Sleater-Kinney plane très haut dans la rockosphère indépendante depuis plus d’un quart de siècle. Path of Wellness est le dixième ouvrage de cette formation passée récemment de trio à duo, après le départ de la percutante batteuse Janet Weiss. Les guitaristes-chanteuses Corin Tucker et Carrie Brownstein ont réalisé elles-mêmes ce nouvel opus. S-K peut s’enorgueillir – même si ce n’est pas tellement le style de la maison – d’un corpus des plus costauds. Ni ses admirateurs, qui sont légion à l’échelle du rock indé, ni les commentateurs professionnels ne s’accordent sur ce qui en constitue l’apex. Or, le musicophile qui explore à fond la production de ces Olympiennes (d’Olympia, dans l’État de Washington) constatera que chacun des albums est un point culminant en soi, à des égards distincts. En font foi ces quelques exemples : dans les annales discographiques du groupe, la spontanéité frugale de Dig Me Out (1997) reste inégalée; One Beat (2002) est un summum de prise de parole rock; puis, la puissance brute de The Woods (2005), habilement exploitée par le réputé réalisateur Dave Friedmann, n’a pas faibli d’un microwatt.
À chaque album son propre paroxysme, donc, et celui qu’atteint Path of Wellness réside dans sa cohérence synthétique. À l’écoute de la pièce-titre et de Tomorrow’s Grave, on remarque que des parcelles d’art-rock subsistent de la collaboration de S-K avec St. Vincent sur The Center Won’t Hold, leur album précédent. Down the Line et Favorite Neighbor nous renvoient à la punkitude des premiers albums. Les paroles et les accords de Shadow Town évoquent l’existentialisme sombre de The Woods. Complex Female Characters nous rappelle que la ville d’Olympia fut naguère le creuset du mouvement « riot grrrl », dont S-K fut partie prenante. Sur Down the Line, on entend S-K continuer de rembourser son éternelle dette zeppelinienne, tandis que Bring Mercy nous prouve que le duo est perméable à l’influence de fleurons du rock indé américain comme Spoon et Wilco. L’esthétique rythmique de Janet Weiss est pérennisée ici par trois batteurs qui se relaient efficacement, sans pour autant égaler la force de frappe légendaire de la batteuse.
Rien de bien inusité sur Path of Wellness, pas grand-chose qui ne correspond pas au mode opératoire de S-K. Oh, il y a bien ce rapprochement – que jamais je n’aurais cru faire – entre la voix de Corin Tucker et celle de Joan Baez, dans les couplets de High in the Grass. Et ces claviers qui parent avantageusement plusieurs pièces. On a déjà entendu des paroxysmes de cohérence synthétique sans s’émouvoir outre mesure. Mais chez Sleater-Kinney, les paroxysmes sont invariablement olympiens.