La direction artistique du festival Classica a constitué un quatuor entièrement féminin de violoncellistes québécoises: Kateryna Bragina, Chloé Dominguez, Agnès Langlois et Noémie Raymond. Des compositrices de différentes époques y seront mises en lumière dans ce contexte propice: Nadia Boulanger. Isabella Leonarda, Hildegarde von Bingen et même Charlotte Cardin ! Il y aura aussi Debussy, Monteverdi, Bruch, Corrette et Carlos Gardel, premier crooner mondial de l’histoire moderne. Marc Boucher a eu cette idée de Violoncelles au féminin, programme prévu le 4 juin prochain. Il défend ici son choix dans ce fragment d’une longue interview réalisée par Alain Brunet.

BILLETS ET INFOS ICI

Programme

Claude Debussy (1862–1918)

Rêverie          

Nadia Boulanger (1887–1979)

Trois pièces pour violoncelle et piano

Claude Debussy

La Fille aux cheveux de lin 

Isabella Leonarda  (1620–1704)

Sonate  
Claudio Monteverdi
   (1567–1643)

Pur ti miro

Hildegarde von Bingen (1098–1179)

[œuvre à déterminer]      

Max Bruch (1838–1920)

Kol Nidrei        

Michel Corrette (1707–1795)

Le Phénix  

Charlotte Cardin   (1994–    )

Confetti          

Carlos Gardel (1890–1935)

Por una cabeza

Le Köln concert, ou concert de Cologne, avait été donné par Keith Jarrett le 24 janvier 1975, soit il y a 50 ans. L’enregistrement public devint la plus écoutée des improvisations pour piano solo de l’histoire discographique (environ une heure), et certes la locomotive du répertoire de l’étiquette allemande ECM, fondée et toujours dirigée par Manfred Eicher. Voilà certes un des albums emblématiques du jazz des années 70 et dont l’aura confère un statut mythique. Pour commémorer le demi-siècle de cet enregistrement, Marc Boucher, directeur artistique et fondateur du festival Classica, a rêvé d’une transcription de l’impro pour quatuor à cordes signée François Vallières et interprétée par l’altiste Elvira Misbakhova, le violoncelliste Stéphane Tétreault, les violonistes Antoine Bareil et Marie Bégin. Marc Boucher est ici invité à nous en apprendre davantage dans ce fragment d’une longue interview menée par Alain Brunet pour PAN M 360.

BILLETS ET INFO

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Amanda Harvey, aussi connue sous le pseudo/acronyme IRL, est l’une des artistes sonores et musiciennes les plus engagées de Montréal. Son approche étudiée est le fruit d’années passées à créer activement des communautés et à nourrir sa compréhension du son. Si les paysages sonores d’IRLʼs incarnent cette profondeur, c’est parce qu’ils s’inspirent de diverses pratiques d’écoute ayant une vaste signification sociale.

Membre de ffiles, un collectif radiophonique féministe, ou coproductrice de A Kind of Harmony avec Julia Dyck , qui étudie les pratiques sonores multidisciplinaires sous un angle social et environnemental, Amanda Harvey suit les pistes de son cœur et nʼa pas peur de remettre en question ses propres croyances. Qu’y a-t-il entre les oreilles – mais surtout, que ressent le corps ? Ses sons sont élaborés avec une grande attention et une sensibilité accrue à l’espace, car ils parlent pour être entendus.

L’approche de l’espace comme médium dans ses œuvres mènera inévitablement à des résultats intéressants dans le dôme de S.A.T.ʼs, alors qu’elle se prépare pour sa performance à Substrat le jeudi 1er mai, partageant la scène avec Bénédicte, Micheal Gary Deen et Freddy Speer. Dans cet entretien, Amanda Harvey parle de ce qu’elle a appris de A Kind of Harmony, de l’importance de la communauté, de l’évolution de sa pratique de la spatialisation et de son approche du son incarné.

PAN M 360 : Je me demande si nous pouvons inverser les rôles : quelles sont les leçons importantes que vous avez apprises en produisant A Kind of Harmony et qui ont affecté votre propre discipline ?

IRL : Une chose que j’ai vraiment apprise vient de l’un des participants de cette saison – la personne que je viens de mentionner, AM the geographer. Dans son interview, elle explique que tous les espaces – les espaces naturels – ne veulent pas être enregistrés. Ainsi, lorsque vous vous apprêtez à enregistrer un espace naturel ou extérieur, vous devez vous asseoir avec cet espace et voir si l’intention est là pour que vous enregistriez. Parfois, l’espace va vous refuser, ou vous allez sentir que vous n’êtes pas réellement, à ce moment-là, le bienvenu. C’est quelque chose que je n’avais jamais rencontré au cours de toutes mes années de recherche sur le son, le lieu et l’espace. J’ai trouvé cela extrêmement révélateur parce que ce nʼétait pas une pratique que j’avais personnellement. À l’avenir, si je fais un enregistrement sur le terrain et que j’arrive dans un espace qui semble ne pas vouloir être enregistré ou dont on se souvient à ce moment-là ou de cette manière, je nʼen ferai pas. Cʼest la principale leçon que jʼai tirée de cette saison.

PAN M 360 : Wow, cʼest très intéressant! Ça semble être une approche complètement différente de l’écoute. C’est presque comme si on écoutait l’espace comme s’il était

IRL : Exactement. Je suis presque sûr qu’ils disent quelque chose comme ça : vous devez vous asseoir et écouter l’espace, et c’est l’espace qui vous dira si vous devez ou non prendre cet enregistrement. Parce qu’il est extractif dans un sens.

Une autre participante que nous avons interrogée, Sandra Volney, qui est basée ici, étudie la manière dont l’enregistrement des sons de la terre peut nous alerter sur le réchauffement climatique et le réchauffement de la terre. Je savais que c’était possible d’un point de vue conceptuel, mais parler avec une artiste qui met cela en pratique et travaille avec des scientifiques pour collecter ces données et créer des œuvres sonores à partir de celles-ci m’a également ouvert les yeux.

PAN M 360 : Je trouve cela très logique, car vous reliez les gens à leur sensibilité, ce qui rend la question plus personnelle. Dans ce sens, je suis curieux de connaître votre propre pratique de récupération des sons. Vous avez expliqué quʼil y a une approche préliminaire de l’écoute de l’espace. Cela a-t-il changé votre façon d’écouter au fil du temps ?

IRL : Je pense qu’au cours de l’année écoulée, ma façon d’écouter a évolué, non seulement en raison de la production du podcast, mais aussi à cause de certains événements qui se sont produits dans ma propre vie. Auparavant, lorsque j’abordais l’enregistrement sur le terrain ou l’enregistrement d’environnements naturels ou extérieurs, j’allais un peu vite en besogne. Aujourd’hui, je sens que j’ai vraiment besoin de m’asseoir dans un espace et de m’ancrer avant d’enregistrer.

