Les 29 et 30 janvier prochains se tiennent les premières mondiales du programme Voivod Symphonique, rare manifestation grand public juxtaposant la “grande culture “ classique avec le monde souterrain du métal. Pourtant, nombreux sont les liens qui unissent ces deux traditions européennes, tant par leur musique que par leur histoire. Néanmoins, ce rapprochement reste méconnu, même chez les plus érudits, notamment chez les musiciens d’orchestre sauf exceptions. Pour démystifier le contexte duquel culmine cette collaboration hors du commun, notre collaborateur et musicologue Laurent Bellemare vous propose ici un brillant survol comparatif des similitudes entre ces deux univers. Voici la deuxième partie de son excellent dossier.
Retour vers la complexité
Pour le compositeur et chef d’orchestre Pascal Germain-Berardi, également fondateur du groupe métal Archetype, cette appartenance au monde classique s’explique par une contre-attaque culturelle :
«[La pop] était en réaction pour essayer de faire une musique simple, que tout le monde pouvait écouter. Quelques années plus tard, des descendants de la musique pop, le métal est apparu comme un courant ‘anti-pop’. »
Dans un environnement où la musique commerciale cherchait à se détacher de la culture élitiste du classique et de ses formes contemporaines, il y avait donc un attrait naturel à puiser dans une musique complexe et hermétique afin de transgresser les nouveaux genres populaires.
Par ailleurs, Germain-Berardi souligne l’impact du contexte socio-économique dans l’équation: « La musique métal est surtout apparue dans les quartiers pauvres et prolétaires des sociétés riches, où il y avait une énorme effervescence économique. On était en plein dans les trente glorieuses aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon. Au milieu, on avait des quartiers pauvres où les gens ne touchaient aucunement à ça. »
L’aura de révolte qui traverse toute la culture du métal trouverait son origine notamment dans ce sentiment de précarité économique.
Métal symphonique ou orchestre amplifié
Depuis les années 1990, certains sous-genres du métal usant de séquences orchestrales, exécutées au synthétiseur, se sont cantonnés dans le « métal symphonique ». À ce titre, Rhapsody of Fire, Nightwish et Dimmu Borgir sont les exemples les mieux connus, ces groupes constituent la pointe de l’iceberg.
En contraste, de nombreux groupes plus obscurs y voient un cliché de mauvais goût et adoptent une esthétique qui, consciemment ou non, les rapproche davantage du classique moderne/contemporain du dernier siècle, de par leurs techniques étendues et leur propension à l’expérimentation.
Le percussionniste David Therrien Brongo confirme qu’il n’y a pas de consensus sur les bonnes façons de s’abreuver à l’univers classique occidental :
« Dans Rhapsody of Fire, ce sont souvent des références à Vivaldi, Bach, à des cycles de quintes. Un classique simple dans sa forme et son harmonisation. Alors que, du côté des bands de death metal, il y a aussi des références au classique- dans Fleshgod Apocalypse, par exemple, il y a un orchestre mais on est loin de Vivaldi. Harmoniquement, c’est autre chose. Structurellement, c’est autre chose. »
Effectivement, on entend de plus en plus d’Igor Stravinski ou de Gyorgy Ligeti dans le métal extrême d’aujourd’hui, ce qui n’étonne pas étant donné les effets dramatiques que cette musique cherche à stimuler. On comprendra que l’avant-gardisme des compositeurs modernes et contemporains est tout à fait compatible avec l’esthétique lugubre et l’aura d’inaccessibilité du métal.
Germain-Berardi nous explique en outre que la principale différence réside dans l’emploi des techniques du classique contemporain à des fins purement expressives dans le métal, alors qu’en musique classique on a tendance à voir des œuvres « études » qui n’existent que pour explorer des techniques de jeu ou de composition :
« Dans le métal, on veut toujours justifier le son, la sonorité, le frottement par un affect ».