Orfèvre de la chanson, Francis Cabrel sculpte la trame sonore d’une bonne partie de la francophonie depuis maintenant 40 ans. Sabots de bois, moustache retroussée, chemise aux manches gonflées, accent du Sud, il incarnait déjà le troubadour patchoulisé de naguère à l’assaut des forêts d’antennes des villes. On se souvient de ses nombreux classiques comme Petite Marie, Les Murs de poussière et, surtout, Je l’aime à mourir toutes parues à la fin des années 70. Puis, avec le succès, il a vite été encadré par une industrie qui a polie et actualisé son esthétique tant physique que musicale (Sarbacane). Mais le tout avec élégance, comme dirait Brel. Et Cabrel est devenu au fil du temps l’une des icônes de la variété française.
Sur ce nouvel album composé de treize morceaux comme le précédent, Cabrel renoue en quelque sorte avec le troubadour qu’il était tout en conservant, ici et là, des reliefs mâtinés de concessions aux ondes FM. On pense ici aux chœurs très années 80-90 qui ne sont pas sans rappeler le Leonard Cohen (Fort Alamour, Peuple des fontaines), qu’il évoque d’ailleurs, des années feutrées. Mais, petit à petit, le sourire un peu moqueur de l’auditeur s’accompagne d’un claquement de doigts qui bat la mesure comme sur la très belle Rockstars du Moyen-Âge où il fait référence, justement, à ces prédécesseurs troubadours et y va d’un refrain en occitan, leur langue de prédilection, ou avec le tube Te ressembler. Une lettre dansante au paternel, immigrant besogneur auquel il n’a jamais su dire « je t’aime ». Ou encore cette autre missive, déclaration d’amitié, adressée à Dutronc dans Chanson pour Jacques. Si certaines chansons seront vite oubliées, comme son manifeste écolo Jusqu’aux pôles ou la susmentionnée à Dutronc, d’autres pourraient bien se glisser dans notre quotidienneté, comme Les bougies fondues ou l’accrocheuse J’écoutais Sweet Baby Jane.
La voix enrobée de cordes de velours, égayée de trompette, maquillée de soul et de blues, Cabrel propose, globalement, un fichu de bel album. Mais on retiendra surtout que ce fan de Dylan et de Barbara, qu’il évoque aussi, demeure toujours plus touchant lorsqu’il redevient folk et nostalgique, comme dans l’entraînante et lucidement poétique Les Bougies fondues où il déplore, notamment, la perte d’enfance d’une enfant voilée. Comme quoi les coups de griffe peuvent aussi se donner avec des fleurs.