Je pense qu’il y a beaucoup plus d’intention maintenant – comme sentir comment le son résonne dans mon corps et si oui ou non cʼest quelque chose que je veux, vous savez, un souvenir actif, quelque chose à quoi je peux me référer. Je suis donc devenu beaucoup plus intentionnelle, et peut-être un peu plus pointilleuse sur ce que j’enregistre, quand, et à quoi servent ces enregistrements. Je ne pense pas que tout doive être partagé. Cʼest très sensible – on a l’impression que c’est beaucoup plus intime qu’avant.

PAN M 360 : Quand vous parlez de l’importance de savoir à quoi cela va servir, je suppose que c’est aussi une question de savoir où cela va être joué et à qui cela va être joué. Comment cette relation entre le public, le son et l’espace a-t-elle évolué pour vous ? Je sais que vous organisez et jouez des événements à Montréal et que vous êtes très impliquée dans la communauté. Est-ce, pour vous, une façon d’élargir l’impact de ce que vous apprenez ?

IRL : Oui, sans aucun doute. J’ai fait partie d’un collectif de longue date qui existe encore aujourd’hui, les ffiles, un collectif radiophonique. Lorsque je travaillais avec eux, nous étions très axés sur le féminisme. Cela m’a vraiment enracinée dans la communauté montréalaise au sens large et a établi un parallèle entre ma pratique de l’art sonore et ma relation avec la communauté d’ici.

Cette plateforme m’a permis de rencontrer de nombreuses personnes et a donné aux artistes un espace pour discuter de leur travail. Pendant de nombreuses années, nous avons organisé une émission sur n10.as où nous avons invité des personnes – principalement des personnes queer, des femmes identifiées et des personnes de LGBTQIA – à venir jouer. Cela m’a permis de grandir et de nouer des relations au sein de la communauté.

Je tiens aussi à dire que sans la communauté qui m’entoure et les gens que jʼai rencontrés à Montréal, je nʼaurais pas de pratique musicale ou radiophonique. Beaucoup de gens m’ont offert du temps, de l’énergie et des plateformes pour présenter ce que je peux offrir. Sans ce soutien, je ne pense pas que jʼaurais une telle pratique.

PAN M 360 : On peut dire que vous avez une base assez solide. Vous faites n10.as, A Kind of Harmony, vous faites partie de ffiles, et maintenant tu fais Substrat au S.A.T. Comment voyez-vous ce moment dans votre développement en tant qu’artiste ?

IRL: Cʼest un moment important à bien des égards. Comment dire… cela m’a poussée à améliorer mon flux de travail et ma pratique créative d’une manière que j’évitais en quelque sorte. Je suis complètement autodidacte – je ne suis pas allée dans une école de musique et je n’ai pas pris de leçons. La plupart de ce que jʼai appris mʼa été transmis par des amis ou par moi-même, de manière intuitive. Cette émission m’a montré où je devais m’améliorer pour exceller – ou au moins pour présenter un travail qui sonne bien à la base.

PAN M 360: Que diriez-vous au sujet du travail à accomplir en préparation de Substrat?

IRL : Comme je travaille principalement avec du matériel et des synthétiseurs modulaires, j’ai dû me concentrer davantage sur l’utilisation d’un logiciel d’enregistrement. J’ai dû apprendre beaucoup de choses sur le routage audio – que je ne connaissais pas du tout auparavant – et comprendre les règles générales d’enregistrement : niveaux, fréquences, égalisation.

Lorsque je produis, il sʼagit principalement de vibrations – et dans un contexte live, cela ne se traduit pas toujours. Jʼai joué des concerts avec du matériel qui sonnait très mal, et je suis sorti de ces concerts avec un sentiment de défaite, ne sachant pas vraiment où je m’étais trompé. Mais ce projet m’a poussé à voir où je devais progresser. Jʼapprends encore beaucoup en tant que musicien. Travailler dans un espace tel que le dôme exige beaucoup pour produire une pièce quiʼsoit attrayante, qui sonne magnifiquement et qui fonctionne également sur le plan technique. Cela a été un véritable défi, mais je suis très reconnaissante d’avoir été poussée à le faire.

PAN M 360 : Je suis sûr que l’apprentissage de toute cette spatialisation ne sera pas inutile. Vous l’avez déjà fait au Centre PHI, et il semble que cela fasse partie de votre pratique. Pensez-vous à l’espace lorsque vous créez une pièce ?

IRL : Cʼest une excellente question. Quand Pablo, l’ingénieur avec lequel nous travaillions au S.A.T., a entendu certains de mes sons, il m’a dit : « Bon, beaucoup de vos sons sont enregistrés de manière spatiale – ils sont déjà spatialisés dans la manière dont ils sont composés.

Dans ma pratique, je pense toujours à utiliser le son pour envelopper l’auditeur et le mettre en transe, afin qu’il perde la notion du temps, qu’il sorte de l’espace et entre dans son corps.

PAN M 360 : En parlant d’espace, que pensez-vous de l’utilisation du dôme par Substratʼs exclusivement pour le son ? Et plus généralement, que pensez-vous du fait que les visuels l’emportent sur la musique – ou de l’absence de musique ?

IRL : Lorsqu’ils vous engagent pour la série, ils vous disent : il n’y a pas de visuels dans le dôme. Personnellement, je préfère cela. Les visuels, surtout lorsqu’on est confronté à des écrans, changent vraiment l’expérience. J’aimerais me produire dans un espace où les gens peuvent fermer les yeux et où je ne fais même pas partie de la performance – où ils n’entendent que le son. Cʼest littéralement un rêve devenu réalité pour moi.

Bien sûr, les visuels peuvent améliorer une performance. Si je travaillais avec un VJ, je sais exactement qui je choisirais et le type de matériel qu’il utiliserait. Mais les visuels peuvent dominer ou nuire à l’expérience du son.

Avec le son, vous pouvez vous asseoir et créer votre propre sens – ou parfois le sens existe déjà dans votre corps. Les visuels peuvent vous sortir de cette écoute incarnée.

Il serait formidable d’avoir une série continue explorant ce type d’espace – le son est vraiment incroyable là-dedans.

PAN M 360: Y a-t-il d’autres projets aussi poussés suggéreriez-vous à ce titre?

IRL :Allez voir la deuxième saison de A Kind of Harmony. Sinon, pas d’autres projets – juste IRL. Vous pouvez me trouver sur SoundCloud ou sur mon site irluman.com.

