Pour son plus récent album, la Suissesse Béatrice Berrut assouvit un plaisir coupable : être en mesure, en tant que pianiste, d’interpréter à l’aide de son instrument des œuvres postromantiques germaniques. Cet album est constitué essentiellement de pièces pour orchestre, un ensemble qui prenait un essor important durant la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle. Béatrice Berrut a transcrit pour son instrument des pages de répertoire qui illustrent l’évolution sonore et les changements d’esthétiques de l’époque. Gustav Mahler et Arnold Schoenberg incarnent bien cet « art nouveau » (Jugendstil), à la recherche d’autres moyens de rendu créatif; le premier en cherchant à « maximaliser » la portée de l’orchestre et de son timbre, et le second en ouvrant la porte à l’expressionnisme pour éventuellement faire place à un abandon de la tonalité. De prime abord, nous pouvons dire que l’exercice auquel s’est livré l’interprète est stylistiquement réussi et cohérent. Sa paraphrase de La Nuit transfigurée (Verklärte Nacht) de Shoenberg a par ailleurs été saluée par le fils du compositeur. Tant dans cette œuvre phare et précoce de Schoenberg, encore très tonale, que dans les différents mouvements extraits des symphonies no 3, 5 et 6 de Mahler, Béatrice Berrut a su faire ressortir des œuvres les éléments importants de leur substrat musical. Son jeu élégant et virtuose confère aux œuvres un caractère plus intimiste, sans pour autant diminuer la nature et l’esprit de leur timbre et leur esthétique ample.
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