Les membres du quintette Feu! Chatterton ont orné Palais d’argile, leur troisième et nouvel album, d’une image que goûteront les paléontologues du futur : une carte-mère fossilisée. À quoi ressemblera la Terre lorsque surviendra cette découverte? S’agira-t-il d’un Monde nouveau comme celui du premier titre de l’album, où ceux qui ne portaient pas de « lunettes spéciales » auront été aveuglés par « le grand final, le feu de Bengale »? Arthur Teboul et ses collègues de Feu! Chatterton s’interrogent sur notre sort; reprendrons-nous nos sens ou nous laisserons-nous domestiquer par la technologie? « Derrière leur écran – Leur écran total – Les gens se régalent (…) – Mais où sont les enfants ? – Et les clairières d’opale dorénavant ? – Ah que le cœur me fend! – Je me souviens mal du monde d’avant ».
Ce monde d’avant évoque aussi la prépandémie. Pur hasard ou instinct prophétique, car Arthur Teboul – parolier et chanteur du groupe – a écrit en 2019 ces textes qu’on entend aujourd’hui. De fait, Arthur et ses collègues Raphaël de Pressigny (batteur), Antoine Wilson (bassiste), Clément Doumic et Sébastien Wolf (guitaristes et claviéristes) disposaient de tout un lot de chansons à l’état de maquettes, lorsqu’a commencé le confinement. Restait à choisir celles qui figureraient sur Palais d’argile, puis trouver un réalisateur qui prendrait la relève de Samy Osla, pilote de tous les microalbums et albums qui, jusque-là, constituaient la discographie de Feu! Chatterton.
Les musiciens ont arrêté leur choix sur Arnaud Rebotini, rencontré lors d’un festival. Judicieuse décision car, derrière sa carrure de videur de bar et sa moustache de camionneur au long cours, Rebotini est un véritable héros de la techno. Les séances d’enregistrement eurent lieu à Bruxelles, aux studios de grand renom ICP, où l’ingénieur du son Boris Wilsdorf (Einstürzende Neubauten) a rejoint la troupe.
Le résultat est plus que probant : Palais d’argile est encore meilleur, à tous égards, que ce qu’a produit Feu! avant. Ce qui n’est pas peu dire. Entre les pièces en appui-livres Un monde nouveau et Monde nouveau défilent douze autres titres tout aussi stimulants les uns que les autres. Au nombre des faits saillants, mentionnons Cristaux liquides qui, après ses deux premiers tiers en mode jazz-rock suave, bascule dans la techno hypnotique; Libre, qui s’ouvre sur des riffs minéraux, puis chemine calmement vers une finale échevelée digne de l’oncle Stephen Malkmus, parrain du slacker-rock; Compagnons, reprise rock’n’soul de Compagnons des mauvais jours de Prévert et Kosma, que chantait Yves Montand; et Avant qu’il n’y ait le monde, poème de l’Irlandais William Butler Yeats que Van Morrison, Mike Scott et ses Waterboys ainsi que Carla Bruni ont aussi mis en musique, qui nous rappelle délicatement que l’après-vie ne devrait pas nous inquiéter plus que l’avant-vie.
Alors, louons ces créateurs qui nous fournissent du si bon stock.