PAN M 360 : Ou dans la vraie vie

IRL : Oui – ou dans la vraie vie. Je suis définitivement dans les parages. Vous me verrez probablement danser quelque part ce week-end ou le week-end prochain. Je vais commencer à préparer un album – attendez-le avec impatience.

BILLETS & INFOS

Après la sortie de Good Grief en 2022 et de son EP de 5 chansons If I was I am en 2023,  Bells Larsen nous revient avec Blurring Time. Un bel album de 9 chansons où le passé et le présent cohabitent, se tiraillant parfois, pour un instant qui n’existera jamais ailleurs que sur l’album. Une immortalisation d’un passage à travers l’art où l’artiste, alors dans un processus de transition, a voulu dire au revoir à son ancienne identité, comme un cadeau d’adieu, l’entremêlant avec son présent.

Une trame de voix pour les aigus par le « soi d’avant » et une pour les graves par le « soi du présent », après la prise de testostérone. En résulte un duo mélodieux et intime qui inscrit brillamment en musique, et dans l’histoire, cette période de changement qu’il a voulue empreinte de bienveillance plutôt que de tristesse. 

Les extraits 514-415, Blurring Time et Might font leurs chemins accompagnés par leurs vidéoclips et donnent tout de suite le ton de son folk doux et réconfortant avec une pointe de magie dans les arrangements, toujours avec un jeu de voix bien dosé.  Cette approche unique a d’ailleurs valu à l’artiste trans s’être fait refuser l’accès au territoire américain, où il devait se produire en concert, ce qui fut d’ailleurs médiatisé récemment.

Marilyn Bouchard a eu l’occasion de discuter avec Bells Larsen de son processus de création, des collaborateurs. trices sur l’album ainsi que de ses changements vécus et à venir, puisqu’ils ne sont jamais finis.

PAN M 360 : D’où t’es venue l’idée de faire cohabiter ta voix d’avant et ta voix du présent sur l’album?

Bells Larsen: En écrivant cet album, en l’espace d’un an, j’ai compris qui j’étais. J’ai écrit Blurring Time en premier et Might en dernier…mais en réalité elle aurait pu s’appeler I’m gonna » parce que ce n’était plus une possibilité rendu là c’était devenu une certitude. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il fallait que je prenne certaines décisions pour être plus authentique par rapport à moi-même, comme par exemple commencer la testostérone. Ça a été vraiment difficile pour moi de savoir si je voulais capturer l’album avec ma vieille voix ou attendre après la transition et l’enregistrer seulement avec la nouvelle. Mais  quelque part c’était un peu inquiétant pour moi parce qu’il y avait une part d’incertitude là-dedans de ne pas savoir comment mon instrument serait modifié. Alors, par sécurité, je me suis dit que j’allais d’abord capturer avec ma vieille voix…et ensuite en réfléchissant au truc je me suis dit « tu sais quoi je pense pas que j’ai jamais vu quelqu’un qui fait un mélange de documentation sur sa transition de cette manière-là » et en même temps il y avait à ce moment-là un trend sur Tik Tok avec les duos où tout le monde faisait des duos avec une version modifiée d’eux-mêmes…je me suis dit que que ce serait un beau cadeau…d’adieu et de bienvenue à me faire.

PAN M 360 : Est-ce que, depuis ta nouvelle voix, cela t’emmène vers des inspirations sonores différentes, puisque ton instrument s’est modifié?

Bells Larsen : Oui tout-à-fait! Vraiment! C’est un peu comme apprendre le français : on a accès à pleins de nouvelles options qu’on avait pas avant! Ça me permet de comprendre et d’expérimenter avec mon instrument de manière nouvelle. Tout comme la langue française me permet d’aller chercher de nouvelles rimes avec lesquelles jouer, ma nouvelle voix me permet d’accéder à des tonalités auxquelles je n’avais pas accès avant.

PAN M 360 : Tu disais dans une entrevue que c’est un album qui est né plus de la nécessité que du choix? Pourquoi?

Bells Larsen : Je pense que c’était une nécessité pour mieux me comprendre. Ma relation avec mon identité, c’est pas une relation où c’est noir ou blanc…this or that…un ou l’autre. Même si je suis un gars, même si j’ai pris des décisions pour transitionner, j’emmène tellement de trucs avec moi de ma vieille version. Et je trouvais ça important que cet autre moi m’accompagne dans ma transition, non seulement avec la musique mais aussi pour le reste de ma vie. J’aurais pu juste enregistrer ma voix avant ou juste après ma transition,mais j’ai fait le choix musical des deux…dans la nécessité pour moi en tant que personne d’être en phase avec tout ce que je suis, étais, et serai.

PAN M 360 : On retrouve plusieurs lieux de Montréal dans tes textes : Outremont, le coin Clark/Duluth. Ton art est-il influencé par la ville où tu vis?

Bells Larsen : Oui c’est sûr! Montréal est tellement belle! C’est magnifique comme ville! Je partage mon temps entre Toronto et Montréal, et j’ai une amie qui vivait à Montréal et qui est repartie à Toronto qui me disait quelque chose comme : « Tsé Toronto tu vas là pour tes amis, tes connexions…c’est vraiment une ville sociale. Montréal, c’est une expérience… »,  et je n’aurais pas pu mieux dire. Montréal c’est une expérience où tous tes sens sont actifs. Montréal tu peux la sentir, la feeler, la goûter, la voir. Je me sens très inspiré comme artiste par Montréal, parce qu’elle est tellement artistique aussi comme ville.

PAN M 360 : Tu disais que la lentille avec laquelle on regardait le passé dans le cas d’une transition était souvent triste ou teintée de regrets mais que tu voulais plutôt faire de ce passage une célébration, remplie de bienveillance et de gratitude. Peux-tu nous expliquer ta vision?

Bells Larsen: Tout d’abord,  je mets vraiment l’emphase sur le fait que ça c’est ma perception à moi et mon vécu du truc mais je comprends tout-à-fait que certaines personnes auront besoin de vivre un deuil d’une manière qui leur est propre et qui peut parfois être plus triste,  ayant besoin de mettre la vieille version de soi de côté pour que la nouvelle puisse vraiment naître. Juste pour dire que tous les sentiments sont valides. J’ai grandi en regardant  l’émission canadienne Degrassi et j’ai aussi regardé plusieurs vidéos de coming-out, même avant de faire le mien, et dans beaucoup des représentations que je voyais… disons dans Degrassi quand il y avait une personne trans qui parlait, on voyait la vieille version de cette personne-là et il y avait beaucoup de musique triste en arrière, dans les coming-out vidéos sur YouTube il y avait pas forcément un ton triste mais…une dichotomie claire (que je comprends tout-à-fait)…donc au final c’était souvent plus mélancolique et je m’y retrouvais moins. C’était moins ma réalité puisqu’au départ, j’avais pensé que j’étais peut-être non-binaire…genre que j’étais un mélange. Comme j’ai dit dans la toune Blurring Time, j’ai pensé que j’étais « both and more » et maintenant je comprends que c’est plutôt un côté binaire où je tombe mais j’ai beaucoup de dualités, de complexité, d’influences qui cohabitent en moi et je ne pourrais pas être la personne que je suis maintenant sans toutes les versions de moi du passé. Alors c’est un peu ça que je voulais célébrer sur l’album et j’avais envie que ce soit une célébration douce pour les deux moi.

