Si, à la question « Quel est le créateur de musique populaire française au parcours le plus singulier et le plus marquant des 25 dernières années? » vous répondiez « Gaëtan Roussel », on pourrait difficilement vous donner tort. Roussel, du haut de ses 48 ans, est fondateur d’un groupe culte (Louise Attaque) s’inspirant d’un autre groupe culte (Violent Femmes), figure de proue du probant projet Tarmac, auteur-compositeur, musicien et réalisateur plébiscité chez Bashung (Bleu Pétrole), collaborateur de Vanessa Paradis, Déportivo et Rachid Taha, compositeur pour le cinéma, auteur d’un recueil de nouvelles – Dire au revoir chez Flammarion –, co-idéateur d’un concert vino-culinaire avec le réputé chef Yves Camdeborde et le vigneron Éric Pfifferling, réalisateur du premier album d’un p’tit nouveau qui s’appelle Daniel Auteuil… et capitaine d’une carrière solo exemplaire.
Après l’éclaté et frénétique Ginger en 2010, puis les moins effervescents Orpailleur (2013) et Trafic (2018), Gaëtan s’assagit encore, met de côté les envies d’exploration sonore que lui avaient insufflées Radiohead et Portishead à la fin des années 1990, et revient à un mode opératoire plus spontané consistant à composer-écrire à la guitare, comme avec Louise Attaque jadis. Qui plus est, le confinement l’a forcé à se patenter un studio… dans la chambre de sa fille. Il a ensuite confié à Maxime Leguil, réalisateur-arrangeur recherché – Christophe, Souchon, Delerm, Camille –, la tâche d’étoffer ses maquettes. Le guitariste Adrian Utley et le batteur Clive Deamer, que connaissent les fans des groupes au suffixe « head » susmentionnés, ont participé à l’enregistrement.
Aux deux ou trois premières écoutes, on a l’impression qu’Est-ce que tu sais? ne recèle rien de bien épatant, tant les onze titres défilent linéairement comme des ballades issues du même moule. Or, le musicophile attentif finira par détecter, dans ce nouvel opus, des nuances, des subtilités accrocheuses comme ce crescendo en marche militaire dans Tu ne savais pas, des rimes édifiantes comme « Je me jette à ton cou, c’est mon île d’être ensemble » ou des mesures plus entraînantes comme celles du milieu de La colère. Bref, les moments émouvants abondent, il suffit de les déceler, comme dans La photo où la voix de Camélia Jordana nous rappelle celle de Christophe, ou dans Sans sommeil quand Gaëtan et Souchon se la jouent reggae.
À l’époque où Louise Attaque émergeait, aurait-on cru que Gaëtan Roussel, son chanteur-guitariste à l’humeur post-punk, à la tronche de Sim (comme dans « Sim et Dufilho »), à la voix limite chevrotante et à l’élocution quasi grasseyante, deviendrait un chanteur populaire, un artiste grand public? Qu’importe car Gaëtan Roussel, mélodiste doué et parolier à la simplicité attendrissante, nous a concocté un fort bel album de chanson française.