Grammys 2024: l’arbre qui cache la forêt

par Alain Brunet

Taylor Swift a beau avoir « réécrit l’Histoire » en gagnant un quatrième Grammy dans la catégorie « album de l’année » (Midnights), elle a beau dominer outrageusement le monde de la musique enregistrée à l’échelle planétaire, des millions et des millions d’humains ont beau prononcer son nom quotidiennement, elle a beau bousculer les fans de la NFL par sa relation  amoureuse avec un des plus grands joueurs de l’histoire du football américain, la songwriter et chanteuse américaine, à l’instar de la communauté entière des Grammys, incarne l’arbre (américain) qui cache la forêt (mondiale).

En deux ans, peut-on lire dans le rapport Luminate sur l’industrie mondiale de la musique dont faisait récemment état PAN M 360 sous la plume de Luc Tremblay, l’écoute de chansons en anglais est passée de 67% à 55%, notamment au profit de la production en hindi passée de 4 à 8% durant la période 2022-2023. Aux États-Unis, pendant ce temps, 63% des sondés de la Génération Z et 65% des milléniaux souhaitaient découvrir de nouvelles cultures à travers la musique.

Aux Grammys, le discours du dirigeant de la Recording Academy, Harvey Mason Jr, misait fort sur cette idée que les Grammys sont un concentré planétaire : Dua Lipa provient d’une famille albanaise du Kosovo, Burna Boy est une superstar afrobeats du Nigeria, l’humoriste et animateur Trevor Noah est Sud-Africain. Ainsi, ils font partie de la famille des Grammys, ils font partie de l’Amérique-monde. 

Aux Grammys, ces artistes mondialisés joignaient les rangs des Miley Cyrus et son excellente chanson pop Flowers, les brillantes SZA et Billie Eilish et leurs brillantes contributions à la pop culture, la surdouée Lana Del Rey, notre Céline Dion ignorée par Taylor Swift (maladroite certes mais sans les mauvaises intentions que certains lui prêtent), Victoria Monét et son super tube On My Mama (quel ver d’oreille!), Tracy Chapman et son thuriféraire Luke Combs en duo pour l’interprétation de l’immortelle  Fast Car, le fantôme bienveillant de Tony Bennett en tandem avec Stevie Wonder, l’inattendue et toujours géniale Joni Mitchell, ressuscitée d’un AVC et présente pour l’unique fois de son existence (et de la nôtre) au fameux gala américain. La composition canadienne de l’Amérique-monde n’est pas à considérer dans le cas qui nous occupe, Céline et Joni vivent aux USA depuis belle lurette…

En tant que Nord-Américain, je me sens forcément plus proche des Grammys que de n’importe quel autre gala de la music business, sauf évidemment les galas locaux qui nous interpellent de près ou de loin. Mais… de moins en moins. Je me sens plutôt comme les fans de musique de la génération Z, je me sens plus mondialisé parce que l’Amérique ne représente plus le standard absolu de la pop culture mondiale. Les industries du divertissement indien ou nigérian ne sont que les premières manifestations d’une inéluctable mondialisation de la culture.

Tangiblement, le rêve américain devient moins attractif pour le reste du monde et le non Occident, des décennies d’impérialisme économique ont fait déchanter tant de populations.

La montée des régimes autoritaires dans le non Occident est aussi une conséquence indirecte de l’échec culturel de l’Amérique-monde, aux prises avec une poussée honteuse du néofascisme sur son propre territoire, du moins à court terme, et qui tend à faire croire aux populations mondiales défavorisées que l’amélioration de leurs conditions de vie ne passe plus nécessairement par le modèle démocratique à l’américaine.

On sait fort bien que ce modèle est actuellement plombé par l’extrême droite religieuse, le conspirationnisme schizoïde, le bipartisme obsolète, par ce 2e amendement qui maintient un état de violence permanent aux USA, par la corruption endémique dans plusieurs démocraties mondiales, par le racisme systémique, par les mafias bien en place, par le dark web, par des inégalités économiques de plus en plus profondes.

Alors comprenons bien que les modèles américains en matière de mondialisme culturel à travers son propre melting pot sont de moins en moins attrayants… pendant que plus ou moins la moitié des Américains s’identifient à une discographie de plus en plus planétaire et que l’autre moitié y voit une manifestation regrettable de la décadence nationale.

Rien ne permet de croire que le fossé entre ces deux visions sera remblayé dans un avenir proche, le contraire est malheureusement probable.

Photo tirée du site des Grammys

La souveraineté culturelle à l’heure du numérique ou la chambre à gaz feng shui

par Patrice Caron

ou la chambre à gaz feng shui

Dans le contexte de la sortie du rapport La souveraineté culturelle à l’heure du numérique notre contributeur Patrices Caron alias Pat K, toujours à la barre du GAMIQ, plaide pour une utilisation plus rusée et plus pragmatique des plateformes des géants du web afin d’y maximiser la consommation de contenu local.

Il y a une anecdote que je répète ad nauseam, manière de justifier pourquoi j’y crois encore à cette idée de culture musicale nationale. 

Il y a quelques années, je tenais une table à la Foire-O-Disques à Montréal. Militant, même quand je ne suis pas là pour ça, j’offrais une section complète de contenu local, et pas nécessairement du Paul Piché ou du Beau Dommage; plus Antoine Corriveau et Les Guenilles genre. Du bon stock, en toute objectivité. 

Ce n’est pas la section la plus populaire, comme d’habitude, mais j’y tiens et je trouve que ça en vaut la peine, juste pour le symbole. Et ça arrive que j’en vends, comme à ce Français qui voulait ramener quelque chose du Québec chez lui – paradoxalement il est reparti avec les Hôtesses d’Hilaire… du Nouveau-Brunswick. 

Je comprends que certains ne les regardent pas, mon « combat » des 30 quelques dernières années n’est pas terminé. Les conditions sont plus dures qu’avant et il y a des limites à ce qu’un homme blanc francophone de plus de 50 ans peut faire dans le contexte.

Cette réalité m’est revenue dans la face avec force quand un jeune wannabe DJ d’à peine 20 ans, qui venait de s’extasier pendant 15 minutes sur Run DMC, PIL et autres,  arrive au  bac local et fait « Eurk, local », sans même regarder dedans. D’office, son idée était faite, « Eurk, local ».

 Abasourdi, je n’ai pas saisi l’occasion pour lui demander… pourquoi ? Dommage, parce que cette anecdote me revient constamment en tête et cette question, je me la pose presque chaque jour depuis. Mais je me la posais aussi avant cet épisode. Il y a quelques réponses mais veut-on les entendre? 

Concept  à la mode dans certaines sphères, la découvrabilité semble offrir un espoir modeste pour que les contenus locaux soient plus visibles sur les grandes plateformes, mais faudrait au moins qu’on y soit sur ces plateformes.

Publié récemment, le rapport La souveraineté culturelle à l’heure du numérique  identifie à nouveau la problématique mais, à part la connaissance des données nécessaires à  la création de ce rapport, on a l’impression que ses auteurs ne se sont jamais intéressés aux plateformes dont il est question.

Si tu n’es pas très actif sur Spotify et autres méga-plateformes, on te propose les trucs les plus populaires de l’heure et le contenu commandité lorsque tu y débarques. Au vu des statistiques, on comprend que le contenu local (ou francophone) ne s’y trouve pas. Et pour le contenu commandité, mauvais timing, des entreprises locales achètent régulièrement des campagnes mais pas en continu, donc… 

On peut déplorer que, vu de l’extérieur, la culture locale n’y soit peu ou pas visible, mais il y a une mécanique et une logique à appliquer pour circonvenir aux défis. C’est plutôt la visibilité de ce contenu dans nos propres médias qui s’explique mal pendant qu’on blâme quelqu’un d’autre.

Il faut sans doute que les créateurs et gestionnaires de contenus se mettent aux normes actuelles de l’industrie, qu’ils en maîtrisent les outils de base et soient à égalité avec les autres.

On y arrive mais est-il déjà trop tard? Les algorithmes fonctionnent avec la moyenne des écoutes et Taylor Swift sera toujours plus populaire qu’Ariane Moffatt, quoi qu’on fasse. À moins qu’on sélectionne volontairement Ariane Moffatt plus souvent et que l’algorithme s’adapte à vos goûts. Ça ne le fera pas pour votre voisin, ami ou autre, à moins que tous demandent Ariane Moffatt et qu’éventuellement elle obtienne assez de clics pour faire partie des recommandations générales. 

Certains ajustements à l’algorithme sont possibles pour favoriser un contenu plus qu’un autre mais, comme on a peu de contrôle sur la gestion de ces canaux de diffusion en attendant une hypothétique loi qui va en ce sens, le poids démographique des utilisateurs québécois de ces plateformes et surtout leur goût, sont les principaux obstacles à ce que le contenu local (ou francophone) soit plus découvrable.