PAN M 360 : Les arrangements dans l’album sont minimalistes et épurés. Était-ce un choix pour laisser plus de place aux voix?

Bells Larsen : Oui exactement! Je voulais que les voix soient à l’avant-plan et d’un autre côté aussi… J’écris toute ma musique dans ma chambre, assis sur mon lit, c’est assez intime. Et j’adore tellement la qualité des mémos vocaux  au moment où la chanson vient juste d’être écrite. Je pense que je voulais aussi cette qualité d’intimité. Que quand quelqu’un écoute la musique il puisse sentir qu’il est à côté de moi maintenant…et à côté de moi avant. Que les deux versions de moi sont de chaque côté de l’auditeur.

PAN M 360 : Tu avais déjà travaillé avec Graham Ereaux pour Good Grief, qu’est-ce qui a été différent dans le processus de création cette fois-ci?

Bells Larsen : Honnêtement, je dirais qu’il y a eu des moments où ce n’était pas facile. C’est vraiment connecté avec ma santé mentale et aussi avec mon estime et ma confiance en moi. Avant j’étais vraiment « je suis flexible, i’m good to go with whatever » mais quand tu es plus sûr de ce que tu veux, de ce que sont tes limites et que tu es plus direct avec ça… C’est vraiment bon mais quand tu avais des relations qui existaient avec beaucoup de facilité, ça crée un contraste disons. Quand j’ai enregistré la voix haute, je n’avais pas encore commencé la testostérone et j’étais encore incertain…encore un peu timide. Puis, j’ai cultivé tellement d’amour propre et de compréhension de qui je suis dans l’intervalle, aussi grâce à une psy fantastique… Je savais beaucoup plus qui j’étais. Donc peut-être que ça pouvait être choquant pour certains. Et Graham est vraiment la personne la plus douce, ce n’est pas à propos de lui mais à propos du monde en général et de mon rapport à celui-ci qui a changé. J’ai perdu quelques liens dans le processus, par alignement, mais Graham n’est pas là-dedans!

PAN M 360 : Tu as également travaillé avec Georgia Harmer sur cet album, qui est une amie d’enfance, c’était comment?

Bells Larsen : C’était le truc le plus naturel du monde. Je suis à l’appartement de mes parents en ce moment et je vois la guitare qu’elle m’a donnée pour mon 18e anniversaire. Avec cette guitare, j’ai donné  tous mes premiers shows avec Georgia. J’ai plus ou moins une décennie d’expérience de travail avec elle, et la raison pour laquelle je suis allé la chercher pour ce projet-là, c’est parce qu’elle avait une relation vraiment intime avec ma voix d’avant.  Donc c’est sûr qu’elle va m’aider à accueillir la nouvelle. Et aussi c’est une musicienne tellement talentueuse, qui a une manière vraiment intéressante de penser  les harmonies. Elle entend les choses. Elle sait où en donner et où en enlever, comment créer des impacts…et je suis vraiment content d’être allé la chercher pour ça.

PAN M 360 : Le queer time est un sujet qui te fascine et qui t’a inspiré pour cet album. Veux-tu nous en parler un peu?

Bells Larsen : Je pense que le monde queer et trans vit l’expérience temporelle différemment que les personnes cisgenres ou straight,  principalement parce qu’on découvre un peu plus tard dans la vie. En tout cas, ça a été vrai pour moi puisque j’ai fait plusieurs coming-out – j’ai déjà identifié avec chacune des lettres dans l’acronyme LGBTQ-. J’ai 27 ans mais en même temps je me sens comme si j’avais 3 ans. J’apprends tout juste sur mes désirs, mes vœux, mes limites…puisque c’est juste maintenant que je peux cultiver et découvrir ça. J’ai d’autres amis de mon âge qui sont en train d’avoir des bébés. Une timeline queer c’est pas chronologique…mais c’est pas déchronologique non plus.  Mon timeline est tellement flou,  tellement all over the place. Je suis moi maintenant. Mais j’ai toujours été moi. Et je suis encore le moi que j’étais. Tout ça coexiste.

PAN M 360 : Tu as récemment annoncé que tu avais dû annuler une série de concerts aux États-Unis, en raison du climat inquiétant qui y règne ces jours-ci et aussi à cause de complications reliées au fait que tu es trans. Peut-on en savoir davantage?
Bells Larsen : Ouais ça fait une semaine et demi que j’ai annoncé ça et ça quelques jours que mon album est sorti alors je pense que c’est bien naturel que l’album et que je sois un artiste politisé soient mélangés. J’accueille ça et je le comprends. Et j’espère que mon album peut être réconfortant pour ma communauté, surtout celle  vivant aux USA,  pour les personnes qui se sentent isolées et oppressées par les nouveaux règlements. J’espère que la musique peut humaniser la communauté… parce que les gens haïssent ce qu’ils ne comprennent pas et ont peur de l’inconnu. J’espère que ma musique peut montrer que je ne suis qu’une personne voulant  se rapprocher d’elle-même et que ce n’est pas quelque chose d’unique pour les personnes trans. Je trouve vraiment beau qu’au sein de la communauté trans, on démontre une propension à s’explorer soi-même. Je vais gérer la situation, me concentrer sur le Québec, le Canada et l’Europe. Et je pense que je suis moins dans le choc maintenant, je comprends la situation actuelle.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui t’attend pour la suite de 2025?
Bells Larsen : Il y a i beaucoup de shows qui s’en viennent (pas aux États-Unis mais ailleurs haha)! Oui il y a Toronto, Hamilton, Montréal aussi c’est à guichets fermés et je suis très excité. Aussi il y aura les festivals et encore plus de dates québécoises à venir jusqu’à l’automne. Je ferai une tournée Canadienne avec un de mes héros, on va se promener dans de grosses salles!

Le lancement de la saison 2025-26 de la salle Bourgie vient tout juste d’être fait, et s’annonce particulièrement relevé. Il faut dire que ce sera la 15e de la désormais vénérable institution, créée grâce à une collaboration exemplaire entre le Musée des Beaux-Arts de Montréal et le philanthrope Pierre Bourgie. Après le règne marquant d’Isolde Lagacé, c’est depuis quatre ans maintenant, la patte d’Oliver Godin, directeur artistique, et de Caroline Louis, directrice générale, qui trace la destinée d’une programmation annuelle toujours haute en couleurs et en qualité. 

