Au Brésil, on meurt souvent jeune. D’une balle perdue dans une favela, issue aussi bien d’un criminel que d’un policier. Ou encore de la COVID, que le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, considérait comme un « gros rhume », ce qui a fait du Brésil un des pays avec le plus haut taux de mortalité par habitant.
Par contre, les musiciens emblématiques du pays semblent immortels. Maria Bethânia, Chico Buarque, Gal Costa, Gilberto Gil, Milton Nascimento, Hermeto Pascoal, Caetano Veloso ont tous autour de 80 ans et continuent de créer et de chanter. Pas une trace de démence cognitive. Ils semblent carburer à la sérotonine, l’ hormone du bonheur.
João Donato, un pilier de la bossa nova, a choisi de fêter ses 88 ans en faisant paraître Serotonina, son premier album de chansons originales en 20 ans.
Et le résultat est impeccable.
C’est de la MPB (musica popular brasileira) avec un niveau de raffinement exquis.
À l’écoute de la première plage, Simbora, vous croyez que vous allez écouter du jazz de chambre. Mais tout a coup, arrive le groove des percussions et vous êtes propulsés dans la pop. Mais avec des ondées de flûte et de cuivres et les claviers toujours subtils de João Donato, la musique acquiert de la profondeur. Le monsieur n’aspire pas à réinventer la musique de son pays, il l’a suffisamment fait par le passé. Mais il maîtrise parfaitement son art.
Doce de amora explore des sonorités plus jazzistiques, tout comme la pièce titre Serotonina. Orbita nous rappelle l’influence des percussions afro-caribéennes dans son travail. Bonsbons est un bijou de pop aérienne tropicale tout comme Floriu.
Dans les années dorées de la bossa nova, João Donato travaille avec João Gilberto et Antonio Carlos Jobim. Mais il est sans doute le plus jazzy de tous ces défricheurs de la bossa. Il a fait de nombreux disques en trio (contrebasse, batterie, piano) qui démontrent sa virtuosité pianistique. Pendant 2 longs séjours aux États-Unis, il côtoie beaucoup de musiciens latins tels Tito Puente et Mongo Santamaria. Il touchera au funk et travaillera avec la crème de la crème de la MPB.
Serotonina offre une synthèse de tout cela, mais dans une perspective résolument pop et ludique. Une ode à la vie. Mais avec une sorte de recherche de la perfection. Un peu comme dans certaines chansons de Steely Dan, on a l’impression que chaque tonalité, chaque note, a été pensée. Du travail d’orfèvre. Il s’est entouré de jeunes musiciens et a coécrit une pièce avec l’excellente chanteuse CÉU.
Dans les grands médias brésiliens, Serotonina a été très bien accueilli. Comme un cadeau lumineux pour un pays qui traverse des moments d’obscurité, à la veille d’une élection importante en octobre.
Un seul bémol: la voix de João Donato, parfois un peu terne. Le monsieur a quand même 88 ans.
Si vous préférez le côté plus expérimental et improvisateur de Donato, écoutez plutôt Donato Életrico (étiquette SELO SESC paru en 2016). Un album essentiellement instrumental. Et passionnant.