J’utilise Spotify depuis quelques années et à force de dompter l’algorithme, il a fini par s’adapter à mes goûts. Souvent, je suis agréablement surpris par ses recommandations. Il faut dire que j’ai été hyperactif et que j’ai fait un effort pour que ça soit à mon goût. Je suis passé à Tidal l’année dernière pour diverses raisons et le biais de la plateforme envers les musiques urbaines est dur à circonvenir pour l’amateur de rock et pour la musique québécoise, on part d’encore plus loin.

Le « dressage » de la plateforme est un processus de longue haleine. Par exemple, quand j’écoute du Viagra Boys ou Amyl & The Sniffers, inévitablement on me propose Foo Fighters à la suite, même si chaque fois que je saute la chanson, ça revient tout le temps. J’ai hâte que l’algorithme comprenne que j’haïs Foo Fighters. Est-ce que je vais éventuellement me décourager de « combattre » l’algorithme? Peut-être, mais il y a des combats plus importants et celui-là peut sembler futile. Mais pour le moment, pour que ces plateformes adaptent leurs recommandations, il faut que leurs utilisateurs fassent cet effort. Et à moins d’un miracle, genre que les Québécois francophones s’abonnent en masse à ces plateformes et qu’ils sélectionnent majoritairement du contenu local, les algorithmes vont continuer à proposer ce qui est le plus populaire, c’est-à-dire Taylor Swift et Foo Fighters.

Que les Québécois ne consomment que 8% de contenu local sur ces plateformes est alarmant en soi. Mais… de combien d’utilisateurs parle-t-on au juste? Selon le Guide de mise en marché de la musique québécoise francophone publié par l’Adisq, un tiers des québécois dit consommer de la musique sur ces plateformes, majoritairement sur Youtube, Spotify et Apple Music, dans cet ordre. 

De ce nombre, seulement 30% est intéressé à faire des découvertes. Donc sur le 8%, on peut extrapoler et estimer que moins de 3% est consacré à de nouveaux artistes. C’est ce qui est le plus alarmant. Tant mieux si les artistes déjà établis peuvent y trouver leurs publics mais ce n’est pas le meilleur gage pour assurer la survie d’une industrie qui doit se renouveler à moyen terme pour assurer sa pérennité. 

Sa dépendance aux valeurs sûres comme Ginette Reno ou Harmonium pour assurer sa place actuelle fonctionne à court terme mais finira par lui coûter encore plus de parts de marché dans un avenir pas si lointain. Même si ça plaît à une part non négligeable du marché, ça produit sans doute un effet repoussoir pour les jeunes consommateurs qui,  à défaut d’avoir d’autres références, classera la musique québécoise dans le « Eurk, du local ». 

Comme cette frange du marché consacre une plus grande proportion de son budget aux produits culturels, il est légitime de se demander comment rejoindre cette clientèle. Mais demander à celle-ci de se conformer à l’offre plutôt que de lui offrir des alternatives, c’est l’équivalent de tenter de remettre le dentifrice dans le tube. Vaut mieux avoir un autre tube de dentifrice, tant qu’à être dans l’analogie dentaire.

Symptomatique des difficultés des médias traditionnels et du peu de rayonnement de ceux qui tentent des approches différentes, avec à la clé l’incontournable rentabilité des uns et des autres, l’espace et les moyens consacrés à la prescription culturelle diminuent sans cesse.

Les réflexes généraux du marché consistent à se replier sur les valeurs sûres qui touchent aussi ce qui reste comme tribune et on se retrouve encore à parler plus de Ginette Reno que de Gab Bouchard ou de Choses Sauvages. C’est quand on est « chanceux », car souvent les médias vont plutôt consacrer leurs espaces à Taylor Swift, Madonna ou Kanye West. Parce que c’est plus rentable à court terme et que c’est ce qui est viral en ce moment. Totalement compréhensible dans l’état actuel des choses, mais peu rassurant pour l’avenir d’une industrie culturelle qui fait encore vivre bon nombre de Québécois. 

Je comprends que ce ne soit pas le mandat d’une entreprise privée de protéger une culture locale (même si celle-ci leur permet paradoxalement d’exister) mais il est impératif que la prescription profite d’un peu plus de moyens pour au moins offrir un panorama plus étoffé de ce qui est fait ici plutôt que la couverture d’un énième spectacle symphonique/cirque ou du répertoire inspiré des souvenirs d’adolescence du directeur musical.

Il faut investir dans l’avenir, comme n’importe quelle entreprise doit financer un département de recherche et développement, afin de stopper l’exode du public vers d’autres cieux et l’attirer vers sa culture locale.

Une initiative pour lui donner plus de visibilité sur les plateformes de diffusion ne sera pertinente que si elle est en phase avec les générations qui s’y trouvent plutôt que de tenter d’y attirer une clientèle qui préfère de toute façon la radio et ses week-ends nostalgie. 

En ce sens, il faudrait revoir le financement des entreprises qui commercialisent la musique, créer des mesures incitatives pour ceux qui la diffusent et investir en éducation culturelle. Il faut faire de la place à l’innovation et à l’audace pour que notre culture musicale nationale ne se fige pas dans un folklore de cabane à sucre et qu’elle soit toujours représentative du Québec au présent. 

À la lumière de ce qui se passe avec Meta pour les médias canadiens et les pinottes que Google a laissées tomber dans l’escarcelle, se quêter une place en vitrine d’un commerce qui se fout de nous à la base n’est peut-être pas la formule gagnante recherchée.Et comme tout ça est du ressort du gouvernement canadien, on est loin du but, la technologie a le temps de changer 3 fois avant qu’on y arrive.

Collectivement, on n’a plus le luxe d’attendre. Plusieurs entreprises ont déjà harnaché la bête et tentent de rester en selle en apprivoisant le fonctionnement de cet écosystème plutôt que de crier à l’injustice dans leur coin. C’est l’impitoyable roue du temps qui tourne.

On ne peut forcer personne à aimer une musique. C’est ce qui explique la popularité des plateformes actuelles, il y en a pour tous les goûts, tout le temps. La plupart des utilisateurs savent comment fonctionne la recherche, juste besoin d’avoir quelque chose à chercher. L’algorithme va faire le reste, les listes de lecture vont se créer, les suggestions vont apparaître, bref, si on veut avoir de la place, il faut agir selon la logique de la plateforme et non tenter d’y imposer une vision qui n’aura pas d’incidence sur la trajectoire de la culture musicale nationale. 

Il faut promouvoir la musique faite ici, en parler et la partager. C’est là qu’il faut agir. À moins de vouloir créer une plateforme nationale de diffusion (allo QUB musique), il vaudrait mieux faire pression pour une meilleure rémunération de leur part plutôt que leur donner raison implicitement, en insistant trop pour avoir un meilleur siège dans la chambre à gaz.

Taylor Swift, la pop, la marque, Travis, le SB, le deep fake porno, les conspirationnistes, plus encore

par Alain Brunet

Il faut être cloîtré dans un monastère sans connexion web, encapsulé dans un bunker survivaliste, encabané dans un hameau sans électricité au fin fond d’une forêt vierge. Bref, il faut être totalement déconnecté de la réalité terrestre pour ne pas connaître l’existence de Taylor Swift. Alors voilà pourquoi nous en parlons nous aussi… d’un autre angle, vous vous en doutez bien !

Personnalité du Time Magazine au terme de 2023, redoutable femme d’affaires, entrepreneure de son propre succès, boulimique de création et de production, impératrice de l’accroche chansonnière, conquérante absolue de la pop culture. 

À l’évidence, Taylor Swift est la chanteuse et songwriter caucasienne la plus influente du système solaire.

Elle compte des dizaines de millions de fans finis, dont une portion non négligeable d’humains cultivés qui n’ont pas grand-chose à voir a priori avec sa culture. Force est de comprendre que son influence déborde largement les cercles de son marché « naturel » : la pop générique, qu’on nommait jadis la variété.

Alors? Éviter ou nier le méga-phénomène swiftie prive quiconque de la compréhension d’une part fondamentale de la réalité culturelle d’aujourd’hui.

Rendu public en janvier, le rapport Luminate  indiquait que l’écoute des chansons de Taylor Swift représentait l’an dernier 1,79% de 4100 milliards d’écoutes sur les plateformes d’écoute en continu. 

Faites le calcul : 73 milliards 390 millions d’écoutes ont été consacrées à la méga-archi-superstar américaine.

Continuez l’exercice : si elle touchait  4000$ par million d’écoutes comme c’est le cas du commun des mortels sur Spotify, elle aurait empoché 293,5 millions US$ en revenus de streaming l’an dernier.