J’ai jasé vite vite avec les deux infatigables mélomanes d’un aperçu de la saison à venir, et de leurs coups de cœur (un exercice toujours impossiblement difficile). 

À savoir ce qu’ils ont appris de leurs années de programmation pour la salle Bourgie, Olivier répond rapidement que le public montréalais est extraordinaire. ‘’C’est un public qui nous suit dans nos choix et les tournants qu’on veut donner à la salle’’. Il mentionne aussi la polyvalence de la salle, qui permet plusieurs configurations, mais aussi des rencontres privilégiées, et intimes, avec de très grands noms internationaux et locaux. 

La bonne nouvelle, c’est que les jeunes sont aussi présents.’’On dit toujours que la musique classique c’est pour des têtes grises, mais nous avons une jauge de moins de 34 ans qui est en augmentation, et ça fait plaisir à voir. Bien sûr, nous aimons de tout coeur nos têtes grises, elles constituent le centre de notre public, mais c’est inspirant de voir que nos stratégies d’acquisition d’un autre public porte ses fruits’’, dit Olivier Godin. Caroline Louis précise que depuis trois ans, cette portion de spectateurs a doublé et dépasse désormais, en moyenne, les 15% de l’auditoire. Un chiffre plus qu’honorable considérant qu’il s’agit souvent de répertoire plus niché en musique classique.

Voilà qui réchauffe bien l’atmosphère. Pour la saison comme telle, inutile de dresser ici une longue liste d’épicerie, surtout que les détails sont disponible sur le site de la salle, mais il suffit de mentionner la poursuite de l’intégrale des lieder de Schubert avec (tenez-vous bien!), Wolfgang Holzmair dans ce qui sera l’un de ses derniers récitals avant la retraite, Anne-Sofie von Otter, l’étoile montante Andrè Schuen, Samuel Hasselhorn, l’exceptionnelle Victoire Bunel, et plusieurs autres. Une forte concentration piano sera mise de l’avant avec les visites de Leif Ove Andsnes, une résidence de Kristian Bezuidenhout, l’explosive Beatrice Rana, une intégrale Prokofiev avec David Jalbert, la Québécoise Élizabeth Pion, le retour attendu de Vikingur Olafsson dans Bach, Beethoven et Schubert, Alexandre Tharaud, une trop rare apparition de Dang Thai Son, le spectaculaire Fazil Say, et tellement plus encore, dont un événement qui promet d’être mémorable : la rencontre entre Marc-André Hamelin et Charles Richard-Hamelin! 

Des violonistes à foison (Christian Tetzlaff, Jinjoo Cho, Andrew Wan, Tabea Zimmermann (alto)), du violoncelle, de la flûte de la guitare, etc. En musique d’aujourd’hui, quelques belles prises, comme l’excellent ensemble vocal new yorkais Roomful of Teeth avec du répertoire signé Missy Mazzoli et Caroline Shaw, entre autres. Aussi, le Duo Étrange (c’est son nom) formé de la soprano Vanessa Croome et de la violoncelliste Sahara von Hattenberger avec une création de Nicole Lizée. Les habitués sont toujours là : les Violons du Roy, les Idées heureuses, Arion Orchestre Baroque etc. Soulignons la venue de Collectif9, le très innovant ensemble à cordes montréalais qui nous fera voyager dans les diverses itérations de la Passacaille, de Frescobaldi à Ligeti. 

‘’C’est très important pour nous de donner une tribune aux artistes d’ici. Ils constituent la moitié de notre programmation’’ – Olivier Godin

Le jazz (Jazzlab Orchestra, l’incontournable Taurey Butler et son Charlie Brown Christmas, François Bourassa en duo avec Marie-Josée Simard, l’ensemble Cordâme et son très beau spectacle Fabula Femina, le Kate Wyatt Quartet, une pianiste parmi les meilleures au Canada actuellement, et montréalaise, un hommage à Pat Metheny) et les musiques du monde (Zal Sissokho et sa poétique kora ouest-africaine qui rencontrera le jazz, la musique yiddish du Likht Ensemble et de compositeurs tués ou qui ont survécu à l’Holocauste, une rencontre unique entre la vénérable Alanis Obomsawin, 92 ans, et le double récipiendaire Polaris Jeremy Dutcher, en version piano-voix intime) sont toujours au rendez-vous, bien entendu, sans oublier les incontournables visites des musiciens et musiciennes de l’OSM et de l’OM, puis, dans un esprit plus aventureux, deux concetrts qui combineront musique et danse moderne. 

‘’Nous programmons avec bonheur des valeurs sûres, mais nous aimons aussi provoquer des rencontres, essayer des choses et, peut-être, agir comme précurseur, en fusionnant des mondes’’ – Olivier Godin

J’en oublie des tonnes, alors plongez avidement dans la brochure maintenant disponible.

Avant de terminer l’entrevue, je n’ai pu m’empêcher de poser quelques questions bien vaches aux deux passionnés. 

Votre moment le plus émotif en perspective? Olivier Godin : ‘’Moi je dirais le récital d’André Shuen. Ce sera sa première fois à Montréal et c’est un jeune baryton avec une intériorité extraordinaire. Il va mélanger des lieder de Schubert et des lieder de Mahler, sur des textes d’une beauté émouvante de plusieurs poètes, textes qu’on pourra suivre au-dessus de l’interprète.Ce sera un voyage très touchant, assurément’’.

Caroline Louis : ‘’C’est tellement difficile, mais je ne peux manquer d’évoquer le dernier concert de Wolfgang Holzmair, qui fera le Voyage d’hiver de Schubert. 

J’en ai ajouté une couche : votre moment le plus surprenant? Olivier : ‘’Peut-être le concert d’improvisations sur claviers (piano, clavecin, orgue) d’Ilya Poletaev, qui jouera spontanément sur des images de tout le dernier siècle choisies par le directeur du FIFA (Festival international du film sur l’art de Montréal). Cinéma, caméras de surveillance, images de la NASA et créations d’IA, tout un ensemble qui dresse un portrait large et éclaté d’un siècle d’images.’’

Caroline : ‘’Le concert de Fazil Say, qui fera les Goldberg en jumelage avec ses propres compositions.’’

Il ne reste plus qu’à se rendre jusqu’à la salle de la rue Sherbrooke ouest.

