On savait que le gambiste Jordi Savall avait l’esprit curieux et était toujours prêt à générer de nouveaux types de collaborations musicales. Oriente Lux, ‘’Lumière d’Orient’’ l’amène beaucoup plus loin qu’il n’a jamais osé s’aventurer jusqu’à maintenant, car ce sont des chants et des pièces du répertoire classique traditionnel de pays ou régions comme le Bangladesh, le Kurdistan, la Syrie ou l’Irak que nous entendons ici, dans des interprétations d’une qualité tout à fait exceptionnelle. J’en prends pour exemple (un parmi d’autres) l’époustouflante aisance vocale du contreténor Rebal Alkhodari dans un chant traditionnel syrien qui l’amène d’une base barytonnienne vers une stratosphère falsettiste impressionnante! La finale de cette pièce est oecuménique et rassembleuse, avec tout l’orchestre et le chœur en symbiose. Attention, il ne s’agit pas ici de crossover eurocentriste, mais bien d’interprétations respectueuses des traditions nationales évoquées, mariant musiciens issus de la plupart de ces pays et partenaires européens associés à la démarche d’interprétation historique de Jordi Savall. Orpheus 21, un clin d’œil à Hesperion XXI, c’est le nom de l’ensemble ici constitué de musiciens réfugiés en Europe et issus de pays en guerre ou aux prises avec d’importants troubles socio-économiques. Un orchestre formé de ouds, kanun, duduk, percussions, etc. Ces musiciens sont des maîtres de leur art. Imaginez si les meilleurs violonistes, violoncellistes, pianistes, hautboïstes, etc., d’Europe devaient se réfugier en masse sur un autre continent. Voilà, vous comprenez un peu.
Le même phénomène est bien visible ici même à Montréal, qui compte énormément d’artistes réfugiés de partout dans le monde et qui enrichissent la vie musicale de la métropole. Ce faisant, des rencontres se font de plus en plus nombreuses et syncrétiques entre tout ce monde créatif et naturellement ouvert à la collaboration. Le Centre des musiciens du monde est un bel exemple des résultats positifs que ces mouvements humains peuvent apporter (cela dit sans aucunement diminuer la tragédie personnelle vécue par chaque personne vivant ces déplacements forcés). Nous n’avons certainement pas fini d’être témoins des fruits de ces nouvelles rencontres stimulantes. Mais, en tous les cas, celle-ci, orchestrée par le merveilleux Jordi Savall, demeurera un jalon important de cette mouvance. Superbe.