Arthur, fils de Nick Cave, est décédé le 14 juillet 2015. Cave enregistrait alors Skeleton Tree. L’album est paru l’année suivante et, depuis ce temps, les musicophiles qui pistent le parcours de Nick assistent solidairement aux étapes de son deuil. D’une ambiance mortuaire comparable à celle de La chambre du fils de Nanni Moretti, Nick nous amène lentement vers un havre de sérénité qui pourrait ressembler, ici-bas, au « royaume des cieux » qu’il mentionne à divers moments sur Carnage. « On me demande en quoi j’ai changé, je réponds que je marche sur une route à part », psalmodie-t-il dans Lavender Fields, avant de se demander « Où sont-ils allés ? – Où se cachent-ils ? – Peu importe qui – Peu importe comment – Il y a un royaume des cieux ».
Près de 28 ans après les débuts de leur collaboration, Cave et Warren Ellis incarnent plus que jamais une fraternité musicale. Que ce soit au sein des Bad Seeds et de Grinderman ou au fil de nombreuses bandes sonores, ce tandem se spécialise dans l’ascension fructueuse de montagnes hallucinées (si Warren Ellis a une tête de Reinhold Messner australien, peut-être devrions-nous y voir autre chose qu’une coïncidence). Musicalement, le calme règne sur Carnage. Les rythmes ne se cabrent point, rien ni personne ne part à l’épouvante, la somptuosité des arrangements agit comme un narcotique bienveillant. Seule exception notable, les « Hand of God » bramés dans la chanson du même nom, comme par un Claude Ryan possédé. En grands maîtres du rock thérapeutique, Cave et Ellis dosent leur pharmacopée de manière optimale.
Rayon paroles, seules celles de White Elephant bouillonnent de violence cavienne. Des manifestants déboulonnent la statue d’Edward Colston et la balancent dans l’eau du port de Bristol. De l’écume de mer naît ensuite le « chasseur blanc », porté par une coquille Saint-Jacques géante comme la Vénus de Botticelli (mais avec un pénis). Muni d’une carabine à éléphants et nettement moins nuancé que le John Huston du film White Hunter, Black Heart de Clint Eastwood, le chasseur blanc nous menace d’une balle au visage si on ose le regarder. À la fin de la pièce, Nick reprend les paroles « Peu importe qui – Peu importe comment – Il y a un royaume des cieux » en mode gospel.
Dans sa chanson Albuquerque, Neil Young souhaite déguster des œufs et du jambon, seul, « Oh, Albuquerque ». Dans sa chanson du même nom, Nick Cave affirme « Nous n’irons pas à Albuquerque cette année – Nous n’irons nulle part, mon amour – Sauf si tu m’y amènes ». Comme quoi il y a de l’espoir, entre le deuil et le royaume des cieux.