Quand la musique a mal – Le poids des praticiens de la musique : premiers à fermer, derniers à rouvrir

par Alain Brunet

Depuis presque 20 ans déjà, la dématérialisation des contenus rend la vie dure à une majorité de musiciens. À ce mal s’ajoutent, depuis le printemps 2020, la pandémie de COVID-19 et ses corollaires. Cet ensemble de facteurs délétères pèse lourdement sur cet art vital et sur l’existence des musiciens. Chez Pan M 360 nous nous interrogeons, par l’entremise de notre dossier « Quand la musique a mal », sur la santé de la musique et de ses praticiens. Alain Brunet pose le problème du poids politique de la musique dans les perceptions de nos élus.


Manifestement, les resserrements et allègements des mesures sanitaires défavorisent les arts de la scène au Québec. Plus que toutes les autres activités économiques impliquant un rapport avec le public en chair et en os, ce qui n’est pas peu dire.

Depuis les débuts de la pandémie, le gouvernement québécois met le spectacle (ou le concert) au premier rang de ses mesures de resserrement de l’espace public… et au dernier rang de ses mesures d’allègement.

Ainsi, on allégera les conditions du spectacle vivant dès le 7 février mais… on se limitera aux grandes salles, et on exclura les petits lieux considérés comme des bars…. C’est-à-dire là où émergent la majorité des artistes évoluant hors du circuit des vedettes locales ou internationales.

« Les Québécois s’ennuient de leurs artistes » a dit récemment le PM québécois. On ne remet pas en question sa sincérité, on devine néanmoins qu’il fait référence aux artistes populaires – construits par la téléréalité – et aux stars confirmées des musiques de niche, surtout classiques. Pour le reste, c’est-à-dire la presque totalité des praticiens de la scène, on repassera plus tard cet hiver…

Voilà qui nous en dit long sur cette courte vision de la culture côté politique.

Ainsi dans les plus hautes sphères du gouvernement, on n’a pas idée que la musique vivante et autres arts de la scène se fondent sur un écosystème de petits lieux tributaires des ventes d’alcool. Pour que Les Louanges finissent par remplir le M Telus, il a fallu combien de petites prestations dans des lieux qui n’ont rien à voir avec les salles qu’il peut désormais remplir à moitié? Poser la question…

Ainsi donc, la capacité maximum de 50 % peut être une mesure justifiée pour les salles de 1000 places ou moins, mais, pour les plus grandes, cette limite de 500 personnes est une règle tributaire de la faible capacité d’accueil de nos hôpitaux… remplis à craquer.

Au Canada, d’ailleurs, on compte trois fois moins de lits d’hôpitaux par habitant qu’en 1970, soit 2,52 lits aujourd’hui au lieu de 7 il y a 50 ans i. Oui oui, 50 ans ! Au Québec, c’est la moyenne canadienne: 21 672 lits, soit 2,5 par 1000 habitants ii.

Au fil du temps, les chirurgies d’un jour auraient réduit progressivement le nombre de lits, on en convient, mais cela ne justifie pas les engorgements des hôpitaux et des urgences observés au pays depuis belle lurette. En France, par exemple, on compte aujourd’hui 6 lits par 1000 habitants. Au Japon, 13 lits. En Corée du Sud, 12 lits iii.

Question de spécificité sociétale? Ben voyons. À l’évidence, l’influence grandissante de la pensée néo-libérale sur le désengagement de l’État, soit depuis les années 80, a eu pour conséquence l’instauration progressive d’un système de santé à deux vitesses. Avec ce résultat : le Québec et le Canada entier sont devenus les cancres des systèmes de santé dans les pays dits avancés.

Cet état lamentable de notre réseau de la santé se combine ici à un autre déclin, beaucoup moins évident pour l’électeur moyen : le poids politique de la culture.

À très court terme, la rentabilité politique du milieu culturel (sauf ses stars) n’est plus ce qu’elle fut naguère. Et rien ne laisse entrevoir un retour du balancier.

Inutile d’ajouter que les praticiens des arts de la scène sont aujourd’hui les parents pauvres chez les parents pauvres de la pandémie – restaurants, gymnases, salons de coiffure, petits détaillants, etc. Avec ceci pour résultat chez les praticiens de la musique : dégradation de la condition économique, abandon progressif ou définitif de la profession, détresse psychologique, suicide.

Voilà pourquoi PAN M 360 lance une série de chroniques, analyses et témoignages afin que nous soyons toutes et tous capables de bien jauger le poids de la musique dans la sphère publique.

i. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1855818/coronavirus-capacite-hospitaliere-duree-sejour-gestion-lean

ii. https://www.journaldemontreal.com/2022/01/11/les-hopitaux-sur-le-point-de-craquer-face-a-la-cinquieme-vague

iii. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1855818/coronavirus-capacite-hospitaliere-duree-sejour-gestion-lean

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