À la fois progressiste assumé et soucieux de perpétuer sa culture ancestrale, le batteur sud-africain Asher Gamedze dit explorer « la dialectique de l’âme et de l’esprit pendant qu’elle se déplace à travers l’histoire ». Tout un programme ! Force est d’observer que l’engagement du musicien n’a d’égal que la proposition ici offerte : Dialectic Soul est ni plus ni moins une contribution majeure du jazz conçu en Afrique contemporaine. Bien sûr, les airs gospels mâtinés d’inflexions zouloues et xhosas sont honorés comme ils le sont depuis les débuts du jazz sud-africain, époque Abdullah Ibrahim (Dollar Brand), Dudu Pukwana, Hugh Masekela, Johnny Dyani, Chris McGregor et… non, Asher Gamedze ne fait pas comme les pères fondateurs. Très clairement, il a étudié l’âge d’or du jazz contemporain (1958-1967) et la musique classique occidentale pour ainsi les adjoindre aux acquis de l’Afrique australe.
Côté jazz, l’influence dominante qui s’en dégage est le legs d’Ornette Coleman, repris notamment par ses collègues Charlie Haden, Ed Blackwell, Don Cherry et Dewey Redman dans la formation Old And New Dreams ou encore par le superbe projet Still Dreaming mené récemment par Joshua Redman. L’approche s’annonce ornettienne d’abord pour l’instrumentation voisine : Asher Gamedze, batterie, Thembinkosi Mavimbela, contrebasse, Buddy Wells, saxophone ténor, Robin Fassie-Kock, trompette, auxquels se joint sporadiquement la chanteuse Nono Nkoane qui nous ramène illico dans son pays natal lorsqu’elle s’exprime.
Cette musique est aussi ornettienne pour l’espace investi : malgré la densité du concept, Dialetic Soul reste souple, aéré et exclut toute prise de tête. Enclines aux explorations atonales et texturales, les lignes mélodiques ici déployées se mêlent aux sud-africaines et produisent de facto un amalgame inédit. Car très peu de jazz acoustique (ou pas du tout?) émanant du continent noir a dépassé les intégrations post-bop, post-modales jusqu’à ce jour. N’allons pas plus loin avec les comparaisons : le jeu d’Asher Gamedze se rapproche plus de celui de Brian Blade que de celui de Billy Higgins ou d’Ed Blackwell. Les souffleurs peuvent compter sur des techniques impeccables et des sons distincts, particulièrement le ténorman Buddy Wells.
Il faudra investiguer davantage avant de conclure à une nouvelle scène importante pour la relance du jazz, au-delà des initiatives londoniennes, sud-californiennes, chicagoanes ou new-yorkaises. Mais… que se passe-t-il donc à Cape Town ?!