Cinema Rarities for violin and string orchestra fait suite à l’album Cinema Suites for Violin and Orchestra paru en 2022 chez le même éditeur. À la fin de sa vie, Morricone a revisité plusieurs de ses partitions cinématographiques en les arrangeant pour violon et orchestre. Autant les ‘’grands succès’’ que certains trésors cachés ont reçu ce traitement privilégié. Si l’album de 2022 se concentrait sur les premiers, celui-ci, fraîchement apparu sous étiquette Arcana, jette la lumière sur des inédits ou d’autres bijoux plus rarement entendus (à l’exception de Man with a Harmonica d’Il était une fois dans l’Ouest, ou encore Chi mai, arrangés par le violoniste Marco Serino). On ne peut qu’être déchirés d’émotions en entendant ces mélodies d’une rare puissance (La califfa, Chi mai, associé pour longtemps encore à Jean-Paul Belmondo, alias ‘’Le professionnel’’, Le clan des Siciliens, Lolita). Mais on demeure incertain quant à la nécessité de cette démarche de ‘’classicisation’’ de la musique du compositeur.
Oui, on sait, si on a vu le magnifique hommage rendu à Morricone par Giuseppe Tornatore dans son film Ennio, que le compositeur a toujours ressenti une sorte de complexe d’infériorité vis-à-vis les ‘’vrais’’ compositeurs classiques, non seulement ceux du passé, mais surtout ses contemporains qui n’écrivaient pas pour le cinéma (souvent par snobisme, mais probablement aussi parce qu’ils n’avaient tout simplement pas le talent nécessaire pour le faire! La musique de film, c’est difficile. Et réussir à s’y faire un nom qui transcende les genres et le temps comme Morricone l’a fait, très très rare! Bref….).
On devine donc que derrière ces suites pour violon et orchestre, Morricone voulait laisser un héritage plus ‘’classique’’ (légitime?) aux interprètes et orchestres du futur. Probablement dans l’espoir que ces emballages, en format mieux connu du milieu classique que des trames sonores éparpillées à travers lesquelles il faut aller fouiller pour dénicher les pépites, permettent à sa musique de trouver grâce à leurs oreilles. Il a même ici et là fait des clins d’oeil bienveillants à la tradition, comme ce petit quelque chose du Concerto pour violon de Beethoven dans son arrangement du Thème de Deborah, inséré dans la suite Quattro adagi (Quatre adagios).
Et pourtant, là est l’erreur principale du grand Ennio : celle de ne pas avoir deviné à quel point son fantastique syncrétisme post-moderne fait de lui l’un des plus grands créateurs du 20e siècle. Une originalité faite de musique classique (bien entendu), mais aussi de pop, de rock, de jazz et d’orchestrations écuméniques tout à fait uniques (il a invité dans l’orchestre le synthé, la guitare électrique, la batterie et la basse, mais aussi toutes sortes d’autres sources de sons bizarres et délicieusement étranges). Morricone a réussi une sorte de catharsis collective qui a relégué aux oubliettes les chicanes de clochers entre high art et low art, entre musique classique et rock, ou pop, entre académisme et nouveauté, entre longue expérience et jeunesse frondeuse. Morricone, sans l’avoir vraiment voulu, ou à tout le moins deviné, à peut-être refait le coup que Bach à réalisé en son temps : celui de dire ‘’À bas les styles, je mélange tout, et le meilleur de chacun, et ce sera bien ainsi!’’. Les trames sonores de Morricone, telles qu’elles, sont des chefs-d’œuvre. Point à la ligne.
Cela dit, ne vous méprenez surtout pas sur mes propos : pour l’amoureux de Morricone que je suis, et que vous êtes aussi si vous vous êtes rendus jusqu’à cette ligne, les mélodies déployées à travers ces réécritures teintées de grande et belle nostalgie sont encore aussi incroyablement poignante qu’à leur débuts, mais avec un velours chaleureux qu’on serait stupides et insensibles de dénigrer. Qui plus est, Marco Serino est un passionné de son sujet, ça paraît. Il joue avec beaucoup de sensibilité, et est soutenu rondement par l’Orchestra di Padova e del Veneto. Son Man With a Harmonica est impressionnant dans la proximité des sonorités qu’il tire de son violon avec le célèbre harmonica de Charles Bronson. J’ai beau hésiter sur ma réflexion finale sur le sujet, je ne peux m’empêcher de jouer cet album en boucle. C’est toute la force de Morricone.
Alors, ces arrangements très romantiques tournés vers une certaine idée de ce que l’establishment de la musique classique pense du ‘’bon goût’’, nécessaires ou pas?
Intellectuellement, peut-être pas, non. Émotionnellement, par contre, on s’en fout. Votre opinion sera la bonne, peu importe sa nature et sa divergence, mais l’amour d’Ennio et de son génie sera exactement le même.