Or, souvenons-nous qu’elle avait renégocié la somme des clics  lui étant attribués, ce qui pourrait bien doubler la mise…. Alors?  400, 500, 600 millions US$, sans compter une somme encore plus importante pour ses concerts et produits dérivés? On ne le saura pas, ces ententes sont privées.

Où en sommes-nous ? Pas une demi-journée sans entendre parler de Taylor Swift. 

Le Time Magazine la consacrait personnalité de l’année au terme de 2023, le New York Times pondait plus récemment l’analyse de son possible queerisme, le football américain, pour crémer le tout.  Depuis l’automne, nous sommes les spectateurs.trices de cette idylle avec  le joueur étoile des Chiefs, Travis Kelce, qui n’est pas exactement un pied de céleri – et qui ne gagne que 12 millions par an… le pôvre!

Via la NFL, la marque Taylor Swift vient de prendre des proportions encore plus considérables et ça culminera le dimanche 11 février, non pas à l’un des stades et arénas qu’elle remplit en claquant des doigts, mais bien au stade de Las Vegas où se tiendra le Superbowl LVIII.

Travis Kelce devrait normalement être au sommet de sa forme pour conduire les Chiefs à la victoire contre les Niners… ce qui n’est pas chose faite car San Francisco a une meilleure équipe que Kansas City cette saison… sur papier. N’est-ce pas ce qu’on disait aussi des Bills de Buffalo et des Ravens de Baltimore ?

Le meilleur tight end toutes générations confondues fera donc de son mieux pour  remporter un 3e SB après avoir déjoué les pronostics des rondes éliminatoires. Aux deux derniers matchs où il a brillé, la connexion était à peu près parfaite avec Patrick Mahomes, toujours le meilleur quart-arrière de la NFL. Gager contre ce tandem au prochain SB est à vos risques et périls!

Si son vol Tokyo- USA est à l’heure comme on nous l’a plusieurs fois expliqué, Taylor Swift contribuera à allumer de sa présence un match regardé par plus de 115 millions de téléspectateurs l’an dernier. Ajoutons à cette audience toutes et tous les Swifties nouvellement intéressés par la NFL, prédisons que les cotes d’écoutes seront supérieures à 2023 because la relation Taylor/Travis. Quelle aubaine pour la ligue professionnelle.

On est donc loin, très loin de la pâle midinette des années 2000, aujourd’hui âgée de 34 ans.

Depuis l’enfance, elle n’avait cessé de créer ces chansons incolores, inodores et sans saveur mais…

Elle était une conquérante, déterminée à devenir la plus grande star de l’univers connu. Elle a fait dans la country, mais ensuite dans le folk, dans l’americana, dans la pop-rock, dans l’électro-pop, dans la synth-pop ou même le hip-hop au point d’inclure le brillantissime Kendrick Lamar dans sa chanson Bad Blood.

Elle a pondu des centaines de chansons pour la plupart prévisibles, faisant preuve néanmoins d’une connaissance profonde de la culture populaire en musique. Les textes, les choix harmoniques, les mélodies accrocheuses, les références aux genres musicaux, tout est maîtrisé, tout est efficacement construit, huilé au quart de tour.

À ses débuts country gnangnan, soit dans les années 2000, elle était cette jolie girl next door, élevée dans une banlieue de l’upper middle class, quelque part entre Philadelphie et Harrisburg. Souvenons-nous de nos gorges chaudes lorsque Kanye West l’avait dénigrée méchamment aux MTV Awards, soit en 2009, alors qu’elle était âgée de 19 ans. « Taylor, je suis vraiment heureux pour toi et je vais te laisser finir (tes remerciements), mais Beyoncé avait le meilleur clip de tous les temps. » 

À l’instar de l’indélicat Kanye qui avait raté une une autre occasion de se taire, nous étions  tout de même très nombreux  à croire que Beyoncé avait une signature beaucoup plus intéressante et innovante de la pop culture. Nous sommes aussi nombreux à juger Beyoncé nettement supérieure, que le répertoire de Taylor Swift est constitué de chansons génériques, pré-digérées, sans réelle signature artistique.

Et… bien évidemment, il s’en trouve bien plus que nous à penser exactement le contraire et à s’échanger des bracelets de l’amitié en tirant la langue dans notre direction.

Sans signature aucune, Taylor Swift? Nuançons. Rapidement, elle a exploré d’autres territoires sonores que celui de la country-pop. Elle entreprit de maîtriser un lexique chansonnier de plus en plus vaste, au point même de travailler avec des artistes plus que crédibles de la mouvance indie l’ayant précédée. Souvenons-nous de l’album Folklore sorti en juillet 2020, avec des participations marquant d’Aaron Dessner (The National) et de Bon Iver. Oui madame !

Alors rien, absolument rien de cette kid star parmi tant d’autres ne laissait présager la générale des armées qu’elle est devenue.

On a beau rester indifférent devant la chanteuse et sa marque impériale, on ne peut nier les valeurs de Taylor Swift dans le contexte actuel:  féministe, centriste, pro-démocrate, pro LGBTQ +. Sa personnalité et sa posture socio-politique seraient-elles plus intéressantes que son art ? Poser la question…

Vous vous doutez bien que les attaques contre Taylor Swift n’ont pas tardé à se multiplier en cette phase embryonnaire de la campagne présidentielle. Sur le web, les conspirationnistes d’extrême-droite voient en elle une fabrication de l’establishment démocrate.

Le « narratif » complètement schizoïde de ces millions de paumés consiste aussi à nier sa relation amoureuse avec Travis Kelce, une fabrication du Deep State il va sans dire, et que le match Chiefs-Niners serait truqué au profit des Chiefs et du gouvernement américain. Et que dire de ce deep fake dégueulasse de la chanteuse dans un faux film porno.

Et quoi encore? Bien plus encore.

Le prochain chapitre, d’ailleurs, pourrait être politique. Peu probable qu’elle soit politicienne à ce stade de son existence, mais on ne pourra alors qu’applaudir (paradoxalement) son pouvoir réel d’influencer la nation américaine dans un sens autre que celui du néo-fascisme trumpiste… qui pourrait fort bien triompher l’automne prochain.

Photo FB Taylor Swift

PAN M 360 fait peau neuve ! « Aucune plateforme spécialisée n’aborde la musique comme nous le faisons. »

par Rédaction PAN M 360

Désormais considérée comme une plateforme de référence pour les mélomanes, artistes, professionnels de la production et de la diffusion, pédagogues ou étudiants, bref pour tout l’écosystème musical, PAN M 360 fait peau neuve et lance officiellement la seconde phase de son développement. Au cours des dernières semaines le nouveau site PAN M 360 a été rodé, peaufiné, nous sommes fins prêts à lancer la phase 2 de notre développement. Dans le contexte de notre soirée de lancement du 25 janvier chez Ausgang Plaza, l’équipe de rédaction s’est entretenue avec Alain Brunet. Il rappelle les motivations pour lesquelles il a fondé PAN M 360 et pourquoi la plateforme est devenue un outil essentiel au milieu de la musique.

Comment a commencé l’aventure PAN M 360?

J’ai quitté La Presse avant l’âge de la retraite afin de créer un outil de référence, estimant que les médias traditionnels (qui m’ont fort bien traité au demeurant) ne pouvaient plus mener seuls la mission du référencement en musique, au-delà des évidences et trop peu d’exceptions – vedettes pop, artistes québécois en vue, artistes des musiques moins prisées par les auditoires de masse (chanson, électro, hip hop, rock, etc.), artistes des musiques dites sérieuses (au-delà des évidences locales et des vedettes internationales), artistes issus de la diversité culturelle, artistes autochtones. Longtemps, les plateformes généralistes ont pu assumer ce rôle mais la crise des médias les a fragilisés, notamment dans le référencement des productions spécialisées. En tant que journaliste spécialisé, j’ai senti qu’il fallait essayer autre chose et préparer l’avenir dans un environnement numérique.

Sentiez-vous vraiment qu’il y avait un besoin pour une autre plateforme musicale ?

Absolument. Les médias traditionnels ne suffisaient plus. Il existait déjà des plateformes locales (Le Canal Auditif, Sors-tu.ca, Atuvu.ca, Ludwig Van, Scena Musicale, Feu à volonté, etc.) mais il n’en existait aucune de notre type. À l’échelle canadienne, en Amérique du Nord ou en Europe, il n’existait pas non plus de plateforme comme celle dont je rêvais. La plupart des plateformes existantes étaient menées par des passionnés et artisans sincères, mais je croyais qu’il fallait une réplique structurante, initiée par des professionnels reconnus s’associant à la relève du référencement musical de pointe et du journalisme culturel. Nous souhaitions être un complément à ce qui existait déjà.

En quoi PAN M 360 est différente des autre plateformes musicale?

