Dans ce nouvel album, au titre évocateur, le ténor américain Michael Spyres vient brouiller les cartes de la nomenclature des voix en allant puiser dans le répertoire opératique plusieurs airs emblématiques, autant pour ténor que pour baryton de la période classique au romantisme. Ayant commencé sa carrière comme baryton avant de passer plusieurs années à perfectionner sa voix pour élargir son ambitus vocal, Spyres était la personne toute désignée pour réaliser cette entreprise.
Le résultat est somme toute plutôt convaincant. On est en effet médusé d’entendre avec quelle aisance ce dernier tacle l’air de Tonio « Ah ! mes amis quel jour de fête » tiré de La Fille du Régiment de Donizetti, réputé comme un des plus difficiles du répertoire à cause des notes dans l’aigu, pour ensuite entonner des graves sonores de baryton verdien alors qu’il avait auparavant chanté l’air de Figaro du Barbier de Séville de Rossini, un autre défi vocal en soi. Le grain de la voix est stable, charnu dans les graves, éclatant dans les aigus et l’interprétation juste à tous les niveaux d’intensité balançant entre des rôles plus dramatiques comme le Hamlet d’Ambroise Thomas ou plus légers avec le fringant Prince Danilo de La veuve joyeuse de Franz Léhár. Le paysage sonore tracé par Spyres et magnifiquement mis en valeur sous la baguette de Marko Letonja et de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg se conclut par une petite fantaisie de l’artiste, le magnifique air de soprano « Glück das mir verblieb » tiré de Die tote Stadt de Korngold.
Loin de vouloir révolutionner le genre, le nom de baryténor et la technique associée ne sont plus employés aujourd’hui, Spyres offre ici un hommage, senti et bien exécuté, à cette voix, « sa voix » ainsi qu’au répertoire qui lui est associé. Rappel que la voix n’est pas toujours une caractéristique immuable et facile à caser.