Les trajectoires d’Emma Ruth Rundle et du groupe Thou se sont croisées pour la première fois sur la scène du Roadburn Festival au printemps 2019. Entre l’artiste post-folk résidant au Kentucky et la formation sludge metal louisianaise, la chimie a dû opérer de façon satisfaisante puisque quelques mois plus tard, tout ce beau monde nous gratifie d’une offrande sur disque. C’est donc à notre tour de pouvoir constater que malgré les différences stylistiques qui séparent ces artistes, des points communs les unissent : un amour du son brut dans ce qu’il a de plus granuleux et une inclination naturelle pour la grisaille et les sentiments mélancoliques.
Plusieurs styles musicaux se reflètent dans les eaux noires que ce disque déploie devant l’auditeur. On y décèle des éclats de black metal, de doom metal et de shoegaze, mais étonnamment, c’est surtout au grunge du début des années quatre-vingt-dix que ces sept titres nous ramènent. À plusieurs reprises, on se surprend à penser aux chansons les plus embrumées d’un groupe comme Alice in Chains. Cependant, la manière de chacun des artistes en présence demeure bien perceptible dans ces eaux-fortes inspirées par l’école de Seattle. Le chant pur et expressif de Rundle et les cris angoissés de Brian Funck – figure de proue de Thou – s’agencent avec bonheur, que ce soit dans les passages chantés à l’unisson ou dans les contrastes qu’offre leur enchaînement. C’est surtout vrai sur l’ambitieuse Ancestral Recall au cours de laquelle se succèdent les ondées et les orages.
La pièce maîtresse de May Our Chambers Be Full demeure toutefois The Valley, superbe ballade à la grâce sépulcrale qui clôt l’album de magnifique façon. Sur ce joyau noir dont le violon de l’artiste cajun Louis Michot souligne le caractère élégiaque, Emma Ruth Rundle et Thou réussissent à faire pleurer les pierres.