PAN M 360 l’est d’abord par son éclectisme extrême. Plusieurs médias spécialisés en musique couvrent plusieurs styles musicaux mais aucune ne le fait comme nous le faisons. Plus précisément, nous nous intéressons à TOUTES les formes de l’écosystème musical : hip-hop, rock, électro, chanson, mais aussi musiques classiques occidentales, arabes, perses, musiques africaines, antillaises, latino-américaines, européennes. Nous ne voyons absolument aucune hiérarchie de genres dans notre couverture et nous n’opposons pas les musiques simples aux musiques complexes ou expérimentales. Nous croyons qu’il est pertinent de s’intéresser à toutes les musiques, y compris les phénomènes de masse. De plus, nous n’avons pas de posture générationnelle, notre équipe est composée d’artisan.e.s issu.e.s de toutes les générations et de toutes les cultures. Enfin, nous avons décidé de présenter une version française et une version anglaise de nos contenus, parce que nous estimons que notre produit a une envergure pan-canadienne, nord-américaine ou même mondiale. D’ailleurs, près de 40% de nos usagers proviennent de l’extérieur du Québec. Nous avons donc des velléités internationales! En somme, aucune plateforme spécialisée n’aborde la musique comme nous le faisons.

Quels sont les défis que vous avez rencontrés ?

Le défi principal et de capter le temps d’attention des mélomanes, artistes, pédagogues, etc. Même les humains les plus raffinés, férus de culture, sont bombardés quotidiennement d’informations, il est extrêmement difficile de les fidéliser. Notre plus grand défi consiste donc à accroître notre rayonnement avec les meilleures stratégies de marketing web. Le financement de notre plateforme représente aussi un défi majeur. Nous avons tenté un modèle payant au départ croyant naïvement que les mélomanes seraient au rendez-vous. Or quelques centaines ont accepté de payer et la pandémie (durant laquelle PAN M 360 est née), ce qui était nettement insuffisant. En fait les difficultés informatiques d’un système avec abonnement payant pour une plateforme de cette taille étaient beaucoup trop grandes et impliquaient beaucoup trop de problèmes techniques. Nous avons finalement abandonné le mur payant en 2023 et miserons très bientôt sur le sociofinancement. Nos revenus autonomes proviennent essentiellement des partenariats conclus avec l’écosystème de la musique et un financement public encore très modeste. Immense défi !

À quoi s’attendre le 25 janvier?

Sauf exceptions, toute la famille PAN M 360 sera au rendez-vous. Nous présenterons notre nouveau design, nos projets audiovisuels à venir, et les contributeurs.trices de la famille PAN M 360. Nous pouvons compter sur un bassin exceptionnel d’experts en musique qui acceptent courtoisement de participer à ce projet porteur et structurant, malgré les défis de rayonnement et de financement qui se poseront en 2024. Nous parlerons aussi de notre projet de mutualisation des plateformes indépendantes de contenus culturels, qui pourrait être un véritable game changer à moyen et long termes pour le référencement de l’art.

Ouverture d’Igloofest : (re)découvrez Marc Rebillet en 5 chansons

par Elsa Fortant

Alors que Marc Rebillet s’apprête à enflammer la scène principale du festival le plus froid du monde, Igloofest, échauffez vos esgourdes avec ces cinq pépites musicales représentatives de son univers électro-funk-hip-hop-techno-house-délirant. 

La discographie du natif de Dallas est une démonstration impressionnante de sa virtuosité en matière de boucles et d’arrangements complexes, autant en direct (on se souvient de ses sessions de livestreams sur les réseaux sociaux lors de la pandémie) qu’en studio. Ses textes sont teintés d’humour, d’ironie et de satire et son énergie est communicative. Le surnom qu’il arbore avec fierté – qui est aussi le titre de plusieurs de ses albums – « Loop Daddy » lui va comme un gant. Vous le verrez et l’entendrez par vous-même ce soir, le franco-américain excelle dans l’art de l’improvisation. Laissez-vous surprendre et soyez prêt.es à danser et bien vous marrer !

  1. Reach Out
  1. The Way You Make Me Feel – avec The Kount et Moods
  1. I Want To Die 
  1. Let Me See Your Dick 
  1. Funk Emergency 

100 millions de plus… 125 millions de moins… et quoi encore ?

par Alain Brunet

Que valent vraiment 100 millions $ de plus pour aider les médias traditionnels, gracieuseté d’un géant du web? Que valent 125 millions $ de moins chez CBC / Radio-Canada ?

Voilà que cette somme de 100 millions $, récemment obtenue d’Alphabet / Google au Canada et arrachée de haute lutte au géant du web, est relativisée par les coupures de CBC/Radio-Canada: 125 millions $. Le budget annuel du diffuseur public était de 1,3 milliard $ avant les coupures impliquant 800 postes répartis dans les services anglais et français de la société d’État.

Compare-t-on des pommes avec des oranges ? NON. Cet alléchant paquet cadeau de 100 millions de Google n’a rien d’une panacée et nous permet d’évaluer la grosseur réelle de la tarte à partager entre tous les médias canadiens, dont les revenus fondent comme neige au soleil. 

Après que les médias écrits ont essuyé les premières baffes, voici la toute puissante télé traditionnelle qui plie les genoux. Cet automne, TVA a réduit considérablement son personnel, la Coopérative nationale de l’information indépendante en a fait de même il y a quelques semaines au tour de CBC/Radio de connaître une journée noire ce lundi 4 décembre. Une baisse de revenus de 44% depuis l’an dernier ont conduit les gestionnaires à couper kif kif chez les anglos et les francos. Plusieurs experts considèrent cela inéquitable car les parts de marché de Radio-Canada sont de 24% et celles de CBC le sont de 4%. À cela, la direction de la société d’État réplique que la portée des deux services sur le web sont à peu près égales. Sur le fond… on devine que la direction de CBC n’aurait pu supporter le poids politique d’admettre les scores trop bas de la CBC dans la sphère traditionnelle.

Alors retournons à Google, dont les compensations sont beaucoup trop minces pour inverser la tendance. La posture monopolistique des GAFAM est loin, très loin d’être ébranlée avec cet octroi, somme toute beaucoup trop modeste si on le met en perspective. Selon des économistes américains de l’université Columbia cités lundi à RDI, Google devrait plutôt octroyer 750 millions$ au Canada plutôt que 100 millions. Hypothèse progressiste pour l’instant…. Car il  y a loin, très loin de la coupe au lèvres.

Qu’on le veuille ou non, les médias traditionnels se dirigent de moins en moins lentement et de plus en plus sûrement vers ce changement de paradigme. La crise des médias traditionnels est-elle un cancer incurable ? Poser la question…

Inéluctable, ce déclin de l’écosystème médiatique traditionnel se poursuivra, la descente aux enfers ressemble étrangement à celle de l’industrie de la musique dans les années 2000. Depuis lors, les revenus de la musique ont été progressivement concentrés dans les portefeuilles d’une infime minorité de pop stars qui dominent outrageusement les plateformes d’écoute en continu. L’immense majorité se partage des miettes et les métiers de la musique ne progressent plus depuis deux décennies… sauf pour Taylor Swift et consorts, bien évidemment.

Avec les traumatismes de plus en plus sévères vécus à la télé traditionnelle, un portrait comparable se dessine et il est beaucoup plus considérable que celui de la musique: des géants du web indélogeables, l’écroulement des anciens géants des écosystèmes nationaux et… une foule de petites initiatives qui poussent sur le web et qui cherchent à opposer de nouveaux modèles aux monopoles, américains pour la plupart. Inutile d’ajouter que les plateformes comme PAN M 360 font humblement partie de la solution à long terme.

Deuil national: « Les Cowboys Fringants c’est nous autres »

par Alain Brunet

« Les Cowboys c’est nous autres », a dit hier le ministre de la Culture et des Communications du Québec. Généralement, je ne cite pas un ministre évoquant des lieux communs dans de telles circonstances mais… cette fois, pour une fois, un ministre a choisi la bonne ligne.

À gauche, à droite, au centre, les personnalités publiques s’expriment depuis mercredi PM. Le PM, acronyme d’une autre signification, a d’ailleurs tweeté une « poésie » de l’étoile filante, le maire de Québec y est allé d’une longue et vibrante apologie sur les ondes radio-canadiennes, le maire de Repentigny (où les Cowboys ont grandi) a exprimé son admiration et ses condoléances, sans compter le chef péquiste, l’auguste vétéran chanteur Michel Rivard, l’humoriste (et animateur sortant du gala de l’ADISQ) Louis-José Houde, d’autres artistes connus et tous ces fans mettant en œuvre des hommages spontanés, à commencer par celui de l’Assomption ou vivait Karl Tremblay avec sa petite famille.

