Un président qui carbure au mensonge, un peuple plus divisé que jamais, des tensions raciales exacerbées, une crise sanitaire sans précédent… On se demande s’il ne donne pas dans l’ironie, l’éminent percussionniste Kahil El’Zabar, en ouvrant son nouvel album avec une relecture de l’hymne patriotique America the Beautiful. Comme l’homme est un vieux sage qui a déjà été président de l’Association for the Advancement of Creative Musicians à Chicago et qu’il a été sacré Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le gouvernement français, on se doute bien qu’il a plutôt choisi de répondre à l’état courant des choses par l’espoir au lieu de s’en remettre au cynisme et au ressentiment. Cet espoir, il est présent d’un bout à l’autre du disque, une des œuvres les plus ambitieuses de sa longue et riche carrière.
En plus des percussions et de la flûte jouées par le maître, l’orchestre qu’il a ici rassemblé compte une basse, des claviers, une section de cuivres et une autre de vents. Se démarquent la fabuleuse violoncelliste Tomeka Reid, les violonistes Samuel Williams et James Sanders, le pionnier du saxophone baryton Hamiet Bluiett (décédé peu de temps après sa participation à ce disque) et surtout le très doué trompettiste Corey Wilkes qui nous livre au passage quelques solos remplis de sève. La juxtaposition des sublimes orchestrations imaginées par El’Zabar à ses rythmiques dynamiques héritées d’Afrique donne à l’auditeur l’envie de danser parmi les étoiles.
Le programme est composé de nouvelles compositions du musicien – toutes excellentes – et de reprises choisies pour des raisons éditoriales : Express Yourself (classique de Charles Wright plus tard échantillonné par NWA), How Can We Mend A Broken Heart (chanson créée par les Bee Gees mais revisitée avec grâce par Al Green) et le cultissime Afro Blue dont la présente version est d’une beauté sidérante. Le tout se termine par une reprise de l’hymne qui fournit son titre à l’album, cette fois-ci chanté par El’Zabar lui-même. America the Beautiful est une des plus belles réponses qu’un artiste pouvait donner au climat turbulent qui sévit chez nos voisins du sud en ce moment.