Nous sommes le 4 décembre, et la première neige de l’année tombe sur la ville. Ce soir, on se retrouve au centre-ville, dans la Salle Multimédia du pavillon Elizabeth Wirth. Pendant que l’Orchestre Jazz de McGill se délie les doigts dans le Tanna Schulich Hall, l’Ensemble de musique contemporaine de McGill, sous la direction de Mélanie Léonard, nous offre un concert de circonstance, placé sous le thème de la neige.
En guise d’entrée, nous avons assisté à la création de l’œuvre Distant Paths du compositeur Kalen Smith. Composée dans le cadre de sa thèse, cette pièce d’une quinzaine de minutes mobilise une quinzaine de musiciens comprenant bois, cuivres, cordes, harpe, piano, batterie et autres percussions. L’œuvre explore les contrastes : linéarité et non-linéarité, tonalité et atonalité, mouvement et stoïcité, fondus enchaînés et ruptures abruptes. Aux cordes, souvent porteuses de lignes mouvantes, s’ajoutait une batterie résolument carrée insufflant une mouvance stable ou… une stabilité mouvante.
Tout au long de la pièce, l’opposition entre tonalité et atonalité s’impose comme axe central. Les lignes atonales se multiplient et culminent en climax tonaux, notamment portés par des cuivres aux couleurs de fanfare. Lorsque la batterie se mêle aux clés du saxophone et aux frappés d’archet, se dévoile à nous le riche travail des textures fait par le compositeur. L’œuvre s’achève sur un long coup de tam-tam et de cymbale qui est laissé en résonance jusqu’à la dernière parcelle de son.
La deuxième œuvre de la soirée nous transporte dans l’univers glacé et poétique de Schnee (Neige), du danois Hans Abrahamsen. Cette œuvre d’une heure plonge l’auditoire dans un état méditatif pour nous présenter la neige sous de multiples facettes : de l’air glacial à la glace mordante, de la délicatesse des flocons à la féérie mystérieuse d’un paysage hivernal.
Deux sources d’inspiration ont guidé Abrahamsen dans la création de cette œuvre : la neige, bien sûr, mais aussi les canons de Bach, qu’il avait orchestrés plusieurs années auparavant. Si l’influence bachienne se dissipe dans les sonorités contemporaines de Schnee, l’œuvre reste marquée par la rigueur des structures et par le pouvoir hypnotique qui rappelle le génie de Bach.
Le compositeur nous entraîne dans un voyage qui transcende notre perception du temps. Les premiers canons, d’une dizaine de minutes chacun, semblent étirer le temps, tandis que le déroulement des canons s’accélère progressivement, culminant avec un dixième d’à peine une minute. Cette progression temporelle reflète la nature changeante de la neige : tantôt apaisante, tantôt tourbillonnante et imprévisible. Au fil de l’œuvre, on ressent, à travers la musique, le froid mordant, l’étouffement sonore propre aux paysages enneigés et la danse des flocons, des plus délicats aux plus déchaînés.
Les musicien·nes ont brillamment su donner vie à ce concert. Leur jeu technique était plus qu’à point et leur interprétation a rendu justice à la complexité de la partition. Le placement des musicien·nes dans Schnee était aussi très intéressant. En effet, les pianos placés face à face, de chaque côté de la scène, créaient un dialogue stéréophonique, offrant à l’auditoire une largeur de son remarquable.
Les jazzeux et les fans de musique contemporaine se sont finalement retrouvé·es dehors sous une légère tempête de neige. Peut-être que celle à l’intérieur était plus agréable après tout…
crédit photo : Tam Lan Truong