Tous les médias traditionnels convergent naturellement vers ce deuil aujourd’hui, les drapeaux sont en berne, des funérailles nationales sont évoquées. Bref, c’est très gros! Beaucoup plus important que je ne l’aurais cru. Il s’agit de toute évidence de la plus retentissante mort prématurée d’un chanteur québécois de souche et blanc de peau depuis celles de Gerry Boulet en 1990 et de Dédé Fortin en 2000. À bien y penser, cette réaction collective est encore plus considérable.

À entendre les hommages officiels qui déferlent, Karl Tremblay a la stature des plus grandes figures de proue de la chanson québécoise francophone, toutes époques confondues. Que dire de plus ? Rien pour l’instant. Vraiment pas l’occasion des évaluations historiques. Toutefois…

En tant que chroniqueur musique, j’ai assisté aux débuts fulgurants des Cowboys Fringants puis je m’en suis lassé rapidement comme d’autres citoyens las d’une québécitude blanche et francophone faisant du sur-place. Ce n’était pas tant l’œuvre des Cowboys, éminemment respectable, que ce qu’ils pouvaient incarner.

Démobilisation? Déconnexion? Snobisme ?

Sûrement une déception et une démobilisation quant à la mollesse d’une nation québécoise ayant voté non à deux reprises, n’ayant plus le même élan, de plus en plus insulaire, de plus en plus encline à la fermeture et à un anti-intellectualisme navrant. 

Sûrement une posture montréalaise aujourd’hui plus proche du cosmopolitisme et de l’interculturalisme. Personnellement, ça m’a détourné des chansons des Cowboys Fringants que je m’applique à écouter aujourd’hui dans le contexte de ce décès tragique – puisque Karl Tremblay n’avait que 47 ans.

Sûrement une déconnexion volontaire de la mouvance keb de souche et l’adoption progressive de valeurs mondialistes au détriment d’un nationalisme étroit qui s’ouvre si peu avec la nouvelle vague à l’ère PSPP.

Sûrement un snobisme perçu par celles et ceux qui croient encore au projet québécois francophone tel qu’il fut mis de l’avant dans les années 60 et 70.

Quoi qu’il en soit, il faut faire acte d’humilité aujourd’hui et reconnaître sans hésiter la profondeur des chansons écrites par Jean-François Pauzé, interprétées par Karl Tremblay et les collègues des Cowboys Fringants dont Marie-Annick Lépine, sa compagne bien-aimée et mère de ses enfants. 

Il faut reconnaître cette sagesse populaire exprimée dans ces chansons réalistes du Québec francophone. Regards lucides et limpidement exprimés sur notre continent, sur notre identité culturelle, sur nos conditions sociales, sur la politique, sur l’environnement, sur l’amitié, l’amour, la vie.

Il faut surtout reconnaître les valeurs progressistes mises en chansons des Cowboys Fringants, fidèles au nationalisme d’ouverture, à ce centre-gauche optimiste et presque candide, à ce projet de souveraineté politique imaginé par René Lévesque et le Parti Québécois, il y a plus d’un demi-siècle.

À l’évidence, cette posture a été adoptée par les Cowboys Fringants, devenus puissant miroir d’un peuple bien au-delà de leur œuvre. Et c’est pourquoi ce répertoire a frappé dans le mille pendant plus d’un quart de siècle, et ce jusqu’au concert désormais mythique donné en juillet dernier au Festival d’été de Québec dont la conclusion fut marquée par les ultimes remerciements de Karl Tremblay : « Nous étions les Cowboys Fringants », questions d’annoncer son départ imminent dans une autre dimension.

“Nous étions les Cowboys Fringants”… Vraiment ? À l’évidence, les kebs de souche sont tous aujourd’hui des Cowboys Fringants, où qu’ils se situent dans le spectre, quoi qu’ils pensent de l’état des choses en Amérique francophone, quelle que soit leur motivation à poursuivre cette aventure autrefois palpitante, telle qu’elle fut imaginée à une époque révolue pour certains…. mais toujours en cours pour l’immense majorité keb franco, force est d’admettre.

Bien avant Madonna, Suzy Solidor, la sulfureuse icône des années 1930

par Claude André

Si l’on associe dans l’imaginaire collectif les premières célébrations de masse de la beauté à Marylin Monroe et la mise en marché de l’audace féminine à Madonna, la mise en avant de l’homosexualité font davantage référence à des figures plutôt masculines, comme Freddie Mercury ou Elton John. Cependant, il y eut en France une pionnière qui embrassa ces trois concepts à la fois, et ce, dès… les années 30!

Née en 1900 à Saint-Malo et décédée 83 ans plus tard à Cagnes-sur-Mer, Suzy Solidor sut s’imposer au point de devenir la grande figure iconique des Années folles. Avant-gardiste, elle obtient son permis de conduire à l’âge de 16 ans, chose très rare pour une femme à l’époque, ce qui la conduisit à s’engager comme ambulancière quelques mois avant l’armistice de la Première Guerre mondiale.

Une attitude de frondeuse anticonformiste qui caractérisera toute sa vie. Ou plutôt ses mille vies, faudrait-il dire.

Dotée d’une beauté sculpturale et athlétique, cette future artiste, née d’une fille-mère, sut très vite utiliser les arts visuels, peinture et photographie, pour créer sa propre légende.

C’est ainsi qu’elle fut, non seulement portraiturée deux fois plutôt qu’une par Francis Bacon, mais aussi plus de 200 fois notamment par, excusez du peu, Jean Cocteau et Tamara de Lempicka, dont le tableau d’inspiration cubiste de 1933, intitulé Portrait de Suzy Solidor et conservé au château-musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer, est devenu très célèbre.

Dans ce musée d’art moderne et contemporain, l’exposition temporaire Suzy Solidor, une vie d’images présente des portraits, des archives et, surtout, le fruit de récentes recherches dans divers fonds photographiques qui ont permis de découvrir plus de 300 clichés, dont plusieurs nus, qu’il est loisible d’admirer jusqu’au 6 novembre. « Je suis plus à peindre qu’à plaindre », disait avec humour celle que l’on surnomma « la Madone des matelots » pour ses chansons de marins.

Partie de Saint-Malo pour Paris à l’âge de 20 ans afin d’y embrasser une carrière dans le mannequinat, Suzy Solidor fait la rencontre de l’antiquaire Yvonne de Bremond d’Ars qui l’initie à l’art et à la vie mondaine, et avec laquelle elle vit une relation amoureuse pendant 11 ans.

Émancipée sur tous les plans, elle est une habituée des plages de Deauville, où elle se rend en maillot à paillettes pour le plus grand plaisir des photographes de tout acabit.

Elle a 33 ans lorsqu’elle ouvre son premier cabaret, « La Vie parisienne”. Succès immédiat auprès d’une clientèle homosexuelle mais pas seulement. Celle qui s’est lancée dans la chanson se démarque par sa voix grave, « qui vient du sexe » comme le dira son ami Cocteau, et sa coiffure à la garçonne qu’elle teindra en blond en plus d’épiler ses sourcils et de sensualiser ses lèvres charnues d’un rouge vif.

Queer avant la lettre, ses amours se vivent au grand jour, ou plutôt à la grande nuit, dans son établissement nocturne où se croisent Cocteau, Marlene Dietrich, Joseph Kessel ou Charles Trenet, qu’elle lancera sur scène. Si elle ne dédaigne pas les garçons, elle a un penchant plus marqué pour les demoiselles. Comme en témoigne cet extrait de sa sulfureuse chanson « Ouvre » :

Ouvre tes jambes, prends mes flancs
Dans ces rondeurs blanches et lisses
Ouvre tes deux genoux tremblants
Ouvre tes cuisses

Ouvre tout ce qu’on peut ouvrir
Dans les chauds trésors de ton ventre
J’inonderai sans me tarir
L’abîme où j’entre

Dans son cabaret fréquenté par de nombreux officiers allemands pendant l’Occupation, elle interprète en version française la célèbre chanson allemande de « Lili Marleen », et ce, au grand plaisir des nazis, mais aussi des Alliés par la suite.

En plus de chansons d’amour dont certaines sont composées par Marguerite Monnot, la célèbre complice de Piaf. 

C’est probablement parce qu’elle chanta à station Radio-Paris, une antenne collabo, et aussi qu’elle y lut un texte insultant pour le roi d’Angleterre, que Suzy Solidor fut traduite devant la commission d’épuration des milieux artistiques, à la Libération.

Exil et retour

On lui infligea un simple blâme accompagné d’une interdiction d’exercer pendant cinq ans en dépit, paraît-il, du témoignage favorable de quelques résistants.

Elle s’exila aux Etats-Unis, puis revint à Paris en 1954, y ouvrit le cabaret « Chez Suzy Solidor » près des Champs-Élysées, avant de se retirer six ans plus tard sur la Côte d’Azur.

