questionnement musical sur l’actualité, le monde et ses crises multiples où au lieu de se cliver et se fermer, nous devrions penser à notre horizontalité et notre multiplicité pour mieux exister ensemble.
crédit photo: Caroline Campeau