« Nulle part les méconnus, les mal connus et les inconnus ne sont plus nombreux que dans le domaine de la musique. » Ce sont ces mots du philosophe et musicologue Vladimir Jankélévitch qui ouvrent cet album. Il est vrai que le nom de Sergueï Lyapunov (1859-1924), compositeur néo-romantique russe dans l’ombre de Rachmaninov, n’est pas des plus connus. Il y en a au moins un cependant pour qui ce nom n’est pas un étranger : le jeune pianiste belge Florian Noack. Boulimique assumé de découvertes musicales et d’œuvres peu jouées, ce dernier a enregistré deux albums consacrés au répertoire pianistique du compositeur russe, en 2013 et 2017. Restait maintenant à faire entendre ce qui est considéré comme une des œuvres les plus conséquentes du compositeur, les Douze études d’exécution transcendante op.11. Très apparentées à celles de Liszt, à la mémoire duquel elles sont dédiées, on y dénote également l’influence de Mily Balakirev, professeur et mentor de Lyapunov, notamment dans la dixième étude Lezghinka, danse caucasienne évoquant la fantaisie orientale Islamey. Comme les études de Liszt, Lyapunov appose un titre programmatique à ces pièces, faisant ressortir leurs caractères spécifiques, de même que la variété des esthétiques musicales dont il a subi l’influence. On a ainsi droit à des envolées mélismatiques romantiques et à des passages teintés d’orientalisme et de lignes mélodiques empreintes d’esprit russe, notamment dans la huitième étude Chanson épique. Une Élégie en mémoire de Franz Liszt conclut l’album par un long hommage au compositeur dans le style hongrois.
À chacune de ses douze interventions, Florian Noack exprime un jeu virtuose à la clarté aérienne, doublé d’un grand sens de la ligne et de la nuance. Mesurant chacune des différentes dynamiques des pièces à leur juste valeur dans un rendu sonore étincelant, Noack capte notre attention et nous entraîne dans la découverte de l’univers d’une musique russe peu joué, mais qui, d’après ce qui est entendu, gagne et mérite de se faire connaître.