Celle qui fut aussi actrice et romancière ouvrit un cabaret à Cagnes-sur-Mer, qu’elle décora de 224 de ses portraits. Il y a 50 ans cette année, elle en offrit à sa ville d’adoption une quarantaine, que l’on peut voir dans cette expo temporaire. Il est d’ailleurs assez fascinant de comparer les styles artistiques qui se côtoient face à un même et unique modèle.

En France, Susy Solidor aura ouvert la voie à Catherine Lara, Juliette et, plus près de nous, Aloïse Sauvage et Hoshi. Au Québec, si d’autres chanteuses penchent aussi pour les amours saphiques, la chose semble encore plutôt discrète, mise à part Safia Nolin. Il faut dire que même 90 ans après les tabous brisés par Suzy Solidor, plusieurs ont encore du mal à vivre et laisser vivre, comme en témoignent les nombreuses et déplorables insultes et menaces de mort reçues sur les réseaux asociaux par l’excellente Hoshi. Cela dit, rendons à Suzy ce qui revient à Solidor en termes de courage, d’intuition et d’avant-gardisme éclairé. 

Suzy Solidor, une vie d’images

Jusqu’au 6 novembre 2023

Château-musée Grimaldi

Cagnes-sur-Mer

Chanson francophone / Électronique

Gainsbourg : le mot exact

par Claude André

De passage à Paris, alors que j’avais encore en tête l’hommage rendu à l’homme à tête de chou par la formation Strictly Gainsbourg au Verre Bouteille, situé sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal, j’ai évidemment saisi l’occasion de visiter l’expo qui lui est consacrée au Centre Georges Pompidou jusqu’au 3 septembre.

Il est frappant de constater, pour le quinqua que je suis, à quel point le précurseur Gainsbourg appartient à une époque qui ne pourrait plus avoir cours aujourd’hui, tant la doxa a changé.

Notamment en raison de la culture de l’annulation, dont les principaux soldats ne sauraient supporter de laisser la voix libre à certaines de ses provocs, comme La Marseillaise en version reggae (appropriation culturelle, alors que l’objectif était justement de décloisonner l’hymne français), brûler un billet de 500 francs à la télé (il aurait pu le donner à des nécessiteux, pardi!) ou propos disgracieux à l’endroit de Catherine Ringer qui, non seulement lui a pardonné, mais n’a pas hésité à interpréter l’une des plus belles reprises du classique Je suis venu te dire que je m’en vais .

« Il se souciait beaucoup de ce que les gens ressentaient et pensaient lorsqu’on le critiquait. Tellement de choses l’ont beaucoup blessé. Notamment les attaques antisémites qui l’ont visé. Durant la Seconde Guerre mondiale, où il a dû porter l’étoile jaune, mais aussi, bien après, en 1979 quand sa réinterprétation reggae de La Marseillaise lui a valu d’être accusé de vouloir faire de l’argent avec l’hymne national », rappelait sa fille Charlotte dans une entrevue accordée au Guardian1 en 2019.

Dans une ère où les « progressistes » ont souvent raison, mais souvent torts aussi, certains semblent confondre une approche morale, qui est en fait un retour à des valeurs élisabéthaines qui s’ignorent, et progrès social.

Nombre de ces parangons de vertu ont l’air d’ignorer que l’art a aussi vocation à transgresser certains tabous et à déranger, plutôt que de conforter. Gainsbourg faisait les deux. Et avec un doigté encore inégalé.

Étoile jaune

Peut-être parce qu’il était un fils d’immigrant ayant porté l’étoile jaune (Guimbard sur ses faux papiers) , le jeune Ginsburg, influencé en cela par Boris Vian qui avait surmonté sa timidité pour monter sur scène, sut manier la langue française de façon exceptionnellement ludique, voire jubilatoire.

C’est aussi ce que nous rappelle cette expo, modeste sur le plan du contenu, mais néanmoins fascinante. Ainsi, pour Gainsbourg, il s’agissait d’abord et avant tout de trouver le titre d’une chanson. « Le mot exact”, qui est aussi le nom de l’exposition, et le gros du travail était effectué, puisqu’il articulait ensuite son texte autour.

Passé maître dans le maniement de la langue et de l’allitération (« […] j’avoue, j’en ai bavé pour vous […] »), Gainsbourg était aussi un musicien accompli et, s’il a qualifié la chanson d’art mineur dans une célèbre dispute télévisée avec Guy Béart, il l’a sans doute transformée en art majeur.

Inspiré par les célèbres doubles littéraires du 19e siècle, que l’on retrouve chez Maupassant, Oscar Wilde ou Edgar Poe et qui figurent dans sa bibliothèque, Gainsbarre « a brouillé les pistes en incarnant un chanteur narrateur ambigu », nous rappelle l’expo. Faisant ainsi figure de visionnaire en regard des médias de masse à une époque où il pressentait leur pouvoir s’amplifier.

Amateurs de poésie latine autant que de théâtre élisabéthain, les poètes favoris de l’artiste demeurent Rimbaud et Baudelaire, mais il avait aussi un penchant pour les écrits provocateurs du marquis de Sade, les romantiques et, notamment, les symbolistes. Fort de sa culture avec un grand C, l’artiste ne dédaignait pas pour autant la pop culture et dans sa maison bientôt musée de la rue Verneuil, il s’entourait de bios de musiciens, de romans policiers, de bédés, de livres d’art, de photos et de cinoche, marquant ainsi « sa création dans un vaste réseau d’intertextualité ».

Noceur invétéré, ce dandy trash qui se parfumait au Van Cleef & Arpels collectionnait les cartes de membres de boîtes de nuit, mais aussi les autographes de célébrités rencontrées au hasard de ses pérégrinations nocturnes, dont celle de Muhammad Ali, et ne conservait souvent que la page dédicacée des livres qui lui étaient offerts.

En espérant que cette expo se déplace sous le ciel du Québec, je ne saurais trop vous recommander de surveiller le prochain spectacle de Thibaud de Corta, Bruno Rouyère, André Désilets, Valéry St-Gelais, Pascal Gingras et la pétillante figure sixties Rose-Marie dans un prochain spectacle au Verre Bouteille ou ailleurs. 

Salut, vieille canaille.

Crédit photo: Christian Simonpiétri pour le Centre Pompidou

POUR EN SAVOIR PLUS LONG SUR L’EXPO CONSACRÉE À GAINSBARRE, C’EST ICI

chanson / jazz / pop

Marre de mourir ? Pharoah Sanders, Ahmad Jamal, Jean-Louis Murat, Tina…

par Alain Brunet

J’ai toujours détesté écrire sur les morts lorsque mes patrons me l’ordonnaient. Chaque fois, je finissais par le faire et admettre cette tâche incontournable des journalistes culturels dans les médias traditionnels. Oui, cette tâche était essentielle et le demeure: en général, le public ne se fait pas prier pour lire sur la vie des artistes (au-delà de leurs préférences) qui viennent de passer à une autre dimension.

Sous mon radar funèbre récemment, le grand Wayne Shorter dont j’ai fait l’apologie. Mais j’avais omis, inconsciemment j’imagine, de souligner la disparition du saxophoniste Pharoah Sanders en septembre 2022, et plus récemment du pianiste Ahmad Jamal. La mort récente de l’auteur-compositeur-interprète français Jean-Louis Murat, un des plus grands de la chanson française des années 80,90,2000, 2010, 2020, me rappelle ce blocage que je dois une fois de plus combattre. Et que dire de la disparition de Tina Turner, autre clou dans le cercueil de ma résistance à cette pratique incontournable de la commémoration.

Rappelez-vous le récent enregistrement du producteur électronique Floating Points, avec le London Symphony Orchestra et Pharoah Sanders pour soliste principal. Le saxophoniste coiffait sa carrière et reconfirmait l’impact colossal sur les jazzophiles.  Chez les moins de 40 ans, plusieurs le portaient même en plus haute estime que John Coltrane ou Wayne Shorter, des musiciens pourtant supérieurs. Pharoah Sanders était un homme d’un instinct exceptionnel, ayant su capitaliser sur ses capacités techniques spectaculaires (overblowing, harmoniques, sons multiphoniques) qui compensaient sur son articulation mélodique et sa piètre envergure compositionnelle. Depuis les années 60, en fait, Pharoah Sanders a répété les mêmes mantras saxophonistiques et solidifié son propre mythe en collaborant avec de jeunes artistes qui le vénéraient comme ils vénèrent Sun Ra, un de ses premiers employeurs.

