Steve Earle est à la country grand public américaine ce que la laine d’acier Bull Dog no 3 est à la lime à ongles. Rugosité de la musique et raucité de la voix (Steve chante de plus en plus comme un ours bronchitique), puis textes et engagement tout sauf conservateurs. Voilà Steve Earle, le « troubadour hardcore » qui œuvre, depuis une quarantaine d’années, à l’édification d’une cathédrale de l’americana. Une sorte de Sagrada Familia, en fait, puisque lorsque Steve Earle passera l’arme à gauche, son fils Justin Townes et d’autres talentueux émules poursuivront son œuvre noble et irréalisable : la quête musicale d’une plus grande justice sociale.
Monsieur Earle nous présente son vingtième album studio, si l’on compte ceux qu’il a faits avec le Del McCoury Band et Shawn Colvin. Ghosts of West Virginia comprend dix chansons, dont sept ont été écrites pour la pièce Coal Country de Jessica Blank et Erik Jensen. Celle-ci, présentée hors Broadway en mars dernier, porte sur la tragédie survenue en 2010 à la mine Upper Big Branch, en Virginie-Occidentale, lors de laquelle 29 mineurs perdirent la vie. Earle les nomme d’ailleurs un par un à la fin d’It’s About Blood.
Earle et ses Dukes, quintette rompu aux musiques appalachiennes, ouvrent ce court album – 30 minutes – en mode gospel avec Heaven Ain’t Goin’ Nowhere. Tout a été composé par Steve, sauf John Henry was a Steel Drivin’ Man, standard folk dynamiquement mis à niveau ici. Steve Earle hausse d’une coche sa légendaire empathie à l’égard des déshérités, marginaux et exploités. Black Lung synthétise presque, en trois minutes, le Germinal d’Émile Zola. L’émotion culmine lorsque la violoniste Eleanor Whitmore chante le désarroi d’une veuve de mineur, sur If I Could See Your Face Again.
On peut se demander si Steve Earle s’attaque à la quadrature du cercle, en prenant parti pour ceux qui n’ont probablement pas grand-chose à cirer de ses idées et prises de position. Pendant ce temps, les portes de sa cathédrale americana demeurent ouvertes à tous.