En 2005, Raphaël a fracassé les ventes de la pop française avec la parution de l’album Caravane (plus de 1,8 million exemplaires écoulés), qui a su sublimer un alliage de folk, rock et variété au propos doux-amer romantique et un tantinet irrévérencieux.
À ce jour, cette Caravane demeure l’un des grands disques de la chanson pop française. Une œuvre incontournable qui consacra l’auteur-compositeur-interprète comme une méga star, bien qu’il était déjà connu du grand public de l’Hexagone grâce à son duo avec Jean-Louis Aubert pour la chanson « Sur la route ». Un titre qui contribua grandement à ce que son album La Réalité (2003), le deuxième après le succès d’estime de Hôtel de l’univers (2000), devienne disque d’or.
Ensuite, ce fan de l’énigmatique Gérard Manset (dont il a repris l’album Matrice, en 2015), Bowie, Dutronc, Bashung, Dylan, sans oublier Renaud, a continué à briller au firmament des artistes les plus doués de sa génération avec quelques albums captés en spectacle ou enregistrés en studio fort remarquables, dont les excellents Je sais que la terre est plate (2008) et Pacific 231 (2010), où il se positionne politiquement en y allant de quelques coups de griffe envers l’extrême-droite.
En 2012, il publie Super-Welter, virage audacieux et déstabilisant qui plait à certains fins observateurs (Les Inrocks), mais l’éloigne des grandes communions beatlesques. Viendront ensuite Somnambules (2015), Anticyclone (2017) transcendé par la forte présence du chaman Gaëtan Roussel, Haute-Fidélité (2021), puis celui qui nous intéresse aujourd’hui : Une autre vie, paru le 8 mars et coproduit par le musicien et arrangeur Pierrick Devin (Clara Luciani, Phoenix).
Dès l’ouverture de ce dixième et éclectique album studio, avec l’hyper accrocheuse « L’espoir », on a l’impression de revenir à la belle époque de Caravane. Puis, on change complètement de registre avec la très ordinaire « Été 19 » et ses sonorités électro pop. L’ambiance de Caravane revient avec « Heures sup » et son refrain sautillant et accrocheur, quoiqu’un peu mièvre de la part de ce parolier surdoué récipiendaire du prix Goncourt de la nouvelle pour « Retourner à la mer » en 2017…
Ensuite, la romantico-onirique « Une autre vie », consacrée à sa femme, la comédienne Mélanie Thierry, où le narrateur explique son émoi face aux divers rôles de son épouse depuis 2002, nous séduit. On passe à « La mariée », un titre peu emballant aux couplets très dépouillés et au refrain plus toffu, puis à l’insipide morceau « L’oiseau invisible », où l’on entend la voix de son petit garçon de 9 ans.
Le beau ténébreux à la voix féline redevient très intéressant avec « Baby sitter ». Un mini film à la Biolay, où une gardienne d’enfants de 19 ans est présentée comme une allumeuse tentatrice lorsque le narrateur la reconduit chez elle dans une ambiance de films des années 1960. L’histoire, une petite nouvelle, ne nous dit pas s’ils ont finalement eu ou non une relation intime sur la banquette arrière de la voiture.
On passera « Le dernier chimpanzé du futur » pour un bel hommage au paternel, « Sur les épaules », qui clôt l’album. Pièce intéressante, mais loin de la transcendance à laquelle l’artiste nous a habitués avec un sujet qui s’y prêtait pourtant.
Personnalité plutôt effacée et, paraît-il, torturée par le doute, voire désagréable à certains moments (l’auteur de ces lignes conserve en mémoire une entrevue avec l’artiste peu généreux en 2012), Raphaël fait partie du gotha de la chanson française. Influencé par le grand Manset, dont la fille était sa gérante au début de sa carrière, il a le grand mérite de se renouveler et de tenter d’imposer sa personnalité artistique propre, loin du toc et du factice souvent inhérents à la variété et au succès de masse.
Il le fait encore cette fois avec un résultat qui, au fil des écoutes, nous entraine quelque part entre la perplexité et l’enthousiasme.