Il y a quelques semaines mourait Ahmad Jamal, un des plus doués musiciens de toute l’histoire du jazz, dont la longévité exceptionnelle aura permis d’asseoir sa réputation  de génie pianistique. Pour l’avoir interviewé et assisté à plusieurs de ses concerts, je puis témoigner de ce talent d’exception. L’homme fut consacré dans les années 50, à la même époque d’Oscar Peterson alors considéré comme un supravirtuose du jazz. Plus audacieux, plus aventureux, plus moderne et tout aussi virtuose que son collègue canadien, Ahmad Jamal n’obtint pas ce statut colossal avant le dernier tiers de sa carrière qui s’est conclue à l’âge de 92 ans. Une fois de plus, on constate que les visionnaires, aussi talentueux soient-ils, mettent beaucoup plus de temps à s’imposer… trop souvent après leur mort. Heureusement, ce ne fut pas le cas du brillantissime Ahmad Jamal, par ailleurs l’un des premiers jazzmen afro-américains convertis à l’Islam au milieu du siècle précédent.

Du jazz moderne, on doit expressément passer à la chanson française car la mort précoce de Jean-Louis Murat cette semaine est un choc pour tous les fans de chanson française qui se respectent.  Une embolie pulmonaire aurait eu raison de cet artiste d’exception, enclin à l’autarcie et la misanthropie. Ses propos jugés sexistes sur la chanteuse pop Angèle lui ont récemment valu les foudres du jeune public. Libre penseur, antithèse du citoyen consensuel, Murat n’en était pas à ses premiers commentaires sur ses collègue, ayant naguère dénigré Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman pour les raisons qu’on imagine. Murat avec qui j’ai maintes fois sympathisé, n’était pas un gentil garçon pour le commun des mortels. Plusieurs auront retenu de lui son côté grognon et méprisant, intransigeant face à la bêtise,  au point de se faire vraiment mal comprendre ou percevoir. Tant pis pour ces observateurs sommaires, car Murat a été un des plus grands auteurs et compositeurs de chanson de notre époque, l’Histoire le confirmera j’en ai l’intime conviction. Connaissance profonde des chansons francophones et anglophones, connaissance profonde des mots, connaissance profonde des sons, hyperlucidité, pessimisme, sensualité, audace, travail acharné. Merci Jean-Louis.

Et puis… que dire de plus sur Tina Turner, que la planète entière vient de glorifier pour les bonnes raisons  ?  PAN M 360 rend aussi hommage à cette victime devenue lionne, modèle de résilience pour quiconque subit la violence conjugale. Mais d’abord et avant tout, Tina Turner fut une reine pop-rock-R&B des années 80 et 90, sa contribution au showbiz de masse est indéniable. Pour avoir rédigé des comptes-rendus de ses spectacles à l’époque, je puis témoigner de son ascendant et de son autorité sur scène. 

À tous ces artistes d’exception, RIP. Retournons vite au présent et à l’avenir.

expérimental / contemporain / musique actuelle

Suite et fin de l’ère Levasseur: les meilleurs moments du 39e FIMAV

par Alain Brunet

Sous la codirection de Michel Levasseur et de Joanne Vézina, le Festival international de musique actuelle de Victoriaville fait désormais partie du passé. Au terme de l’événement tenu de jeudi à dimanche et conclu par deux programmes exceptionnels signés John Zorn, le couple se retire dans ses terres après que Levasseur eut concocté vaillamment les programmations de 39 festivals depuis l’aube des années 80. Dimanche soir au Carré 150, Michel Levasseur fut louangé par John Zorn lui-même et du coup ovationné par le public. Difficile d’imaginer meilleure sortie côté jardin, au terme d’un tel sacerdoce !

Et après?  Les remplaçants de la direction sortante seront nommés en septembre et une nouvelle programmation sera alors mise en chantier pour la suite des choses. Pour l’instant, personne ne sait qui sera recruté et quelle sera la nouvelle facture du FIMAV, jusque là marqué par les personnalités et la vision de leurs dirigreants : un festival ouvert aux changements lents, événement de petite taille, intransigeant et radical, farouche défenseur de la culture en région, néanmoins destiné aux férus de courants marginaux : free jazz, jazz contemporain, impro électronique, drone, hardcore/métal alternatif, avant-rock, bruitisme. 

Facile de prévoir que la direction actuelle ne laissera quiconque « dénaturer » ce qui a été accompli depuis les années 80, mais ne pourra non plus empêcher de nouveaux influx créatifs qui en changeront forcément la donne à moyen terme…  s’ils arrivent bien sûr à leurs fins, c’est-à-dire financer et promouvoir dans les Bois-Francs ces musiques hyper nichées et qui attirent des publics restreints parmi les mélomanes les plus pointus, disséminés pour la plupart au nord-est du continent.

Levasseur l’a répété dimanche au terme de son FIMAV, cette 39e programmation n’avait pas été conçue dans un esprit de retraite, mais… l’inconscient s’est probablement exprimé : la dimension rétrospective de cette programmation (John Zorn, Fred Frith, Elliott Sharp, François Houle, Lori Freedman, etc.) sautait aux oreilles le week-end durant, et il n’y avait absolument pas lieu de se plaindre car les vétérans invités ont été à la hauteur.

VOICI LES MEILLEURS MOMENTS DU 39E FIMAV SELON PAN M 360

CRÉDITS PHOTOS: MARTIN MORISSETTE

MASADA ET JOHN ZORN

Parmi les meilleurs moments de ce long week-end, les deux programmes offerts par John Zorn ont été les plus mémorables et ont coiffé l’événement de son génie. Bientôt septuagénaire, le musicien new-yorkais offrait 3 plateaux distincts en 2 programmes, regroupant  parmi les meilleurs interprètes au service de sa musique. La plus récente mouture de du fameux Masada Quartet regroupait le guitariste Julian Lage, le batteur Kenny Wolleson, le contrebassiste Jorge Roeder et Zorn évidemment au saxophone alto. Le leader a multiplié les consignes en temps réel et ainsi étoffé les thèmes, ponts et conclusions de ses œuvres interactives. Sémitisme mélodique (médirerranéen, moyen-oriental), rythmes jazz, latins ou funk à la Horace Silver, free-jazz parfaitement intégré à des structures thématiques héritées d’Ornette Coleman : voilà les traits fondamentaux de Masada que l’on connaissait déjà, mais cette fois décliné par d’autres personnalités qui lui donnent un nouveau souffle, particulièrement le guitariste Julian Lage qui a servi à son employeur de superbes réparties. Quand on parle d’un concert par-fait, qui se grave pour toujours dans le cortex… wow.

JOHN ZORN ET DEUX TRIOS

Le programme précédent présentait d’autres œuvres de John Zorn, deux trio fort différents. Côté piano, on peut aisément affirmer que Brian Marsella figure parmi les quelques supra-virtuoses du jazz actuel  ayant parfaitement intégré toutes les phases de son histoire contemporaine tout en en conservant les origines stylistiques, soit swing, bebop ou hardbop. Façon jazz, donc, ces pièces  exigeantes de Zorn pour trio acoustique ne pouvaient trouver meilleurs interprètes. L’articulation parfaite de Brian Marsella était soutenue par le jeune batteur Ches Smith, top niveau et le contrebassiste d’exception qu’est Jorge Roeder. En seconde partie de programme, le bon vieux John Medeski (à l’orgue Hammond B3 et aux synthés) était accompagné du guitariste Matt Hollenberg et du batteur Kenny Grohowski. Formation classique du trio jazz pour orgue, certes, mais ce qu’en fait Zorn mène assurément ailleurs, en y conférant entre autres des séquences bruitistes ou carrément hardcore-métal. Impressionnant.

FRANÇOIS HOULE

Autre preuve de longévité au 39e FIMAV, on retient le concert du clarinettiste François Houle, qui nous a permis de nous délecter  de cette relation scellée en temps réel avec le pianiste britannique Alexander Hawkins et de la batteure Kate Gentile. Jazz contemporain au programme : Houle chosit la clarinette de basset pour outil principal, dont il peut modifier le son au moyen d’un jeu personnel de pédale d’effets et autres bidules électroniques. Sa proposition mélodique est étoffée par la riche et très vaste palette stylistique d’Alexander Hawkins aux ivoires et le jeu à la fois virtuose et très personnel de Kate Gentile à la batterie.  Moments  calmes et aériens, moments de ruptures violentes, moments de grâce, remarquables montées et baisses d’intensité, vocabulaire étoffé tant dans l’articulation du discours que dans son galbe textural, complicité idéale entre les interprètes. Le meilleur de François Houle!

LORI FREEDMAN 

La veille (samedi) la clarinettiste montréalaise Lori Freedman, une des habituées du FIMAV, présentait une de ses plus brillantes propositions, soit BeingFive, quatre musiciens occidentaux basés à Berlin et regroupés autour de la Canadienne. Concert de haute subtilité, sorte de pâte feuilletée d’effets variés émanant de la clarinette (Freedman), de la trompette (Axel Dörner), de la percussion (Yorgos Dimitriadis),  de la contrebasse (Christopher A. Williams) et de l’électronique (Andrea Parkins et tous ses collègues). L’idée ici était de passer environ une heure à la recherche des meilleures superpositions dans une optique de ténuité, minceur, délicatesse. Les sons atypiques venus d’instruments typiques de la musique contemporaine traversée par le jazz ont mené à plusieurs destinations, on retiendra  cette longue séquence fondée sur le chuchotement en souffle continu et autres clapotis circonspects. 