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Consultez la liste des concerts sur le site de la salle Bourgie

Tango Boréal, à qui l’on doit les Lettres de Chopin, proposent une nouvelle création au Festival Classica, soit un opéra de chambre puisant dans les mélodies de Maurice Ravel et Claude Debussy avec un livret écrit par Denis Plante. La trame dramatique de La fille aux cheveux de lin nous mène à Paris, fin du 19e siècle, en plein bouillonnement culturel. On se trouve alors à la butte Montmartre, dans un atelier où Rose aide son frère peintre s’appliquant à restituer un tableau, jusqu’à l’arrivée soudaine d’une mystérieuse fille aux cheveux de lin. Marc Boucher explique sommairement le concept à Alain Brunet pour PAN M 360.

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Stradivatango réunit Stéphane Tétreault, virtuose consacré du violoncelle (un Stradivarius dans le cas qui l’occupe), et le bandonéoniste Denis Plante, illustre représentant de la mouvance tango nuevo au Canada, soit dans la lignée des Astor Piazolla, Juan José Mosalini et autres Richard Galliano. Le répertoire de Stradivatango est constitué de classiques du tango argentin ainsi que d’œuvres originales conçues pour le duo. On voit ici une fusion concluante entre tango moderne et musique de chambre de tradition classique. Un album homonyme a été lancé récemment par le tandem sous étiquette Atma Classique. Le concert de Stradivatango est prévu le 31 mai.

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Du 23 mai au 15 juin, le Festival Classica présente 21 programmes distincts sous le thème Le classique sans limite. Le premier programme est consacré à une version symphonique des Beatles à travers différent travaux. Marc Boucher, excellent baryton désireux de donner du travail au milieu classique et aussi celui du chant lyrique, a fondé Classica et dirige toujours l’événement. Voici le sixième fragment d’une longue interview réalisée par Alain Brunet, visant à décortiquer la programmation 2025 du festival Classica. François Dompierre est un créateur clé de la musique québécoise, tant pour ses oeuvres instrumentales que pour ses musiques de film et de télé. Avec l’Orchestre FILMharmonique et l’Ensemble ArtChoral, sous la direction de Francis Choinière, il présente de nouveau son Requiem très applaudi à sa création encore récente, en plus des Diableries et Maxime. L’Orchestre FILMharmonique, l’Ensemble ArtChoral, le violoniste Guillaume Villeneuve, la soprano Myriam Leblanc, le ténor Andrew Haji et le baryton Geoffroy Salvas seront tous au service de cet Hommage symphonique à François Dompierre, le 30 mai prochain.

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Programme


François Dompierre (1943 –    )  

Maxime 

Diableries 


Entracte 


Requiem

Du 23 mai au 15 juin, le Festival Classica présente 21 programmes distincts sous le thème Le classique sans limite. Le premier programme est consacré à une version symphonique des Beatles à travers différent travaux. Marc Boucher, excellent baryton désireux de donner du travail au milieu classique et aussi celui du chant lyrique, a fondé Classica et dirige toujours l’événement. Voici le cinquième fragment d’une longue interview réalisée par Alain Brunet, visant à décortiquer la programmation 2025 du festival Classica. Ad Lucem est un riche programme r(Britten, Glinka, Bruch, Pigovat, Pärt) mettant en lumière le talent et la maîtrise de l’altiste Elvira Misbakhova et de la pianiste Meagan Milatz. Prévu le 29 mai !

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Programme


Mikhail Glinka
 (1804-1857)

Sonate pour alto et piano en ré mineur

Allegro moderato


Boris Pigovat
  (1953-    )

“Magnificat”  de Boticelli pour alto et piano


Benjamin Britten
  (1913-1976)

Élégie pour alto seul

Kelly-Marie Murphy  (1964-    )

Ad Lucem pour alto et piano (première mondiale)


Arvo Pärt
  (1935 –    ), arr. Lars Anders Tomter (1959 –    )

Fratres 


Benjamin Britten 

Lachrymae pour alto et piano, op. 48


Max Bruch (1838-1920),
  arr. Alan Arnold (1932-2019)

Kol Nidrei pour alto et piano, op. 47 

Le pianiste Julian Gutierrez Vinardell dirigera l’Ensemble de musique du monde de l’Université de Montréal, lors d’un concert gratuit à la Salle Claude Champagne de la Faculté de musique, le jeudi 1er mai. On y entendra également l’Ensemble de Tango et des étudiants en musique classique. Un programme intrigant et prometteur! D’origine cubaine et Montréalais d’adoption, Julian Gutierrez Vinardell est aussi professeur invité à la Faculté de Musique de l’Université de Montréal, décortique les différents mouvements de ce concert en compagnie de notre collaborateur Michel Labrecque.

PAN M 360 :  Julian, avant de discuter de ce concert, rappelez-nous un peu votre parcours. En plus d’être professeur, vous entretenez une carrière de musicien jazz assez prolifique.

Julian Gutierrez Vinardell : À Cuba, je faisais partie d’un groupe qui s’appelait Mezcla, un mélange de rock et d’afro-cubain, qui a tourné beaucoup à l’étranger, dans les années 90. Et c’est lors d’un de ces voyages, que j’ai décidé de m’installer au Québec, en 2001. J’ai fait un baccalauréat en musique à l’Université de Sherbrooke, puis par la suite, une maîtrise et un doctorat à l’Université Laval à Québec.

PAN M 360 : Et c’est comme ça que vous êtes passé de Cubain à « Cubécois »?

Julian Gutierrez Vinardell: C’est exactement ça ! (rires) J’ai intégré le groupe de salsa de l’Estrie Habana Café, qui tourne toujours aujourd’hui et dont je fais maintenant les arrangements. Parallèlement, j’ai aussi une carrière solo de jazz latin, avec trois albums et un autre à venir. Ce n’est pas toujours évident de percer, mais j’adore ça. Et j’enseigne le piano jazz à l’Université de Montréal sous de multiples formes.

PAN M 360 : Et c’est à ce titre que vous aller diriger l’Ensemble de musique du monde, ce jeudi 1er mai. 

Julian Gutierrez Vinardell : Nous allons présenter du jazz, de la rumba, de la cumbia et des styles cubains. Les étudiants sont très motivés. C’est une chose d’apprendre la musique, mais le plus difficile pour eux, c’est d’apprivoiser le son latin authentique des instruments. J’essaie de les guider du mieux que je peux. 

Cette année, il y a une particularité dans ce concert: ça fait longtemps que je souhaite impliquer des étudiants de musique classique avec nous. Enfin, j’ai réussi! Un quatuor à cordes nous accompagnera sur deux pièces, Round Midnight de Thelonious Monk et Footprints de Wayne Shorter. Avec un arrangement afro-cubain, ça va être super l’fun!