VOID PATROL

Un peu plus tard dans la soirée de samedi, retrouvailles avec Elliott Sharp, guitare, Colin Stetson, saxos, Billy Martin, batterie, Payton MacDonald, marimba et vibraphone. Sous le nom Void Patrol, cet ensemble a sorti un premier album en juin 2022 et ainsi généré de l’intérêt auprès des festivals rompus aux musiques actuelles. Pas tout à fait certain que le résultat soit parfaitement ficelé par l’initiateur du projet, Payton MacDonald. Une direction plus serrée et des objectifs communs mieux définis et des expressions individuelles mieux circonscrites auraient permis de conclure à une prestation excellente, alors qu’elle s’est plutôt avérée correcte.

GUY THOUIN

On se souviendra aussi de la re-consécration tardive du percussionniste octogénaire Guy « Yug » Thouin, pionnier québécois des musiques improvisées associées au jazz contemporain et au free jazz. C’était super de contempler la verdeur de cet homme de 83 ans, aucunement amoindri (ou si peu) par l’âge et dont le pouvoir attractif a généré environ 300 séances audiovisuelles From the Basement. Ainsi, la légende vivante fut entourée de quatre saxos ténor (Elyze Venne-Deshaies, Félix-Antoine Hamel, Andréa Mercier, Aaron Leaney), d’une harpe avec filtres électroniques (Marilou Lyonnais-Archambault), du contrebassiste Pablo Jiménez, de la pianiste avec filtres électro Belinda Campbell et du guitariste Raphaël Foisy. Sorte d’orchestre chambre free jazz, l’Ensemble Infini se réunissait une première fois devant public avec le soutien chaleureux d’un public venu à sa rencontre. Bien sûr, il y a encore du travail à faire pour mener le tout aux cimes convoitées. Les thèmes peuvent être peaufinés, les solos épurés, la cohésion d’ensemble améliorée, mais les ingrédients d’un éventuel album sont là.  Pour mener ce projet jusqu’au bout, la direction d’orchestre et les arrangements d’Élyze Venne-Dehaies sera cruciale et on n’a pas fini d’entendre parler de cette jeune tenorwoman dont le leadership naturel ne fait aucun doute.

FRED FRITH

Figure emblématique du FIMAV, le guitariste Fred Frith ne s’y était pas pointé en près d’une décennie, et son retour sur scène n’avait rien d’empoussiéré. La maturité, l’âge et l’érosion de toutes les rigidités ont fait de Fred Frith un musicien encore plus accompli qu’il ne l’est depuis les années 70 du groupe mythique Henry Cow.  Le dernier cycle de son travail serait-il le meilleur de tous? Il est permis de le croire, car tout ce qu’on a entendu vendredi dernier était magnifique. La symbiose de ces collègues réunis depuis plusieurs années (Frith, guitare, Jason Hoopes, basse, Jordan Glenn, batterie) et de leur invitée spéciale (Susana Santos Silva, trompette) était plus que patente. On parle ici sans conteste d’un des plus grands accomplissements de Fred Frith, de quoi rassurer tous les septuagénaires enclins à la créativité et la sagesse acquise.

ZOH AMBA 

Jeudi soir, la jeune Américaine Zoh Amba , 23 ans, révélait son indéniable talent de tenorwoman. Déjà un discours personnel, déjà une grande expressivité parmi les meilleurs musiciens de l’improvisation libre. Elle était entourée du  renommé contrebassiste Thomas Morgan et de deux jeunes musiciens  de talent, soit le pianiste Micah Thomas et le batteur Miguel Marcel Russell. Cet ensemble se démarque d’abord pour sa verve et sa maîtrise des codes free, et bien sûr pour sa soliste dont le rayonnement devrait s’accroître au fil des années à venir. Facile de prévoir qu’elle deviendra une star des festivals d’avant-garde, dont le FIMAV nouvelle mouture à compter de l’an prochain.

ISABELLE CLERMONT – CAMILLE BRISSON

Vendredi PM au chic Centre des Congrès de l’hôtel Victorin, les Trifluviennes Isabelle Clermont (harpe, arts visuels, électroniques) et Camille Brisson (flûte, arts visuels, électroniques), présentaient leur Collectif Tendancielle, soit un fondu enchaîné de tableaux-installations assortis de performances humaines devant public. Design des sons, design des formes, exécutions, exploration, humour. Le premier tableau portait l’enregistrement en boucle d’un « small talk » caricatural entre deux bourgeoises en crinoline, multipliant les clichés empoussiérés de l’idée qu’on peut se faire snobisme. La scénographie de cette performance avec décors, costumes et éclairages se transformera en un dialogue sommaire entre flûte traversière, harpe modifiée et autres effets bruitistes. On se dirigera plus tard vers le plus créatif des tableaux au programme, soit l’usage des effets de réverbération, percussion, textures et bruits émanant d’une vaste batterie de cuisine. Force est d’observer que ce touffu work in progress prête aussi à différentes interprétations critiques des rapports sociaux. Échevelé, créatif, divertissant.

MONTRÉAL AU SOMMET DE LA NUIT :  UNE AUTRE NUIT EST POSSIBLE 

par Salima Bouaraour

La Nuit. Une temporalité spatiale à conquérir. Un nouveau territoire de l’infini. Stigmatisée comme le lieu de toutes les insécurités, son image souffre d’un paradoxe ancestral. Convoitée pour les plaisirs qu’elle offre, elle est aussi surveillée ou interdite en raison d’être perçue comme un espace de dépravation où seule la répression apaise les peurs. Et, pourtant!

La Nuit est multidimensionnelle, créative, rassembleuse, ingénieuse et la portée de ses activités fait rayonner des métropoles à l’internationale. En 2020, étant pleinement consciente du potentiel incroyable de Montréal, l’administration Valérie Plante lance un grand chantier de réflexion sur la vie économique nocturne. Le Sommet, organisé par MTL24/24 depuis 2020, s’inscrit dans cette lancée. Cette année, 40 conférenciers, locaux et internationaux, ont été invités par Mathieu Grondin et son équipe à déployer connaissances, recherches, expériences et possibilités inspirantes afin de réinventer nos espaces et nos temporalités. Comment laisser place à la réconciliation voire la symbiose harmonieuse du jour et de la nuit plutôt que de nourrir leur dualité?

Cette première journée du 17 mai ne fait plus seulement lancer des pistes de réflexion ou d’échanges mais expose indéniablement les voies de multiples réalisations concrètes à l’avenir fructueux. Après Berlin, New York, Tokyo et Stockholm, c’est à Montréal de faire l’objet de l’étude Creative Footprint (CFP) menée par le VibeLab, s’alignant ainsi avec les quatre autres villes internationales. Pour plus de détails sur les résultats de l’étude, consultez l’entrevue de Diana Raiselis, chercheure principale de CFP Montreal.

Une succession d’exposés sur les réussites des projets de développement des activités nocturnes prend place. On y découvre que les communautés réinvestissent les espaces le long des berges des fleuves comme celui de la Spree, en Allemagne. Le HOLZMARKT BERLIN est devenu un espace dynamique et florissant avec une belle rentabilité grâce à la gestion par la communauté de la nuit (bars, clubs, restaurants).

Les questions concernant l’aménagement urbain et architectural sont centrales à cette édition du Sommet qui porte sur l’espace de la nuit « nox spatium ». Les chercheurs des night studies comme Luc Gwiaździński (École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse) revisitent les notions enseignées au sein même des écoles. La nuit doit être pensée et intégrée dans la conception intrinsèque de la ville dès la gestation d’un projet ou d’un aménagement. Il faut penser à unir diurne et nocturne sur les bancs des universités. Ça aidera davantage à changer les mentalités. Les villes doivent être pensées et construites dans leur globalité et non plus de manière segmentée.

La présentation de projets en périphérie de la ville comme le Parc Culturel à La Haye de PIP Den Haag (Steven Van Lummel et David Schoch) nous montre comment des parcs ou des terrains pourraient être exploités davantage et mis au service de la nuit.

$teven Ra$pa, cofondateur du Burning Man a partagé sa vision d’une vie civique nocturne lié à la réussite du Black Rock
City, dans le Névada, USA.

Cette première journée d’échange s’est conclue sur la projection du documentaire GOD SAID GIVE’EM DRUM MACHINES retraçant l’histoire de la Techno à Détroit.

Les décisionnaires ont toutes les clés en main pour nous assurer une cohabitation nocturne sereine et prospère!

Retrouvez toute la programmation ici

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