PAN M 360 : Et en première partie du concert, on entendra aussi l’Ensemble de tango de l’UdeM.

Julian Gutierrez Vinardell : Cet ensemble est dirigé par Amichai Ben Shalev et comprend dix musicien.ne.s. C’est un groupe totalement différent du nôtre. Ils vont jouer entre autres du Astor Piazzolla. Ce qui est vraiment bien, c’est que ce mélange ouvre les oreilles des étudiants et des spectateurs à toutes sortes de musiques. 

PAN M 360 : Du côté de l’Ensemble de musique du monde, on entendra quoi? 

Julian Gutierrez Vinardell : Nous irons du compositeur mexicain Ramon Ortega Contraras à la jeune chanteuse cubaine Dayme Arocena en passant par les plus traditionnels comme Richard Egues et Roberto Baute Sagarra. On entendra aussi deux de mes compositions, Me Encanta Quererteet Rayo de Luz.

PAN M 360 : Ce concert sera présenté dans le cadre du programme de majeure en jazz et musique du monde de l’Université. Bon concert à vous et à vos étudiants! C’est le 1er mai à 19:30 à la Salle Claude Champagne. 

Julian Gutierrez Vinardell: Merci beaucoup ! Et à très bientôt! 

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Transplantée à New York où sa carrière progresse au même titre que ses études supérieures à l’Université Columbia, la compositrice et commissaire artistitique Corie Rose Soumah est retour chez elle à Montréal pour s’y produire une deuxième fois depuis le début 2025, puisqu’elle y fut invitée dans le contexte de Montréal/Nouvelles Musiques, alors que l’ensemble vocal Ekmeles a interprété sa musique – visionnez l’interview de Frédéric Cardin. La revoilà pour cette invitation du Vivier, alors que ses œuvres seront mises en évidence avec celles de ses collègues d’Hypercube. Puisque PAN M 360 a cette artiste en haute estime, Alain Brunet vous propose cet autre entretien, cette fois en amont du programme présenté à la Salle Bleue de l’édifice Wilder, ce mercredi 30 avril: Aptitudes Matérielles.

« Corie Rose Soumah invite les artistes sonores de Hypercube, Erin Rogers, Antoine Goudreau et Antonin Bourgault pour un concert où se rencontrent nouvelles technologies, arts visuels et spatialisation sonore. »

PAN M 360: Comment êtes-vous entrée en relation artistique avec Hypercube?

Corie Rose Soumah: J’ai eu la chance de collaborer avec Hypercube pour la première fois en 2022 durant la saison 2021-2022 de Columbia Composers, une organisation étudiante développant une série de concerts professionnels ayant lieu à New York. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le potentiel riche et la qualité incroyable d’improvisation et d’interprétation que chaque membre de l’ensemble  (Erin Rogers, Andrea Lodges, Jay Sorce et Chris Graham) apporte à sa manière très personnelle. La collaboration a abouti à l’écriture de ma pièce “SPINNING, TOUCHED, UNDREAMT; SNOW-”, qui explore plusieurs palettes sonores entre sons acoustiques et synthétiseurs analogues. Depuis, l’ensemble a fait voyagé la pièce dans plusieurs salles de concert aux États-Unis et un projet d’enregistrement d’album de cette dernière est en cours. Dans le cadre du concert “Aptitudes matérielles”, je souhaitais apporter cette sensibilité sonore new yorkaise à la scène montréalaise, tout en y entremêlant la richesse artistique unique de Montréal. 

PAN M 360 : Quelles sont vos affinités professionnelles avec vos trois collègues, Erin Rogers, Antoine Goudreau et Antonin Bourgault?

Corie Rose Soumah: En tant que saxophoniste, Erin Rogers est membre de Hypercube et est également une compositrice et improvisatrice accomplie. En plus d’avoir travaillé avec elle sur SPINNING, j’ai eu le privilège ces dernières années de l’entendre jouer en concert à plusieurs reprises, au travers de multiples esthétiques variées. Le concert présentera une nouvelle pièce écrite par Erin pour l’ensemble et électronique.

J’ai découvert le travail d’Antoine Goudreau plus récemment, à la fin de 2023. J’ai été frappé par son usage créatif de la technologie dans son processus artistique ainsi que la particularité sonore qui en découle, une touche très unique à lui. Son travail représente pour moi un bel exemple de la richesse montréalaise présente dans la nouvelle génération de créateurs.trices. Je suis très heureuse d’avoir eu l’occasion de lui commander une nouvelle pièce mixte pour Hypercube.

Quant à Antonin Bourgault, nous avons tous les deux étudié au Conservatoire de musique de Montréal en 2015. Antonin a été l’un des premiers étudiants à jouer ma musique et depuis nous avons eu l’occasion de collaborer sur de nouvelles pièces, dont une création qui aura lieu lors de ce concert. Il est également un compositeur et improvisateur doué, jouant dans les salles expérimentales de Montréal. Je lui dois en grande partie mon aisance et ma maîtrise de l’écriture pour saxophone grâce à tous ses conseils et son souci du détail.

« Cette convergence de deux métropoles au formidable dynamisme créatif, New York et Montréal, offre un prétexte idéal pour la rencontre entre nouvelles technologies, arts visuels, théâtralité et spatialisation sonore. »

PAN M 360:  On sait que vous étudiez actuellement à Columbia, les notes de programme nous parlent d’une convergence New-York/Montréal, mais encore? Parle-t-on en fait de New York où vous étudiez actuellement et Hypercube de Montréal?

Corie Rose Soumah: Mon intérêt dans ce projet était de créer des relations entre des artistes de New York et de Montréal, deux villes qui me tiennent grandement à cœur. Le projet a d’abord commencé par un atelier extensif sur plusieurs jours avec Hypercube à New York, invitant Antoine et Antonin à participer en personne. Le concert à Montréal est l’aboutissement de cette recherche sonore initiale et présentera, ce mercredi, trois nouvelles pièces ainsi que deux œuvres composées en 2020 et 2022. 

La scène montréalaise est, selon moi, l’une des scènes musicales les plus riches d’Amérique du Nord, tout comme celle de New York. On trouve de tous les styles et un écosystème de musique expérimentale très fort. Certaines directions artistiques new yorkaises amplifient déjà les ressemblances entre ces deux métropoles en invitant des ensembles montréalais établis dans de grands festivals de musiques nouvelles, tels que TIME:SPANS. Je souhaitais dans le cadre de Aptitudes matérielles inviter New York à Montréal et rendre cette musique accessible à un autre public. 

PAN M 360 : Puisqu’il est question de Columbia, comment avez-vous vécu les menaces de la présidence actuelle sur votre université? Préférez-vous ne pas en parler au cas où vous seriez victime de répression? Sentez-vous bien à l’aise avec cette question.

Corie Rose Soumah: Je ne me prononcerai pas sur cette question.

« Mettant en scène instruments analogiques et une myriade de paysages graphiques et acousmatiques, le programme du concert convoque des univers pluriels représentatifs de la diversité sonore contemporaine. »

PAN M 360 : Pourriez-vous circonscrire le fil conducteur de ce programme via son esthétique et le choix des outils d’expression, si l’on s’en tient à la description officielle des notes de programme?

Corie Rose Soumah: Cette idée d’aptitudes matérielles est de démontrer la capacité des artistes impliqué.es à manipuler les matériaux riches en textures et gestes. La programmation du concert s’appuie entièrement sur des musiques mixtes ou électroacoustiques. L’un des avantages de la salle bleue à l’Agora de la danse est la possibilité de créer une disposition scénique différente du concert classique Ce sera le cas ce mercredi, où huit haut-parleurs seront placés autour des spectateurs.trices et l’ensemble sera situé au milieu de la salle, offrant une expérience totalement immersive.

Chaque pièce emploie des nouvelles technologies et des mouvements de spatialisation propres à elle, comme la transformation de sons par des traitements en temps réel ou encore des instruments analogiques construits spécialement pour l’occasion. La plupart des pièces utilisent également des éléments de notations à l’extérieur de la notation classique, soit des partitions graphiques ou hybrides, invitant les interprètes à développer des matériaux sous improvisations guidées. C’est le cas avec le travail d’Antoine qui utilise une partition défilante en plus d’éléments électroniques. 

Il était également important pour moi de démanteler cette division stricte entre compositeur et interprète. Il y a cette fâcheuse tendance à croire qu’une fois qu’on se spécialise dans une pratique artistique de composition, que l’on n’a pas les capacités d’être un.e excellent.e interprète – ce qui est complètement faux bien sûr! Tous les membres de ce projet travaillent au travers de ces deux pratiques. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai choisi de présenter le travail compositionnel d’Antoine et d’Erin en plus de leurs pratiques d’interprétation. 

PAN M 360:  Pourriez-vous SVP nous donner un aperçu sommaire de chaque œuvre au programme?  

Corie Rose Soumah:

  • Antonin BourgaultMydriase <–> Myosis , 2020 (7’28 ») : une pièce acousmatique qui sera diffusée sur huit haut-parleurs entourant les auditeurs et auditrices. La pièce s’intéresse à l’évolution de différents lieux fictifs au travers de multiples effets de profondeur.
  • Antoine Goudreau: Fidelity in the Age of Plausibility2025 (8′ – création, composée pour Hypercube): une composition co-orchestrée avec Hypercube explorant des états de copies, de simulacrum, de dérivés, de sérialisation en échange d’approximations et d’exactitudes.
  • Corie Rose Soumah: Limpidités VI2025 (8′ – création, composée pour Antonin Bourgault et Erin Rogers) : cette création met l’accent sur l’expertise improvisatrice des deux saxophonistes. Basée sur une miniature qui été écrite pour Antonin en 2022, cette nouvelle pièce présente la cohabitation de deux saxophones sous des sonorités en constante expansion. La pièce utilise également des instruments coquillages, soit des plaques en plexiglass avec des transducers qui font vibrer ces dernières, cohabitant avec les sons complexes des saxophones.
  • Erin Rogers: Mirror to Fire2025 (10′ – création, composée pour Hypercube): inspirée par la deuxième chanson de l’album « Add Violence » de Nine Inch Nails, la pièce s’intéresse à la façon dont cette chanson reflète la profonde division politique et l’isolement croissant que nous vivons présentement dans notre société.
  • Corie Rose SoumahSPINNING, TOUCHED, UNDREAMT; SNOW- , 2022 (16′ – composée pour Hypercube): née d’une collaboration entre Hypercube et moi, “SPINNING…” s’intéresse à la complexité trouvée dans la condition de la femme, au travers de rêve et attentes falsifiées. La pièce mélange sons acoustiques et sons de synthétiseurs analogues qui ont été manipulés et transformés sous différentes approches techniques.

PAN M 360 : Pourriez-vous nous présenter l’ensemble consacré à l’exécution de ces œuvres et comment les interprètes sont-ils sollicités pour chaque exécution?

Corie Rose Soumah:

  • CORIE ROSE SOUMAH : commissaire artistique, compositrice et créatrice d’instruments analogiques, deux pièces seront présentées dans le cadre du concert.
  • ERIN ROGERS : saxophoniste de Hypercube, compositrice et improvisatrice, elle interprétera la pièce d’Antoine Goudreau, sa nouvelle composition et deux de mes pièces.
  • ANTOINE GOUDREAU : compositeur et interprète de musique expérimental, il présentera une nouvelle pièce mixte pour Hypercube, tout en travaillant la spatialisation d’éléments électroniques à la console de mixage.
  • ANTONIN BOURGAULT : saxophoniste, compositeur et improvisateur, il interprètera ma nouvelle composition et diffusera sa pièce acousmatique.
  • CHRIS GRAHAM : percussionniste de Hypercube, il interprétera trois des pièces durant le concert.
  • ANDREA LODGE : pianiste de Hypercube, elle interprétera trois des pièces durant le concert.
  • JAY SORCE : guitariste de Hypercube,  il interprétera trois des pièces durant le concert.

PAN M 360 : Vos projets à venir?

Corie Rose Soumah: De mon côté, des premières au Darmstadt Summer Course, TIME:SPANS festival ainsi qu’au festival Gaudeamus, en collaboration avec l’International Contemporary Ensemble et le quatuor Bozzini font partie de ma liste d’évènements à venir. Mon collaborateur Antoine s’envolera à Bali dans le cadre d’une résidence afin d’entamer une recherche sur la microtonalité auprès de luthiers balinais. On peut retrouver Antonin régulièrement à la casa del popo ou la  Sala Rossa. Finalement, Hypercube fait partie de la liste des artistes invités au Queens New Music Festival qui aura lieu le 18 mai 2025. 

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Du 23 mai au 15 juin, le Festival Classica présente 21 programmes distincts sous le thème Le classique sans limite. Le premier programme est consacré à une version symphonique des Beatles à travers différent travaux. Marc Boucher, excellent baryton désireux de donner du travail au milieu classique et aussi celui du chant lyrique, a fondé Classica et dirige toujours l’événement. Voici le quatrième fragment d’une longue interview réalisée par Alain Brunet, visant à décortiquer la programmation 2025 du festival Classica. On parle ici du programme Valses d’amour, piloté par l’Ensemble ArtChoral et construit autour de Brahms sous la direction de Mathias Maute. Lundi 28 mai !

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